Des chercheurs financés par l’UE percent les secrets de l’œil humain et élaborent des modèles numériques perfectionnés qui révolutionnent la qualité des chirurgies oculaires.
Une vision plus nette grâce à une compréhension plus fine de l’œil humain

L'opération de la cataracte qu’a subie Mercedes Alvarez, 89 ans, une habitante de Gijón, dans le nord de l'Espagne, a été plus qu'une simple intervention médicale: elle a changé sa vie.
«Au début, je ne voulais pas me faire opérer, même si je ne voyais pas bien», a déclaré Mme Alvarez. «J'ai passé des nuits blanches à m'inquiéter, car, à mon âge, la moindre intervention me paraissait risquée.»
Elle a quand même décidé de sauter le pas lorsque les médecins l'ont rassurée sur le fait que l'âge n'était pas un obstacle au traitement de la cataracte, une opacification du cristallin. Enchantée du résultat, elle peut désormais de nouveau apprécier les plaisirs les plus simples de la vie, comme lire le journal chaque matin.
«Je chausse mes lunettes et je peux lire même les petits caractères!»
Mme Alvarez fait partie des plus de quatre millions de personnes qui se font opérer de la cataracte chaque année dans l'UE, d’après Eurostat, l'office statistique de l'UE.
Son expérience témoigne des importantes avancées réalisées ces dernières années dans le domaine de la chirurgie de la cataracte et des soins oculaires, notamment grâce aux recherches collaboratives internationales financées par l'UE.
Illusion d'optique
Le docteur José Manuel González-Méijome, fondateur et coordinateur du laboratoire de recherche en optométrie clinique et expérimentale de l'Université du Minho à Braga, au Portugal, coordonne l'une de ces initiatives de recherche. Intitulé OBERON, ce projet de quatre ans, financé par l'UE, s'achèvera en 2025.
L'équipe de recherche d’OBERON est constituée de spécialistes de l’œil d'universités de Belgique, de Pologne, du Portugal, d'Espagne, de Suisse et du Royaume-Uni, ainsi que de partenaires non universitaires issus des Pays-Bas et d'Espagne.
Ils associent optique et biomécanique pour mettre au point des modèles informatiques avancés de l'œil qui aideront à rendre la chirurgie oculaire plus sûre et plus précise. L'équipe forme également 15 jeunes chercheurs en les aidant à se familiariser avec les dernières avancées interdisciplinaires en matière de structure, de fonction et de traitement de l'œil.
M. González-Méijome, professeur d'optométrie et de sciences de la vision à l'Université du Minho, décrit l'œil comme un tissu biologique dont les propriétés optiques et biomécaniques sont en interaction.
Les modèles informatiques développés sont capables de reproduire fidèlement ces propriétés pour apporter des indications précieuses aux spécialistes de la vision, aux optométristes et aux chirurgiens ophtalmologistes. Grâce à elles, ils peuvent prédire le comportement des tissus oculaires dans des conditions de développement normal et dans différentes conditions cliniques.
Procédure délicate
Afin d’aider à comprendre la mission du chirurgien, M. González-Méijome explique qu'un globe oculaire humain ne pèse qu’environ 7,5 g et mesure à peu près 2,3 cm.
«Il est incroyablement petit et complexe, et le chirurgien doit intervenir à l'intérieur sans endommager les différentes couches qui le constituent. De leur côté, les spécialistes de la vision en général doivent comprendre comment toutes ces structures interagissent au fur et à mesure que l’œil se développe», explique-t-il.
Pendant une opération de la cataracte, les médecins retirent le cristallin opacifié et le remplacent par un cristallin artificiel transparent. Selon Eurostat, il s'agit de l'intervention chirurgicale la plus couramment effectuée dans l'UE. En 2021, c’est en France qu’ont été réalisées le plus d'interventions de ce type par habitant. Viennent ensuite l'Autriche, l'Estonie et le Luxembourg.
Les techniques de modélisation modernes, telles que celles mises au point par les chercheurs du projet OBERON, permettent de passer des méthodes traditionnelles par tâtonnements à des schémas thérapeutiques personnalisés et plus précis pour chaque patient.
Leur approche permet aux chirurgiens d'adapter les solutions chirurgicales au cas par cas, en fonction des caractéristiques anatomiques spécifiques au patient et non plus d’avoir à se fier à des moyennes génériques. Ceci permet d’obtenir de biens meilleurs résultats sur les patients.
Parallèlement, les chercheurs développent de nouveaux traitements capables de réduire, voire de prévenir, les dysfonctionnements du cristallin, qui apparaissent généralement avec l'âge, évitant ainsi le recours à la chirurgie. Cet aspect est de plus en plus important si l’on considère le vieillissement de la population européenne.
Un monde de plus en plus myope
M. González-Méijome et l'équipe de chercheurs du projet OBERON s'intéressent aussi aux problèmes de vue qui touchent les plus jeunes, comme la myopie, une affection qui rend flous les objets éloignés. Elle est de plus en plus courante chez les enfants européens.
