Taxes suspendues, marchés en feu : Trump a-t-il manipulé les cours de la Bourse ?

Le 9 avril 2025, Donald Trump a suspendu la majorité des droits de douane réciproques, provoquant un bond historique des marchés financiers. Mais derrière cette euphorie boursière, une controverse inédite agite la scène politique américaine : le président a-t-il volontairement manipulé les marchés pour favoriser des intérêts privés ?

Paolo Garoscio
By Paolo Garoscio Published on 10 avril 2025 6h21
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Taxes suspendues, marchés en feu : Trump a-t-il manipulé les cours de la Bourse ? - © Economie Matin
125%Trump a suspendu ses taxes douanières sauf pour la Chine taxée à 125%.

Guerre commerciale : Trump déclenche la tempête en suspendant les droits de douane

Ce mercredi 9 avril 2025 restera gravé dans l’histoire économique des États-Unis. À 10h34, Donald Trump publie un message abrupt sur Truth Social : « J’ai autorisé une PAUSE de 90 jours et un tarif réciproque considérablement abaissé à 10 %, également effectif immédiatement. » Une annonce tombée comme un couperet dans le tumulte d’une semaine marquée par les menaces protectionnistes parmi les plus sévères de l’histoire des Etats-Unis.

Depuis plusieurs jours, Trump multipliait les discours martiaux contre les partenaires commerciaux des États-Unis, en promettant une « remise à zéro totale » du système douanier mondial. Le 2 avril, il avait proclamé le lancement d’une offensive tarifaire baptisée « Liberation Day », prévoyant des droits d’au moins 10 % sur toutes les importations, avec un relèvement spécifique à 125 % sur les produits chinois.

Mais une semaine plus tard, revirement total : Trump désamorce une large partie de cette bombe économique, tout en maintenant le tarif punitif maximal de 125% sur la Chine. Motif invoqué : les marchés financiers s’affolent. La Bourse dévisse. Les rendements obligataires deviennent instables. Et surtout, selon Trump lui-même : « Les gens devenaient un peu nerveux. Ils étaient un peu yippy », relate ABC.

Une Bourse sous électrochoc : la suspension des taxes déclenche un bond historique

Le choc tarifaire devient un choc boursier… mais dans l’autre sens. En l’espace de quelques heures, les indices américains signent des performances qui ne s’étaient plus vues depuis la crise financière de 2008. Le Dow Jones grimpe de 7,87 %, le S&P 500 de 9,52 %, tandis que le Nasdaq bondit de 12,16 %

Les investisseurs saluent l’annonce par des achats massifs, notamment sur les valeurs technologiques et industrielles. Wall Street retrouve en une journée plus de 4 500 milliards d’euros de capitalisation boursière selon Bloomberg. Même le marché obligataire réagit : les taux à 10 ans atteignent 4,4 %, selon Yahoo Finance.

Et Trump de se féliciter avec emphase : « La plus grande journée de l’histoire financière », exulte-t-il. Pourtant, à peine quelques heures avant son annonce, il lançait à ses 90 millions d’abonnés : « THIS IS A GREAT TIME TO BUY!!! », relate The Independent.

Une décision improvisée… ou un plan orchestré ? Les soupçons d’un « délit d’initié présidentiel »

Cette proximité troublante entre les déclarations de Trump, les signaux envoyés aux marchés et la montée brutale des indices a déclenché une tempête politique à Washington.

Le mot est lâché : manipulation des marchés. Plusieurs élus démocrates évoquent un scénario de « pump and dump » : le président fait chuter les marchés avec ses annonces, achète à bas prix via des proches, puis inverse la tendance avec un revirement public.

Le sénateur Adam Schiff, relayé par Time, accuse : « Trump provoque de gigantesques fluctuations de marché avec ses politiques on/off. Ces oscillations constantes créent des opportunités dangereuses pour des délits d’initié ».

À la Maison-Blanche : entre improvisation assumée et stratégie démentie

La confusion ne se limite pas aux marchés. Au cœur même de l’administration américaine, la décision surprise de Trump a provoqué un véritable séisme. Jamieson Greer, représentant au commerce, a été pris de court… en pleine audition au Congrès. Alors qu’il défendait la cohérence de la politique tarifaire devant la commission des finances, la nouvelle tombait sur les téléphones des élus : les tarifs étaient suspendus. Stupeur.

