ZFE : les supprimer pourrait coûter 3 milliards d’euros à la France

La suppression des Zones à faibles émissions (ZFE), votée en commission à l’Assemblée nationale, pourrait remettre en cause une partie des engagements pris par la France dans le cadre du Plan national de relance et de résilience. À la clé, plusieurs milliards d’euros d’aides européennes conditionnelles.

Jade Blachier
Par Jade Blachier Publié le 2 avril 2025 à 10h08
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86%86% des particuliers se disent contre les ZFE.

Le 1er avril 2025, une note de la Direction générale du Trésor, transmise aux autorités gouvernementales, alerte sur les implications financières potentielles d’un abandon des Zones à faibles émissions (ZFE). Cette hypothèse, récemment adoptée en commission parlementaire dans le cadre du projet de loi de simplification administrative, pourrait, selon cette analyse, priver la France de plusieurs milliards d’euros d’aides issues du plan de relance européen.

Les ZFE dans l’architecture du plan de relance européen

Instaurées en 2019, puis renforcées par la loi Climat et Résilience de 2021, les ZFE visent à restreindre l’accès à certains centres urbains aux véhicules considérés comme polluants, selon leur classification Crit’Air. Ces mesures répondent à un objectif de réduction des particules fines dans l’air, reconnu comme un enjeu de santé publique majeur.

Mais les ZFE ne constituent pas seulement un levier environnemental : elles s’inscrivent dans le cadre d’engagements structurels pris par la France dans le Plan national de relance et de résilience (PNRR), cofinancé par l’Union européenne. Dans ce document transmis à Bruxelles, la mise en œuvre effective de ces zones dans plusieurs métropoles françaises figure comme une condition préalable à l’octroi de certains décaissements du mécanisme européen de soutien à la relance.

Selon les calendriers contractuels, 3,3 milliards d’euros doivent être versés à la France au titre de l’année 2025, sur un total de 40,3 milliards d’euros validés jusqu’en 2026. Le respect des réformes et investissements listés dans le PNRR, dont la généralisation des ZFE, fait l’objet d’un contrôle de la Commission européenne avant tout décaissement.

Une décision parlementaire en rupture avec les engagements contractuels

Le 26 mars 2025, la commission spéciale de l’Assemblée nationale chargée du projet de loi de simplification a adopté plusieurs amendements visant à supprimer les ZFE. Cette initiative parlementaire, soutenue notamment par des députés issus du groupe Les Républicains et du Rassemblement national, s’inscrit dans un contexte de rejet local croissant de ces dispositifs, jugés contraignants pour les ménages modestes.

Cette évolution législative, si elle venait à être confirmée en séance publique, créerait un écart substantiel entre les engagements pris par l’État français et leur exécution effective. Une telle divergence est susceptible d’activer les mécanismes de révision ou de suspension des paiements prévus par la Commission européenne, en vertu de l’article 24 du règlement (UE) 2021/241 du 12 février 2021 établissant la facilité pour la reprise et la résilience.

La note de la Direction générale du Trésor évoque un double risque financier. D’une part, l’interruption des futurs paiements au titre du plan européen de relance, estimés à 3,3 milliards d’euros pour 2025. D’autre part, une demande de remboursement partiel sur les tranches précédemment versées, à hauteur d’un milliard d’euros, si les engagements correspondants sont jugés non tenus.

Les mécanismes de conditionnalité budgétaire renforcée de l’UE

Depuis la mise en place de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR), l’Union européenne a introduit une nouvelle doctrine contractuelle entre les États membres et la Commission : les fonds ne sont versés que si les jalons (milestones) et cibles (targets) définis sont atteints.

En matière environnementale, la France a inscrit dans son PNRR plusieurs actions classées comme prioritaires, dont le déploiement des ZFE, qui s’accompagne de volets d’investissements (études, infrastructures) et de réformes législatives. Ces engagements sont codifiés et mesurés selon des indicateurs précis, dont l’évaluation relève de la responsabilité de la direction générale des affaires économiques et financières (DG ECFIN) à Bruxelles.

Un défaut de mise en œuvre peut entraîner plusieurs types de conséquences financières. D’abord, la Commission européenne dispose du pouvoir de suspendre temporairement les paiements jusqu’à obtention de garanties sur le respect des engagements. Elle peut également décider une réduction unilatérale des montants alloués, si elle estime que les jalons fixés n’ont pas été atteints de manière satisfaisante. Enfin, dans les cas les plus sensibles, une procédure de remboursement peut être engagée sur les tranches déjà versées, si le manquement est qualifié de substantiel par l’institution européenne.

Dans le cas des ZFE, l’évaluation en cours à la Commission porte notamment sur la réalisation d’études préparatoires dans 18 métropoles, sur la base desquelles les aides de 2025 doivent être validées.

Tensions politiques et arbitrages budgétaires

L’alerte de Bercy, bien que relayée par voie de presse et non rendue publique officiellement, repose sur des éléments contractuels concrets. Mais elle intervient dans un contexte politique instable, où l’adhésion à certaines réformes environnementales demeure fragile.

Pour le gouvernement, la marge de manœuvre est réduite : renoncer aux ZFE, c’est prendre le risque d’une sanction budgétaire européenne ; maintenir leur application sans consensus politique et territorial, c’est renforcer les fractures sociales et territoriales. Le coût d’un compromis, en l’occurrence, ne se mesure plus uniquement en termes politiques, mais bien en milliards d’euros de subventions conditionnelles.

Ce débat révèle la place croissante des conditionnalités européennes dans la conduite des politiques publiques nationales, y compris dans des champs traditionnellement régaliens comme la régulation du trafic routier.

Jade Blachier

Diplômée en Information Communication, journaliste alternante chez Economie Matin.

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