Selon M. González-Méijome, la myopie est influencée par des facteurs environnementaux et génétiques. Des études récentes ont montré un lien entre un niveau d'éducation plus élevé, un temps plus long devant les écrans et l'incidence croissante de la myopie chez les enfants européens.
«Même si le travail de près semble favoriser la myopie, on ne peut pas dire aux enfants de ne pas étudier; c’est généralement le contraire qui leur est demandé», a déclaré M. González-Méijome. «Nous devons donc mieux comprendre comment gérer la croissance excessive des yeux en dépit des tâches qui sollicitent le système visuel de nos enfants.»
Il est donc peu probable que la myopie disparaisse dans un avenir proche. Par conséquent, les spécialistes de la vision et les ophtalmologistes seront de plus en plus amenés à limiter ce problème en réduisant l'apparition de la myopie et en ralentissant sa progression grâce à de meilleures options optiques et chirurgicales.
Les techniques de modélisation de l'optique et de la fonction oculaires, de la chirurgie réfractive au laser ou de la chirurgie de la cataracte mises au point dans le cadre du projet OBERON peuvent aider à garantir des interventions optiques et chirurgicales aussi précises et sûres que possible.
Précision mathématique
Les avancées importantes réalisées dans le domaine de la chirurgie oculaire sont en partie liées à l'application de la précision mathématique au fonctionnement biologique et physiologique de l'œil.
Entre 2014 et 2017, le professeur Hrvoje Šikić, professeur de mathématiques à l'Université de Zagreb, en Croatie, a dirigé un projet de recherche financé par l'UE, intitulé MOLEGRO. Celui-ci a conduit au développement du premier modèle mathématique de la croissance du cristallin au monde.
L'association réussie de la théorie mathématique et des connaissances biologiques a permis de décoder la biologie complexe du développement du cristallin. Pour M. Šikić, cette approche interdisciplinaire constituait un défi passionnant.
«Au début, j'avais des doutes, mais ensuite j’ai réalisé que cela amènerait d’intéressants défis mathématiques à relever», indique M. Šikić, qui avait peu d'expérience dans l'application de modèles mathématiques à la biologie.
L'idée lui est venue d'un ami, le biologiste américain Steven Bassnett, expert reconnu dans le domaine de la biologie des cellules du cristallin.
La difficulté, explique M. Šikić, était de renoncer au travail solitaire du mathématicien, habitué à fonctionner dans l'abstrait, et d'apprendre à travailler au sein d'une équipe plus large, opérant dans le monde réel.
Processus de croissance unique
La collaboration a créé le premier modèle mathématique de croissance du cristallin. Celui-ci montre de quelle façon les cellules du cristallin changent au fil du temps du fait que le cristallin évolue tout au long de la vie d’un individu.
Le cristallin a cela d’unique qu’il grandit grâce à l'ajout de nouvelles cellules dans la capsule, la membrane élastique qui l'entoure. Les anciennes cellules ne sont pas éliminées: elles sont concentrées au centre de l'organe.
Les conclusions de l'équipe de M. Šikić ont permis d’orienter les techniques de chirurgie de la cataracte.
L'équipe a aussi déterminé de quelle façon le processus de croissance de l'œil contribue au développement de la cataracte, conjointement à des facteurs de risque connus tels que l'exposition aux rayons ultraviolets. Les résultats ainsi obtenus permettent de mieux comprendre comment nous pourrions retarder ou prévenir l'apparition de problèmes oculaires.
«L'impact de la cataracte reste assez important partout dans le monde et en particulier dans les pays en développement, où elle reste l'une des principales causes de cécité», a déclaré M. Šikić.
Protégé contre le cancer
MM. Bassnett et Šikić se penchent actuellement sur l'un des aspects les plus surprenants de leurs recherches: pourquoi le cristallin semble protégé contre le cancer.
«Les cellules du cristallin en elles-mêmes n'ont aucune caractéristique particulière susceptible de stopper le cancer, le tissu est semblable à la peau», explique M. Šikić. «Nous cherchons actuellement à déterminer si l'absence de cancer dans ce tissu est liée à son processus de croissance unique.»
«L'idée nous est venue lorsque nous travaillions dans le cadre du projet MOLEGRO. C’est une hypothèse intrigante et inédite qui sera certainement accueillie avec un certain scepticisme. C'est pourquoi elle doit être solidement argumentée. Mais nous sommes en train d’analyser différents modèles concrets et nous pensons pouvoir achever nos travaux et les soumettre pour évaluation d’ici deux ans.»
Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par le programme-cadre de l’UE et, dans le cas du projet OBERON, par le biais des Actions Marie Skłodowska-Curie (MSCA). Les opinions des personnes interrogées ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne.
Plus d’infos
- MOLEGRO
- OBERON
- Site Web du projet OBERON
- Recherche et innovation de l’UE dans le domaine de la santé
Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.