Ukraine – États-Unis : un cessez-le-feu sous condition ?

Un cessez-le-feu suspendu au bon vouloir de Moscou, une aide militaire américaine débloquée sous conditions, un accord économique qui soulève des interrogations. Derrière les négociations officielles entre Washington et Kyiv, une autre bataille se joue : celle des ressources stratégiques ukrainiennes. L’accord signé le 11 mars 2025 en Arabie Saoudite engage aussi l’avenir économique de l’Ukraine.

Paolo Garoscio
Par Paolo Garoscio Publié le 12 mars 2025 à 6h24
assurance, berd, Europe,, Ukraine, aide, entreprise, reconstruction, développement
Assurance : l’UE lance un dispositif d’aide pour l'Ukraine - © Economie Matin
31%Les dépenses militaires européennes ont bondi de 31 % après l'agression de l'Ukraine

Ukraine : un cessez-le-feu sous pression et un appui militaire relancé

À l’issue des discussions à Jeddah, l’Ukraine a accepté une trêve de trente jours, à condition que la Russie en fasse de même. En échange, les États-Unis ont levé la suspension de leur aide militaire, bloquée depuis plusieurs semaines. La Maison-Blanche cherchait ainsi à pousser Kyiv à une approche plus diplomatique après un entretien houleux entre Donald Trump et Volodymyr Zelenskyy en février 2025.

L’accord, salué par Washington comme une avancée diplomatique majeure, permet aux forces ukrainiennes de bénéficier à nouveau d’armes, de munitions et du partage de renseignements. Mais cet engagement, présenté comme un simple levier militaire, cache une négociation plus profonde sur les ressources stratégiques de l’Ukraine.

L’accord sur les minerais : les USA ont-ils fait plier Kyiv ?

Parallèlement au cessez-le-feu, un accord économique a été négocié entre Washington et Kyiv. Il concerne l’exploitation des minerais rares ukrainiens, un secteur clé pour les industries de haute technologie et l’armement. Ce volet de l’accord a été peu mis en avant par les responsables américains, mais il représente un enjeu stratégique majeur.

L’Ukraine possède l’une des plus importantes réserves européennes de terres rares, lithium et titane, indispensables pour la production de batteries, de semi-conducteurs et d’équipements militaires. Depuis plusieurs années, les États-Unis cherchent à réduire leur dépendance vis-à-vis de la Chine en matière de minerais critiques. Kyiv apparaît donc comme un fournisseur idéal.

Selon les termes de l’accord, les entreprises américaines obtiendraient un accès privilégié aux ressources minières ukrainiennes. En échange, Washington s’engage à financer une partie de la reconstruction des infrastructures minières détruites par la guerre et à garantir une aide économique. L’accord a été minimisé Marco Rubio, secrétaire d’État américain, qui le déclare totalement secondaire aux discussions pour la paix. Pourtant, le document signé à Jeddah mentionne bien un partenariat renforcé sur l’exploitation des ressources ukrainiennes.

Kyiv sous pression : la dépendance des Etats-Unis se confirme

Pour l’Ukraine, ce contrat est à double tranchant. D’un côté, il permet d’obtenir un soutien militaire immédiat et de relancer un secteur clé de son économie. De l’autre, il renforce sa dépendance vis-à-vis de Washington, qui pourrait dicter les conditions d’exploitation des minerais en fonction de ses propres intérêts stratégiques.

Certains analystes y voient un troc diplomatique plutôt qu’un véritable soutien à long terme. En échange de cette exploitation, Kyiv doit non seulement cesser temporairement ses offensives militaires, mais aussi ouvrir davantage son économie aux capitaux américains.

Moscou face à un piège diplomatique

De son côté, la Russie n’a pas encore officiellement répondu à l’offre de cessez-le-feu, mais plusieurs figures du Kremlin ont déjà exprimé leur scepticisme. Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, a qualifié l’accord de « mascarade », estimant qu’il s’agit d’un moyen pour l’Ukraine de se renforcer militairement sous couvert de paix.

Vladimir Poutine exige que Kyiv renonce à son adhésion à l’OTAN et reconnaisse la souveraineté russe sur les territoires occupés. À cela s’ajoute la question des ressources minières, que Moscou surveille de près. Une Ukraine sous influence américaine pourrait priver la Russie d’un accès aux minerais stratégiques qu’elle convoite également.

La réaction russe reste donc incertaine. Si Moscou accepte le cessez-le-feu, elle s’offre un temps de réorganisation militaire. Si elle le rejette, elle risque de renforcer la position américaine et d’accroître son isolement diplomatique.

L’Europe divisée face à l’accord

Les capitales européennes, bien que favorables à une trêve, se montrent plus prudentes sur l’exploitation économique du pays. Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen ont salué la tentative de désescalade mais n’ont pas commenté la question des minerais.

Certains États européens pourraient voir d’un mauvais œil une trop grande influence américaine sur les ressources naturelles ukrainiennes, qui auraient pu être exploitées dans un cadre européen. Cet accord économique risque donc de créer des tensions au sein même des alliés de Kyiv, en renforçant la mainmise des États-Unis sur les secteurs stratégiques du pays.

Enfin un pas vers la paix ?

L’accord signé à Jeddah place l’Ukraine dans une position délicate. Sur le plan militaire, elle sécurise une trêve temporaire et renoue avec le soutien de Washington. Mais sur le plan économique, elle ouvre la porte à une influence américaine grandissante, notamment sur ses ressources stratégiques.

Si Moscou refuse l’offre de cessez-le-feu, la guerre se poursuivra et l’Ukraine continuera de dépendre de l’aide occidentale. Si la Russie accepte, un nouveau cycle de négociations diplomatiques pourrait s’amorcer, avec en toile de fond la bataille pour le contrôle des ressources naturelles ukrainiennes.

Loin d’être un simple accord militaire, ce cessez-le-feu cache un enjeu économique de taille. L’Ukraine joue son avenir sur deux fronts : celui de la guerre et celui de son indépendance économique.

Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint Après son Master de Philosophie, s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

Aucun commentaire à «Ukraine – États-Unis : un cessez-le-feu sous condition ?»

Laisser un commentaire

* Champs requis