« Le temps de la mondialisation » est le titre d’un livre écrit par Guillaume Vuillemey professeur à HEC (Seuil). Ce livre est l’un des plus clairs et des plus pédagogiques jamais écrits sur la mondialisation. Nul besoin d’avoir des connaissances techniques pour le comprendre. Très bien écrit, il se lit comme un livre d’histoire. Enfin il est court (98 pages).
Le temps de la démondialisation : «protéger les biens communs contre le libre-échange» (partie 1)
Selon l’auteur, le fait central qui explique l’évolution et les dérives de la mondialisation est la « déterritorialisation » des échanges. De quoi s’agit-il ?
Historiquement, les échanges, même lointains, ont toujours été liés au monde terrestre. Pour échanger leurs marchandises, les marchands devaient traverser une série de pays, donc d’ordres politiques territorialisés qui, tous, imposaient leur droit, leurs redevances, leurs contraintes, et faisaient ainsi prévaloir une conception du bien commun.
Dans l’Antiquité, lorsqu’une marchandise voyageait par la mer, le bateau se limitait au canotage, c’est-à-dire qu’il avançait de port en port jusqu’à la destination finale. Il traversait donc également des pays qui, tous imposaient leur droit, leur redevances etc. Quelque soit le moyen de transport des marchandises (terre ou mer) celles-ci étaient traitées de manière identique.
Les produits échangés à l’époque étaient plutôt des produits rares et chers, étant donné les coûts de transport.
Un changement majeur s’est produit avec l’invention de divers instruments (compas, sablier, sonde, loch, astrolabe puis sextant etc …) qui ont permis aux hommes de traverser les mers directement d’un point à un autre. D’où les grandes découvertes des XV et XVIème siècles (Christophe Colomb, Magellan etc.)
Cette nouvelle possibilité portait en germe le développement de la mondialisation, puisqu’il devenait possible de transporter des marchandises d’un point à un autre sans traverser un quelconque pays, donc sans acquitter une multitudes de taxes, ni s’encombrer du bien commun, ou de réglementations particulières.
Adam Smith, au XVIIIe siècle, écrivit alors : « l’un des principaux effets de ces découvertes a été d’élever le système mercantile à niveau de splendeur et de gloire auxquelles il ne serait jamais arrivé sans elles ». (Page 26 du livre).
Quand l’Homme découvre que la mer est potentiellement une zone de non-droit.
Au fil du temps, la mer apparaît comme un espace qui échappe largement à toute forme de souveraineté politique. Elle devient donc, au moins potentiellement, une immense zone de non-droit. Dans cette zone, le bien commun n’existe pas, ou seulement de manière abstraite. Seuls, prévalent les intérêts privés des marchands. Les conséquences de ce changement ont été considérables.
Dès lors que les mers se sont ouvertes et que l’on a pu joindre presque tous les coins du globe sans aucune limite, les Etats ont été contraints de se mettre en concurrence les uns avec les autres pour attirer les marchands, et percevoir des taxes. Le grand bénéficiaire de cette concurrence fut évidemment le monde marchand qui a pu aisément orienter la réglementation dans une ville, voire dans un pays, afin de satisfaire au mieux ses intérêts. L’intérêt général est passé progressivement au second plan. Le droit commercial, qui ne gère que les seuls intérêts privés a pris l’avantage sur le droit civil, alors que ce dernier est le seul droit capable d’organiser la vie en société et de mettre en place les services publics indispensables à toute collectivité humaine.
Pour développer la mondialisation, il fallait également baisser les coûts de transport.
Si ces phénomènes ont joué et jouent toujours un rôle essentiel dans le développement de la mondialisation, ils n’expliquent pas tout. Il fallait aussi que le coût du transport maritime baisse, pour que la déterritorialisation des échanges puisse s’amplifier. Ceci s’est réalisé au fil du temps. L’invention des bateaux à vapeur au XIX ème siècle a permis de réduire considérablement les coûts et surtout limiter les aléas liés à la navigation à la voile.
Plus tard au XXe siècle (années 80), viendra l’utilisation des containers qui ont permis de réduire de manière extrêmement forte les frais de transport de n’importe quelle marchandise, de mieux protéger celles-ci pendant le transport et ont facilité à les opérations d’embarquement et de débarquement.
De nombreuses dérives ont également permis non seulement de réduire encore les coûts de transport, mais aussi de permettre au monde marchand de s’abstraire de toute contrainte d’ordre social ou environnemental. L’auteur cite l’exemple des pavillon de complaisance. En 1980, moins de 20 % du tonnage mondial pour les porte-conteneurs est immatriculée sous pavillon de complaisance. En 2020, ce chiffre est supérieur à 80 %. Chacun a entendu parler des scandaleuses conditions sociales imposées aux marins embauchés sur des bateaux arborant un pavillon de complaisance. Aucun contrôle n’est possible. De même, ces pavillons de complaisance permettent facilement aux armateurs de s’affranchir de toute responsabilité en cas de sinistre écologique, (marées noires ou atteintes à des massifs de coraux, par exemple). Il suffit de multiplier les sociétés écrans en installant leur siège social dans divers paradis fiscaux.
La mortifère concurrence entre Etats permet au monde marchand d’exiger toujours plus d’avantages dans toutes les parties du monde.
Dans un tel contexte, avec des Etats qui sont de plus en plus en concurrence entre eux, donc se défient entre eux, il est facile d’imaginer, que le monde marchand impose facilement des réglementations qui le favorisent (diviser pour régner). Un exemple entre mille : quand les ménages sont fortement taxés sur leur consommation de carburant, les divers acteurs du transport international (porte-conteneurs et avions de ligne) sont souvent exempts de taxation. Cette anomalie est considérable. Le transport maritime est responsable 3 % des gaz à effet de serre émis sur la planète.
Face un tel constat, que propose l’auteur ? Il ne récuse pas les avantages que le commerce mondial a pu apporter. Il précise néanmoins qu’une bonne compréhension du processus de déterritorialisation des échanges permet de relativiser ces avantages, et de mettre en avant ce dont personne ne parle, les coûts cachés de la mondialisation. Ils sont considérables, et aujourd’hui, l’emportent sur les avantages.
Selon lui, il faut réinstaurer des ordres politiques garants des intérêts collectifs. Il faut faire en sorte qu’il ne soit plus possible de poursuivre des intérêts commerciaux privés sans aucune considération pour le bien commun. Sans cela affirme-t-il, les dégâts écologiques et sociaux causés par le libre-échange continueront de s’accroître au détriment du plus grand nombre.
Il en déduit qu’une certaine dose de protectionnisme serait un moyen de rééquilibrer les rapports entre terre et mer en reterritorialisant les échanges. Les ressources ainsi collectées pourraient servir l’intérêt général. Cette solution a pour but de permettre à chaque communauté politique d’affirmer ses intérêts collectifs sociaux et environnementaux.
Dans un article à paraître demain, nous allons confronter l’analyse de ce livre avec la réalité de la mondialisation, sur la base de faits concrets et vérifiables. Si les deux se recoupent de façon indiscutable, alors il n’y aura aucun doute : il faut renégocier tous les accords de libre-échange signé par l’union européenne.
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