Le resserrement de la politique monétaire devrait s’avérer moins fort que prévu. A l’approche du taux terminal, les courbes continuent de se pentifier.
Des taux d’intérêt proches de leur point d’inflexion
Pour la première fois depuis que les banques centrales ont commencé à durcir leurs politiques monétaires, les marchés financiers ont été confrontés à un choc franc et brutal la semaine dernière. Jusqu’à présent, les effets du cycle de resserrement des conditions financières ont été limités, la consommation restant soutenue et les entreprises très rentables. Mais aujourd’hui, la principale question est de savoir si les difficultés des banques régionales américaines (1) et celles du Crédit Suisse auront un effet de contagion et affecteront les instituts financiers du monde entier.
Un tel scénario amènerait les banques centrales des marchés développés à interrompre leur cycle de hausse plus tôt que prévu, voire à faire marche arrière. Pour l’heure, il ne s’agit pas de notre scénario central. Cependant, la probabilité que les taux directeurs aient touché leur plus haut a significativement augmenté.
Comme dans le cas du Crédit Suisse, les marchés sont occupés à chercher « le maillon faible ». Il en résulte une fuite vers des valeurs refuges telles que les Bunds ou les bons du Trésor américain. Par ailleurs, la crainte d’un effet de contagion, d’une réplique de la crise financière de 2008 et d’une nouvelle crise de la dette souveraine en Europe exerce une forte pression à la baisse sur les taux. Cette tendance est encore accentuée par le fait qu’un revirement de la politique monétaire (courbe en U) est attendu.
À court terme, cela présente plusieurs risques :
- Y a-t-il une banque périphérique en difficulté ? Si oui, cela signifierait une augmentation des écarts de rendement entre les pays périphériques et les pays refuges comme l’Allemagne. Une telle hypothèse paraît très peu probable, car d’une part les problèmes du Crédit Suisse semblent de nature idiosyncratique et d’autre part, les régulateurs sont conscients de la nécessité de maintenir intacte la confiance dans le système financier. Cela a d’ailleurs été confirmé par les derniers communiqués de presse de la BCE et de la Fed. Si le risque de contagion venait à augmenter, les banques centrales prendraient des mesures fortes. Lors de sa réunion du 16 mars dernier, la BCE a confirmé qu’elle utiliserait si nécessaire l’IPT (instrument de protection de la transmission) de manière à « lutter contre une dynamique de marché injustifiée, désordonnée qui représente une menace grave pour la transmission de la politique monétaire » (2). Or l’inconditionnalité et l’absence de limite d’achat de l’IPT lui confèrent une grande crédibilité, laquelle a d’ailleurs trouvé son illustration lors du récent relèvement des taux directeurs. Ce dernier n’a en effet pas donné lieu à une augmentation des écarts de rendements des marchés européens de la périphérie.
- Un autre risque à court terme serait celui d’une modification sensible de la trajectoire de la BCE. Cela paraît peu probable, même si sa politique macroprudentielle est susceptible d’affecter sa politique monétaire puisqu’il lui incombe également d’assurer la stabilité financière. Christine Lagarde a clairement indiqué que la décision de relever les taux de 50 points de base était parfaitement en ligne avec l’objectif de lutte contre l’inflation, mais que le maintien de la stabilité financière devait être soigneusement calibré avec l’objectif principal de stabilisation des prix de la BCE. Ce discours de la présidente de la BCE a été l’un des meilleurs parmi ceux qu’elle a prononcés, comme en témoigne le calme observé par les marchés durant la conférence de presse.
De son côté, la Banque d'Angleterre a montré comment garder le cap initial de sa politique monétaire même lorsqu’il faut utiliser temporairement son bilan pour résoudre un problème. Cependant, il convient de souligner qu’un choc bancaire accélère la transmission de la politique monétaire par le biais du crédit. En effet, ce choc amène les banques à devenir plus prudentes dans l’octroi de prêts, tant sur le plan de leur taille que de leurs conditions, et vient se substituer d’une certaine manière à une augmentation des taux d’intérêt de la part des autorités monétaires.
A moyen terme, l’orientation de la politique monétaire à adopter est en revanche moins claire, car l’inflation ne diminue pas aussi rapidement que prévu. Si les prix de l’énergie reculent fortement, l’inflation de base persiste et cela est préoccupant. Par ailleurs, même si la transmission de la politique monétaire se trouve amplifié par le biais du crédit, son rythme d’augmentation de taux pourrait être trop lent. Ce risque est d’autant plus grand que l’incertitude concernant le délai de répercussion des décisions monétaires augmente.
Avant les récents événements intervenus sur le marché, il était évident que l’on approchait du point haut du cycle de normalisation des taux directeurs de la BCE. Depuis, il est probable que les conditions monétaires deviennent plus restrictives et forcent au minimum la BCE à ralentir le rythme de hausse des taux, même si la trajectoire de l’inflation n’est pas tout à fait conforme à l’objectif. Une fois encore, le mantra des banques centrales sera le suivant : mieux vaut prévenir (attendre que les effets de la politique monétaire se déploient pleinement) que guérir (de devoir procéder par la suite à un assouplissement des conditions financières bien plus marqué que le durcissement antérieur à cause d’une erreur de politique monétaire trop restrictive).
(1) Ces difficultés ont jusqu’à présent un caractère idiosyncratique et représentent un échec tant sur le plan de la réglementation que sur celui des modèles d'affaires de ces banques.
(2) https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2023/html/ecb.mp230316~aad5249f30.fr.html