Le 14 avril 2025, l’Université de Harvard a annoncé qu’elle refusait de se soumettre à une série d’exigences formulées par l’administration de Donald Trump. En représailles, Washington a ordonné le gel immédiat de 2,2 milliards de dollars (2,06 milliards d’euros) de financements fédéraux. Cet affrontement frontal entre un ancien président revenu en croisade idéologique et l’université la plus prestigieuse des États-Unis soulève des questions vertigineuses sur les limites du pouvoir exécutif et la survie d’un enseignement supérieur libre.
Crise à Harvard : Trump coupe les vivres, l’université contre-attaque

Harvard face à Trump : l’intimidation ne passera pas
La Maison-Blanche n’a pas lésiné sur les moyens. Dans une lettre adressée à l'Université de Harvard le 12 avril 2025, l’administration Trump a détaillé dix catégories de réformes exigées pour maintenir « la relation financière » entre l’université et l’État fédéral. Ces exigences incluent, entre autres :
- la suppression des programmes de diversité, équité et inclusion (DEI),
- l’abandon de toute forme d’anonymat dans les manifestations étudiantes,
- l’audit idéologique de chaque département,
- la coopération avec les autorités migratoires
- et l’exclusion des groupes étudiants suspectés de promouvoir « des activités criminelles ou du harcèlement illégal ».
Un représentant du département de l’Éducation justifie ainsi la manœuvre : « Harvard est sanctionnée pour avoir refusé de se conformer à des demandes fédérales destinées à résoudre des violations des droits civiques ».
Mais la réponse de l’université n’a pas tardé. Son président, Alan M. Garber, a déclaré dans une lettre ouverte publiée sur le site officiel de Harvard le même jour : « L’Université ne renoncera pas à son indépendance ni à ses droits constitutionnels ». Il ajoute que « la majorité des exigences ne visent pas réellement à combattre l’antisémitisme, mais bien à imposer un contrôle gouvernemental direct sur les conditions intellectuelles de l’institution ».
Ce que Harvard risque : bien plus qu’un gel de financements
Derrière cette suspension se cache un bouleversement aux répercussions scientifiques, médicales et économiques majeures. Le site officiel de l’université précise que 68% de ses revenus de recherche sont issus de fonds fédéraux. Le gel actuel met en péril des projets majeurs dans :
- le traitement de cancers complexes (immunothérapies, thérapies ciblées),
- la recherche sur Alzheimer et la maladie de Parkinson,
- le développement de médicaments pour le diabète de type 2 et l’obésité,
- la lutte contre les maladies infectieuses et les épidémies émergentes
- et la transplantation d’organes grâce à des greffes d’origine animale (xénogreffes).
« Toutefois, la réduction du financement de la recherche ne contribuera pas à cet important travail. Elle mettra en péril des traitements qui sauvent des vies ainsi que des travaux qui garantissent la sécurité économique et la défense de notre pays », écrit encore le président Garber dans une tribune publiée le 14 avril 2025 sur le site de l’université. La formule ne pourrait être plus limpide : les conséquences dépassent de loin Harvard.
La croisade de Donald Trump contre l’université « woke »
Cette décision s’inscrit dans un projet plus large de « désempoisonnement idéologique » des universités américaines mené par l’administration Trump. Comme le révèle le journal The Guardian, une task force antisémite composée de 20 fonctionnaires sous l’égide du ministère de la Justice mène une enquête étendue sur une soixantaine d’établissements. Harvard est la première à avoir refusé de plier. L'Université de Columbia, en revanche, a accepté des demandes similaires, notamment l’interdiction du port du masque lors des manifestations.
La rhétorique de Donald Trump est directe. Il accuse les grandes universités de favoriser un climat hostile aux étudiants juifs, sur fond de manifestations pro-palestiniennes, notamment liées à la guerre entre Israël et les Palestiniens. « Le harcèlement des étudiants juifs est intolérable », a déclaré le président américain. Et d’ajouter que « les universités doivent prendre ce problème au sérieux si elles souhaitent continuer à bénéficier de l’argent des contribuables ».
Réactions, mobilisations et ripostes judiciaires
À Cambridge (État de Massachusetts), où est située l'Université de Harvard, le campus s’est embrasé. Le 12 avril 2025, des centaines de manifestants ont défilé pour soutenir la direction. La riposte s’organise aussi sur le plan judiciaire. Des professeurs de Harvard ont déposé plainte contre le gouvernement, l’accusant de violer la liberté d’expression protégée par le Premier amendement.
Quant à l’ancien président Barack Obama, il a déclaré sur son compte X : « Harvard a montré l'exemple aux autres établissements d'enseignement supérieur en rejetant une tentative illégale et maladroite d'étouffer la liberté académique, tout en prenant des mesures concrètes pour s'assurer que tous les étudiants de Harvard puissent bénéficier d'un environnement de recherche intellectuelle, de débat rigoureux et de respect mutuel. Espérons que d'autres institutions suivront cet exemple ».
Dans cette affaire, Harvard incarne bien plus qu’une université. Elle devient le symbole d’un bastion intellectuel assiégé, défendant pied à pied ses principes fondateurs. En gelant brutalement ses financements, Donald Trump ne remet pas seulement en question une ligne budgétaire : il teste la résilience d’une institution et, avec elle, celle de l’enseignement supérieur libre dans une démocratie en tension.