USA: les subventions vont contre la croissance

Anne O. Krueger est professeur d’économie internationale à la faculté de hautes études internationales de l’université Johns Hopkins et membre du Centre pour le développement international de l’université de Stanford. Elle a été économiste en chef de la Banque mondiale et première directrice générale adjointe du FMI.

Anne O. Krueger, Anne O. Krueger, ancienne économiste en chef de la Banque mondiale et ancienne première directrice générale adjointe du Fonds monétaire international, est Senior Research Professor en économie internationale à la School of Advanced International Studies de la Johns Hopkins University et Senior Fellow au Center for International Development de l'Université de Stanford.
Par Anne O. Krueger Publié le 1 août 2023 à 4h00
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USA: les subventions vont contre la croissance - © Economie Matin
3%L'inflation au Japon dépasse 3%.

Jusqu'en 2017, la politique commerciale des USA était alignée avec leurs objectifs stratégiques. Ils étaient la première économie mondiale, la première puissance militaire mondiale, et leur alliance avec les pays européens et d'autres renforçait leur sécurité et sous-tendait la prospérité de tous. Ils exerçaient un leadership mondial grâce à des institutions telles que l'Organisation mondiale du commerce, veillant à un cadre juridique commun favorable à la croissance économique et aux échanges internationaux.

Vint alors Donald Trump qui ouvrit une ère de protectionnisme, s'aliénant sans nécessité nombre d'amis et d'alliés. Son successeur, Joe Biden, a tenté de réparer au moins en partie les dégâts, mais sans revenir sur beaucoup d'éléments clé de la politique commerciale trumpienne.

La politique des USA à l'égard du Japon, un allié important pour eux, en est une bonne illustration. Ce pays dépend depuis longtemps d'eux pour sa sécurité, une situation qui date de sa défaite à l'issue de la Deuxième Guerre mondiale. Lorsqu'Abe Shinzō était Premier ministre, le Japon a renforcé ses capacités militaires et affiché une plus grande volonté de défendre ses alliés et ses intérêts stratégiques dans la région, notamment en ce qui concerne Taïwan, mais il a encore besoin du parapluie américain. Le Japon est aussi très dépendant du commerce, et joue un rôle économique essentiel en Asie et dans le reste du monde. Aussi l'évolution du Japon est-elle lourde de conséquence pour tous. Et maintenant que la Chine fait jouer ses muscles, le rôle du Japon est devenu aussi important sur le plan géopolitique que commercial.

Le Japon était un pays relativement pauvre avant la Deuxième Guerre mondiale, et en raison des destructions à grande échelle qu'il a subies, il est sorti de la guerre encore appauvri. Mais à la fin des années 1950, la reconstruction du pays et une politique économique appropriée ont inauguré 30 ans de croissance phénoménale. Dans les années 1980, le Japon était devenu une puissance économique, ce qui a conduit d'autres pays à prendre des mesures protectionnistes à son encontre. Ce fut le cas de la restriction "volontaire" de l'exportation des véhicules produits au Japon qui lui a été imposée par le gouvernement américain sous la présidence Reagan.

L'économie nippone est néanmoins restée en forte croissance. Mais son expansion sur trois décennies avait gonflé une bulle financière qui a fini par éclater en 1990, inaugurant deux "décennies perdues" de stagnation de la production et de déflation. Par la suite la crise financière mondiale de 2008-2009 a porté un nouveau coup à l'économie du Japon. Au cours de la décennie suivante, son taux de croissance n'a augmenté que légèrement avant de décliner à nouveau avec l'apparition de la pandémie de Covid-19.

Mais la tendance est peut-être en train de s'inverser. Au cours des deux dernières années, le Japon a largement compensé l'impact du vieillissement de la population et de la diminution de la main-d'œuvre en ouvrant ses portes à l'immigration. Il s'est redressé après le choc de l'éclatement de la bulle des actifs et les attentes déflationnistes se sont affaiblies.