« Si vous saviez que ces taxes allaient être suspendues, pourquoi n’en avez-vous rien dit dans votre discours d’ouverture ? », l’a interpellé le représentant démocrate Steven Horsford. Réponse de Greer : « Je ne commente pas mes échanges avec le président. »

Mais Horsford insiste : « C’est l’amateurisme le plus total. Qui est aux commandes ? Certainement pas vous. Vous venez de vous faire marcher dessus en direct. Et ce sont les Américains qui vont en payer le prix. »

Au sein de l’exécutif, certains conseillers de Trump parlent pourtant d’un mouvement « calculé », s’inscrivant dans une stratégie d’escalade maîtrisée. « C’était le plan depuis le début. L’Art du Deal en action », s’est vantée Karoline Leavitt, porte-parole de la Maison-Blanche, d’après ABC News. Mais alors, stratégie ou improvisation ? Même les marchés ne semblent plus sûrs de comprendre.

Taxe ou pas taxe ? Telle est la question

La pause sur les taxes douanières a temporairement ramené la confiance. Les entreprises exportatrices américaines ont soufflé, notamment dans l’automobile, la chimie, la tech. Le recul des taxes douanières à 10 % pour la plupart des partenaires commerciaux a levé un fardeau temporaire.

Mais l’exception chinoise reste explosive. Les droits sur les produits venus de Pékin sont maintenus à 125 %. Une manière, pour Trump, de se montrer à la fois ouvert et inflexible. Il l’a résumé ainsi : « La Chine veut un accord. Elle ne sait juste pas comment s’y prendre. Ce sont des gens fiers. »

Ce double message — tendre avec les alliés, dur avec la Chine — semble taillé pour maximiser l’effet spéculatif : rassurer les marchés occidentaux tout en mobilisant son électorat conservateur, inquiet d’un désengagement industriel prolongé. La réaction de Pékin, pour l’heure, reste mesurée. Mais les analystes redoutent une riposte asymétrique à travers les chaînes d’approvisionnement stratégiques (métaux rares, composants électroniques).

Vers une enquête parlementaire ? Le spectre du délit d’initié refait surface

Le Sénat n’a pas tardé à s’en emparer. Adam Schiff a officiellement demandé à la Maison-Blanche de révéler si des membres de l’administration avaient acquis des actions avant l’annonce présidentielle. « Le public a le droit de savoir qui a encaissé. Il y a beaucoup trop d’opportunités pour que des personnes au pouvoir se livrent à des délits d’initié. Ils ne pourront pas le cacher longtemps. »

Les transactions du jour seront examinées à la loupe. L’intervention de Trump sur les obligations — « J’ai regardé le marché obligataire, c’est très complexe… mais maintenant, c’est magnifique » — a été interprétée comme un signe que le président s’appuyait sciemment sur les réactions du marché pour ajuster ses annonces, non l’inverse.

Une méthode Trump : spéculation, volatilité, spectacle

L’épisode s’inscrit dans une tradition trumpienne bien connue : semer le chaos pour en tirer un gain immédiat. Que ce soit par l’annonce de nouvelles taxes, des menaces de guerre commerciale ou des revirements de dernière minute, Trump utilise l’incertitude comme levier économique — et politique. Sur Truth Social, il pousse ses partisans à rester confiants, en des termes toujours plus tranchants : « Ne soyez pas des PANICANS (ce nouveau parti des faibles et des idiots). Soyez forts, courageux, patients — et la GRANDEUR sera au bout. » Cette communication brutale, imprévisible, parfois incohérente, semble cependant bien calibrée pour un objectif unique : maîtriser le tempo du marché. Et ce, même au prix de ce qui semble être une manipulation des cours.

La guerre des taxes est-elle vraiment enterrée ?

En offrant une bouffée d’air aux investisseurs tout en maintenant une posture belliciste contre la Chine, Trump a peut-être réussi un double coup politique. Mais à quel prix ?

Les experts redoutent que cette stratégie ne devienne un précédent dangereux. « Si un président peut faire monter ou baisser la Bourse à volonté par tweet interposé, nous ne sommes plus dans une économie libre, mais dans une économie orchestrée depuis un bureau ovale à géométrie variable », analyse un économiste sous anonymat dans le Washington Post. Car au-delà de la question du délit d’initié, se pose celle, plus large, de la manipulation structurelle de la confiance. Or les marchés, on le sait, se nourrissent de signaux. Quand ces signaux deviennent des outils de spéculation… c’est tout l’édifice qui vacille.

Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint. Après son Master de Philosophie, il s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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