Le niveau plus élevé d’absentéisme dans le secteur public que dans le secteur privé est couramment expliqué par des « effets de structure ». La proportion de femmes et de personnes expérimentées (seniors) travaillant dans le secteur public étant plus importante que dans le secteur privé, ces personnes auraient une propension plus forte à s’arrêter pour la gestion des enfants ou des raisons de santé.
Taux d’absentéisme dans le public : trois facteurs explicatifs
Si ce fait peut constituer une explication, nos expériences dans la fonction publique, les mairies de grandes villes, les communautés d’agglomération, les hôpitaux et associations à caractère social nous ont permis d’identifier trois principales voies d’amélioration :
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La formation aux techniques de management de l’encadrement ;
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La mise en place d’un système efficient de constatation et de reconnaissance des efforts et des talents ;
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L’établissement de vecteurs de motivation en complément de la conscience professionnelle des agents (le statut social ne doit pas être un frein à la reconnaissance des talents pour laisser la seule conscience professionnelles comme source de motivation dans leur travail).
Certains diront que réformer la fonction publique est mission impossible. Ils s’interrogent sur le fait que, comme dans tous les systèmes qui survivent malgré leurs affres, le secteur public pourrait avoir plus à perdre qu’à gagner à modifier un paradigme ou, in fine, chacun trouve son compte. Changer ne risque-t-il pas de s’avérer pire au lieu et place du mieux attendu ?
Eh bien non ! Comme une lueur d’espoir, j’ai vu des services hospitaliers très efficaces, j’ai croisé des agents de mairie impliqués et heureux de faire leur travail, j’ai rencontré́ des directeurs de centres d’action sociale fiers des progrès réalisés. Dans chacun de ces cas, l’absentéisme était bas, voire très bas (moins de 4 %). J’ai aussi croisé des agents de la fonction publique fiers d’être fonctionnaires et dans l’attente de réformes structurelles.
Alors pourquoi ce différentiel avec le secteur privé ?
Au cours de mes missions-conseil, j’ai identifié trois principaux facteurs d’amélioration.
1. Un statut social à réformer et à adapter à la jeune génération
Dans la fonction publique, la progression est très liée à l’ancienneté et à une grille ascendante d’échelons basés sur la durée. La prise en considération de l’investissement personnel et des résultats obtenus par un agent a peu d’impact sur son évolution.
J’ai ainsi observé des effets dévastateurs de ce statut auprès notamment de la génération Y. Dans la mesure où ils ont l’impression de ne pas être reconnus pour leur travail (ou pas reconnus assez rapidement), certains agents sont tentés de s’octroyer une « compensation » par l’absence. Le statut social protecteur dont ils bénéficient favorise cette attitude : pas de carence des rémunérations sur les premiers jours d’absence (à ce jour), indemnisation à 100 % de la rémunération jusqu’à 90 jours (à ce jour), prorogation de certains avantages et de certaines primes pendant l’absence de moins de trois mois, etc.
Seule une adaptation permanente des statuts aux besoins de l’entité et aux caractéristiques de la population salariée permettrait d’éviter ce type de dysfonctionnement. Laissons le soin aux partenaires sociaux de prendre conscience de la situation et de réformer, en cas de besoin, le statut existant.
2. Une démarche de formation de l’encadrement aux techniques de management
Dans le secteur non marchand et en particulier dans la fonction publique, il y a bel et bien de l’encadrement – peut-être même plus que dans le privé – mais il est peu ou pas formé aux techniques de management.
En effet, il est rare que les membres de la hiérarchie se sentent investis d’un rôle de manager vis-à-vis de leurs collaborateurs. D’abord, parce qu’ils ne sont pas reconnus pour cette fonction, mais aussi parce qu’ils ne sont pas soutenus pour ne pas dire désavoués.
Lorsque quelqu’un tente de sanctionner un élément perturbateur, il se retrouve souvent avec les représentants syndicaux sur le dos, et une hiérarchie qui préfère ne pas faire de vagues. Dans un tel contexte, il est plus facile et efficace de recourir à une stratégie de « donnant-donnant » en sollicitant et récompensant, quand ils en ont la possibilité (en sachant qu’ils n’ont aucune action sur les primes) les plus consciencieux : « Merci de remplacer untel, tu poseras une RTT quand tu voudras la semaine prochaine », « Si les horaires du soir ne te dérangent pas, il y a des heures supplémentaires à prendre. » .
Évidemment, un tel marchandage n’est pas recommandé. Cela revient à reporter les conséquences de l’absentéisme sur les présents sans agir sur les absents. De tels « remèdes » engendrent souvent de l’iniquité et un profond sentiment d’injustice. Le risque de cette situation est un effet boule de neige : les présents étant indirectement incités à s’absenter.
Pour éviter cela, la personne en charge du management (chef de service, directeur, etc.) doit donner du sens au travail de chacun des membres de son équipe.
3. Identification d’un projet commun à l’entité et valorisation des contributions individuelles
Ce qui distingue également le secteur public du secteur privé, c’est la notion de client. Dans le secteur privé, le client est roi. Il est même parfois dictateur lorsqu’il représente un facteur de stress anormalement élevé pour celles et ceux qui sont en contact avec lui. De nos jours, le client a parfois tous les droits : celui d’exiger la livraison des produits en temps et en heure mais aussi celui d’être mécontent, méprisant, voire même agressif.
Dans le secteur public en revanche, le mot client est banni. On parle d’usagers, de bénéficiaires mais rarement de clients. Sans client, sans exigences précises, et sans volonté d’atteindre des objectifs spécifiques, le projet n’existe pas. Ce qui nous a le plus marqués lors de nos interventions dans le secteur non marchand, c’est que deux établissements ayant pourtant le même type d’activité ont parfois un taux d’absentéisme allant du quitte au double. Ce qui les distingue le plus souvent, c’est l’existence ou non d’un projet de service et la formulation (ou non) d’objectifs précis pour chaque agent.
D’après moi, l’absence de projet, d’engagement participatif commun, de donner du sens à son travail est ce qui pèse le plus sur le taux d’absentéisme. En effet, le projet, quand il existe, donne une vraie motivation et permet à chacun de justifier son travail. Il permet également de développer l’adhésion quand il est défini en participation avec les agents. Le projet est par ailleurs un moyen pour chaque manager d’afficher des objectifs à atteindre, et donc de reconnaître les efforts de chacun. Les unités déconcentrées de certains ministères savent parfaitement construire et démultiplier leurs projets au travers de ce qu’ils appellent des «plans objectifs moyens » (POM).
Chaque service de l’État, chaque collectivité publique territoriale, chaque communauté et chaque association se doit de répondre aux attentes d’un public. Pour ce public, chacun de ces organismes ou chacune de ces institutions a des marges de progrès en termes de satisfaction, et ces progrès sont relativement faciles à mesurer.
S’il y a donc bien une chose à faire au sein des institutions du secteur non marchand, c’est de déployer des projets par objectifs : une action simple, sans trop de contraintes mais avec un très fort potentiel d’efficacité car fondamentalement le secteur public en France est volontaire et compétent…