Mais il est trop tôt pour célébrer la victoire sur la stagnation et la déflation, notamment parce que la politique des USA continue de nuire à l'économie nippone. Au milieu des années 2010, les Japonais avaient soutenu avec enthousiasme le Partenariat transpacifique (TPP, Trans-Pacific Partnership) que le président Barack Obama avait négocié avec 11 autres pays riverains du Pacifique. Malgré l'exclusion de la Chine, le TPP aurait créé la plus grande zone de libre-échange qui ait jamais existé. Mais Trump a retiré les USA du TPP dès les premiers jours de son mandat, cédant ainsi le terrain à leur grand rival. Abe avait mené avec succès une politique visant à créer malgré tout une zone de libre-échange ; néanmoins l'absence des USA a empêché cet accord de devenir un catalyseur majeur de croissance.

Pire encore, le gouvernement Biden a non seulement conservé la plupart des mesures protectionnistes de Trump, mais il a également fait adopter des lois telles que la loi sur réduction de l'inflation et la loi "CHIPS and Science" qui menacent directement l'économie japonaise et celles de beaucoup d'autres pays "amis" des USA.

Les exportations automobiles sont un pilier de l'économie du Japon, et certaines entreprises du pays ont été parmi les premières à se lancer dans la production de véhicules et de batteries électriques. Or la loi sur la réduction de l'inflation permet désormais de subventionner les achats de voitures électriques à hauteur de 7 500 dollars par véhicule, à condition qu'elles aient été fabriquées aux USA - ce qui défavorise les concurrents installés au Japon et dans les autres pays étrangers. De même dans un autre secteur clé, la loi CHIPS permet de subventionner la construction d'unités de production de semi-conducteurs aux USA, au détriment des fabricants japonais. Pour couronner le tout, les USA demandent au Japon de ne plus vendre à la Chine des produits contenant des composants fabriqués aux USA et jugés sensibles pour leur sécurité.

Dans ce contexte, les entreprises nippones investissent davantage aux USA – autrement dit elles investissent moins au Japon. Comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement Biden envisage d'étendre les mesures protectionnistes (comme celles en faveur des véhicules électriques et des semi-conducteurs fabriqués aux USA) à un grand nombre de secteurs, ce qui incitera encore davantage les entreprises nippones à délocaliser leurs productions ou leurs investissements.

De manière générale, même en l'absence de représailles des autres pays, subventionner des secteurs industriels ou des entreprises nuit à l'économie, car cela fausse la concurrence. Mais les "amis" des USA réagissent parfois en subventionnant davantage leurs propres entreprises que ne le font les USA. Conséquence : les contribuables des pays qui accordent des subventions sont contraints de financer des mesures qui s'annulent les unes les autres, tandis que des entreprises efficaces perdent des parts de marché face à d'autres moins efficaces.

Dans une période où les USA demandent à leurs alliés d'augmenter leurs dépenses militaires face au défi chinois, ce gaspillage relève de la folie pure. Il serait bien plus efficace pour les USA et leurs alliés d'adopter des mesures en faveur de la croissance (comme le renforcement de la recherche et de l'innovation et celui de la qualification de la main d'œuvre) pour atteindre leurs objectifs économiques et géopolitiques.

© Project Syndicate 1995–2023

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Anne O. Krueger, Anne O. Krueger, ancienne économiste en chef de la Banque mondiale et ancienne première directrice générale adjointe du Fonds monétaire international, est Senior Research Professor en économie internationale à la School of Advanced International Studies de la Johns Hopkins University et Senior Fellow au Center for International Development de l'Université de Stanford.

ancienne économiste en chef de la Banque mondiale et ancienne première directrice générale adjointe du Fonds monétaire international, est Senior Research Professor en économie internationale à la School of Advanced International Studies de la Johns Hopkins University et Senior Fellow au Center for International Development de l'Université de Stanford.

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