Tout devrait être clair : l’activité ralentit, l’inflation reflue, le cycle de resserrement monétaire touche à sa fin dans les économies développées, l’assouplissement a débuté dans les économies émergentes (Chili et Brésil). Les taux longs devraient baisser et les actions commencer à refléter des perspectives économiques malgré tout moins porteuses alors que les prévisions de croissance bénéficiaire des entreprises restent élevées.
Encore loin de Jackson Hole
La réalité est un peu différente au cœur de l’été : les actions ont baissé (-3,0 % pour le MSCI AC World en dollars entre fin juillet et le 9 août) mais le rendement du T-note américain à 10 ans s’est tendu de 12pb (à 4,08 % le 9 août). Le 3 août, il s’inscrivait à 4,18 %, au plus haut depuis début novembre 2022. Au cours des derniers jours, les mouvements de courbe ont été désordonnés reflétant les hésitations des investisseurs quant au scénario à adopter.
Les anticipations en matière de politique monétaire de la Fed se sont pourtant stabilisées depuis un mois. Les marchés reflètent le maintien du taux objectif des fonds fédéraux dans l’intervalle 5,25 % – 5,50 % à l’issue de la prochaine réunion du FOMC (Federal Open Market Committee) le 20 septembre et le taux des fonds fédéraux à fin 2024 est relativement stable à un peu plus de 4,00 %.
La communication de la Fed devrait s’attacher dans les prochains mois à clarifier ses intentions en matière d’assouplissement en 2024. Pour l’instant Jerome Powell s’est refusé à préciser quel niveau d’inflation pourrait permettre d’entamer la baisse des taux. Un tel mouvement est prévu dans le dernier Dot plot (graphique qui reflète le taux jugé approprié par les membres du FOMC), mais avec une dispersion assez importante des opinions. Le colloque annuel organisé par la Fed de Kansas City, qui réunira de nombreux banquiers centraux à Jackson Hole du 24 au 26 août sur le thème des changements structurels de l’économie mondiale, pourrait permettre au Président de la Fed de poser de premiers jalons.
La récente nervosité des investisseurs sur les marchés obligataires résulte de différents facteurs : la dégradation de la note souveraine des Etats-Unis par Fitch le 2 août, un programme d’émissions obligataires chargé, les tensions sur les obligations gouvernementales japonaises depuis l’ajustement de la politique de contrôle de la courbe des taux par la Banque du Japon le 28 juillet et, surtout, la résistance des indicateurs économiques aux Etats-Unis.
Des indicateurs moins solides qu’il n’y paraît ?
Le dernier rapport sur l’emploi publié vendredi 4 août aux Etats-Unis n’a pas vraiment déçu (187 000 créations nettes en juillet contre 200 000 attendues) mais c’est le deuxième mois consécutif où les créations sont inférieures à 200 000 après la révision à la baisse des chiffres précédents (-49 000 cumulés en mai et juin). Par ailleurs, comme cela avait été le cas pour les créations d’emploi en janvier, les facteurs de saisonnalité ont pu artificiellement augmenter les chiffres de juillet. Au-delà de ces considérations statistiques, il est indéniable que le rythme de créations d’emploi ralentit. Cette tendance est corroborée par d’autres éléments (comme le nombre d’heures travaillées chaque semaine ou le recours à l’intérim) même si le taux de chômage a baissé à 3,5 % en juin et que les salaires ont réaccéléré par rapport au mois précédent.
La confiance des consommateurs s’est nettement redressée en juillet : l’indice de l’Université du Michigan et celui du Conference Board ont retrouvé leur plus haut niveau depuis, respectivement, octobre 2021 et juillet 2021. Au-delà des indices, les différentes composantes de ces enquêtes se sont améliorées grâce à un marché du travail porteur et au ralentissement de l’inflation.
Au même moment, les propriétaires de petites entreprises témoignent de leurs difficultés à embaucher, de la faiblesse de la demande, et de la hausse de leurs coûts de production. L’indice du NFIB – National Federation of Independent Business, qui mesure leur confiance est nettement inférieur à sa moyenne de long terme (98) depuis janvier 2022 (91,9 en juillet). Le taux moyen que les entrepreneurs déclarent payer sur les prêts à court terme a été de 8,5 % en juillet (après 9,2 % en juin, qui était le taux le plus élevé depuis juin 2007).
Des inquiétudes sur l’inflation en Chine
La semaine passée, nous avons présenté notre scénario central sur l’économie chinoiseen soulignant le risque non négligeable d’une croissance inférieure à l’objectif du gouvernement cette année. Dans cette éventualité, le gouvernement serait alors contraint d’agir plus vite et plus fort.
Il est encore trop tôt pour dire si les récents indices de prix serviront de déclencheur mais le passage de l’inflation de 2,1 % en glissement annuel en janvier à -0,3 % en juillet a inquiété les observateurs qui ont voulu y voir un nouveau signe d’essoufflement de la reprise. Le net recul des exportations et, surtout, des importations en juillet a renforcé cette impression.
Le Président Biden a signé le 9 août un décret réglementant les investissements américains dans les entreprises technologiques chinoises, une décision qui s’inscrit dans la droite ligne des précédentes concernant le secteur. La Chine a évoqué de possibles réactions. Au-delà de l’aspect diplomatique, relancer la croissance et rassurer les investisseurs internationaux pourraient constituer une réponse.
Quelle allocation privilégier ?
Le contexte économique qui se dessine paraît plus favorable aux marchés obligataires : moins d’inflation et moins de croissance pourraient inciter les banques centrales à considérer qu’elles ont accompli leur mission et ouvrir des perspectives d’assouplissement des politiques monétaires. En outre, compte tenu de la progression des marchés actions depuis le début de l’année, les valorisations relatives – mesurées comme l’écart de rendements entre les obligations et les actions – devraient soutenir les obligations. Le thème du portage des titres obligataires, notamment sur la partie courte des courbes, retient d’ailleurs de plus en plus l’attention des investisseurs.
De surcroît, les valorisations absolues des actions nous paraissent tendues, la progression des indices résultant essentiellement de l’expansion des multiples, en particulier sur les valeurs technologiques. Enfin, d’un point de vue technique, le sentiment et le positionnement des investisseurs nous paraissent trop optimistes alors que d’autres facteurs (faible taux de couverture, volumes réduits, comportement de la volatilité implicite) sont désormais proches de niveaux extrêmes.