Taxe Zucman adoptée : les ultra-riches taxés, un camouflet pour le gouvernement

L’Assemblée nationale a adopté, le 20 février 2025, la taxe Zucman, une mesure fiscale inédite visant les ultra-riches. Le texte, porté par les écologistes et soutenu par la gauche, a recueilli 116 voix pour et 39 contre, scellant une victoire symbolique pour ses promoteurs et infligeant un revers cuisant au gouvernement, farouchement opposé à cette réforme.

Paolo Garoscio
Par Paolo Garoscio Publié le 21 février 2025 à 5h37
Taxe Zucman adoptée : les ultra-riches taxés, un camouflet pour le gouvernement
Taxe Zucman adoptée : les ultra-riches taxés, un camouflet pour le gouvernement - © Economie Matin
6,4%Le nombre de riches en France a augmenté de 6,4% en 2023.

Ce vote marque une rupture nette dans la gestion de la fiscalité des grandes fortunes en France, mais ouvre également un champ de bataille politique et économique qui ne fait que commencer. Entre clivages idéologiques, menaces d’exil fiscal et bras de fer institutionnel à venir, cette adoption secoue le paysage politique.

Taxe Zucman : une taxe conçue pour limiter l’optimisation fiscale des ultra-riches

L’idée de la taxe Zucman repose sur un constat largement documenté : les grandes fortunes ont recours à des stratégies sophistiquées pour minimiser leur imposition, souvent de manière légale, en exploitant les failles du système fiscal. Inspirée des travaux de l’économiste Gabriel Zucman, cette mesure vise à instaurer un impôt plancher de 2 % sur les patrimoines dépassant 100 millions d’euros. Concrètement, il s’agit d’une taxation minimale qui s’appliquerait même si les contribuables concernés parvenaient, via divers mécanismes d’optimisation, à réduire leur impôt sur le revenu ou leur imposition patrimoniale. L’objectif affiché est clair : garantir que les plus grandes fortunes contribuent à hauteur de leur richesse réelle. Actuellement, selon les calculs, on estime en effet que les ultra-riches en France ne paieraient que 0,5% d'impôt sur leur fortune, grâce à l'optimisation fiscale (et parfois la pure et simple fraude fiscale).

Selon les estimations de Gabriel Zucman, relayées par Le Monde, cette taxe pourrait rapporter entre 15 et 25 milliards d’euros par an à l’État, une manne qui pourrait être allouée à des politiques publiques de redistribution ou de réduction de la dette. La députée écologiste Eva Sas, rapporteure du texte, a insisté sur l’urgence d’une telle mesure, affirmant, comme le relaye RFI que « l’immunité fiscale des milliardaires, c’est terminé ». Ce discours tranche avec celui de la majorité présidentielle, qui, dès l’examen du texte, a tenté d’en minimiser la portée en mettant en garde contre les risques d’exil fiscal et d’effondrement de l’attractivité économique du pays.

Un gouvernement isolé et impuissant face au vote de l’Assemblée

Dès le début des débats, le gouvernement s’est dressé contre la taxe Zucman, dénonçant une mesure qu’il juge non seulement inefficace, mais surtout dangereuse pour l’économie nationale. La ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, a exprimé dans Europe 1 son opposition catégorique à cette réforme, qualifiant la proposition de loi de « très mauvaise idée qui va rater sa cible ». Son argument principal ? Cette taxe entraînerait une fuite massive des capitaux hors de France, les plus grandes fortunes étant parfaitement en mesure de délocaliser leurs actifs et leur résidence fiscale.

Le gouvernement s’appuie sur un précédent : la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en 2018, qui avait été justifiée par le besoin de maintenir en France les détenteurs de grandes fortunes et d’encourager l’investissement dans l’économie nationale. Une mesure d’Emmanuel Macron qui a coûté des milliards à l’État : l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI) qui a remplacé l’ISF rapporte en effet 2 à 3 milliards d’euros de moins chaque année.

Pour l’exécutif, réintroduire une taxation spécifique sur les plus riches reviendrait à annuler les effets supposés bénéfiques de cette suppression, une position que partage une partie du patronat et des milieux économiques toujours favorables aux grandes fortunes. Dans Le Figaro, plusieurs experts et chefs d’entreprise expriment leurs craintes, évoquant une mesure qui pourrait « faire fuir des investisseurs stratégiques et envoyer un signal négatif aux entrepreneurs ».

Malgré ces mises en garde, la majorité présidentielle n’a pas réussi à mobiliser suffisamment de députés pour contrer le texte, un échec qui souligne son affaiblissement progressif face à une opposition de plus en plus offensive sur les sujets fiscaux et sociaux. Plus surprenant encore, le Rassemblement national a choisi de s’abstenir, une stratégie qui interroge. En ne prenant pas position, le parti de Marine Le Pen évite de s’aliéner un électorat partagé entre une sensibilité sociale favorable à une taxation des plus riches et une frange libérale opposée à toute hausse d’impôt.

Vers un exil fiscal des ultra-riches ? Probablement pas

Si la taxe Zucman est perçue par ses partisans comme une avancée en matière de justice fiscale, ses détracteurs y voient un risque économique majeur. L’un des points de discorde réside dans le mode de calcul de cet impôt plancher, qui inclurait l’ensemble du patrimoine, y compris les parts d’entreprises détenues par les contribuables concernés. Le Monde rapporte que plusieurs économistes redoutent une déstructuration du tissu économique, car certains grands actionnaires pourraient être contraints de vendre des parts de leurs entreprises pour payer cet impôt. Un argument que la majorité présidentielle n’a pas manqué d’exploiter, sans succès.

Dans les colonnes de Europe 1, Gabriel Attal, président du parti Renaissance, a dénoncé une taxation qui « ponctionne directement l’outil de travail », notamment en ce qui concerne les actionnaires majoritaires de grandes entreprises françaises. Pour tenter d’endiguer cette critique, un amendement visant à exonérer les biens professionnels a été déposé par la majorité. Il a été rejeté, rajoutant une couche d’échec au gouvernement de François Bayrou. Selon plusieurs économistes, cette exemption aurait vidé la réforme de sa substance, d’autant que les mécanismes d’optimisation fiscale permettent déjà aux grandes fortunes de réduire leur exposition fiscale.

La question de l’exil fiscal demeure également au cœur du débat. Selon les opposants à la taxe Zucman, les 2 000 contribuables concernés pourraient rapidement organiser leur départ fiscal hors de France, ce qui réduirait drastiquement les recettes attendues. Un phénomène qui s’était déjà produit sous François Hollande avec l’instauration de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. Pourtant, les partisans du texte, s’appuyant sur des études menées par Gabriel Zucman et Thomas Piketty, affirment que l’impact de l’exil fiscal est souvent surestimé et que la plupart des grandes fortunes restent en France en raison des infrastructures et opportunités qu’offre le pays.

Un avenir incertain pour la taxe Zucman

L’adoption de la taxe Zucman n’est qu’une première étape. Le texte doit encore être examiné par le Sénat, où la droite dispose d’une majorité qui pourrait soit bloquer purement et simplement la réforme, soit l’amender en profondeur. Un rejet en bloc semble probable, mais la pression politique exercée par la gauche et les écologistes pourrait rendre toute suppression du texte politiquement coûteuse.

Au-delà de l’Hexagone, la tendance mondiale est claire : on est dans un contexte international de débat sur la taxation des ultra-riches. Des économistes et responsables politiques plaident pour une harmonisation fiscale européenne, afin d’éviter la mise en concurrence des pays et les stratégies d’optimisation agressives. La question d’une taxation globale des grandes fortunes est également portée au sein de l’OCDE, où certaines pistes de réflexion émergent. Quant à la taxe mondiale de 15 % sur les plus fortunés, elle a du plomb dans l’aile depuis l’élection de Donald Trump.

Reste à savoir si cette taxe, perçue par ses défenseurs comme une avancée historique en matière de fiscalité des grandes fortunes, parviendra à franchir les multiples obstacles qui l’attendent. Son adoption par l’Assemblée a déjà eu un impact considérable : elle a mis en lumière l’isolement croissant du gouvernement sur les questions fiscales, fragilisé sa majorité, et renforcé les clivages entre ceux qui défendent une fiscalité plus progressive et ceux qui craignent une atteinte à l’attractivité économique du pays.

Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint. Après son Master de Philosophie, il s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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