Dans les pays frontaliers, le juteux business du dumping tabagique

Jusqu’à 20 % des cigarettes seraient achetées à l’étranger, selon les données les plus récentes. Le fruit d’une stratégie délibérée des industriels du tabac qui livrent, bien plus que nécessaire, les marchés frontaliers de la France. Le député et ancien ministre de la Santé, Frédéric Valletoux, veut définitivement changer les règles du jeu.

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Par Rédacteur Publié le 17 mars 2025 à 14h58
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tabac, prix, augmentation, 2024, argent, ménages - © Economie Matin
10,90 EUROSLe paquet de cigarettes le moins cher est, en France, à 10,90 euros

Des paradis fiscaux tabagiques aux portes de la France

Si une liste noire des paradis fiscaux du tabac existait, plusieurs pays frontaliers de la France seraient sans doute inscrits dessus. Parmi eux, le Luxembourg ou encore Andorre. Les taxes y sont ainsi beaucoup plus faibles que dans l’Hexagone. Là où un paquet de 25 cigarettes coûte plus de 13 euros en France, il n’est qu’à 8 euros au Luxembourg. Le paquet de cigarettes le moins cher est, en France, à 10,90 euros, selon les données des Douanes. Il est à 5,5 euros au Luxembourg.

Un différentiel de prix qui, pour les fumeurs français, rend très intéressant l’achat transfrontalier. Et dont les cigarettiers ont pleinement conscience. « Au Luxembourg, où la consommation domestique est de 600 millions de cigarettes chaque année, les fabricants de tabac y livrent 3 milliards de cigarettes. En Andorre, où la consommation domestique était de 120 millions de cigarettes chaque année en 2015, les fabricants de tabac y livraient 850 millions de cigarettes », explique le député et ancien ministre de la Santé Frédéric Valletoux, qui veut imposer des quotas de livraison dans chaque pays européen, pour éviter le dumping tabagique. Pour les cigarettiers, la méthode est un succès éprouvé : 5 % du tabac aujourd’hui vendu au Luxembourg est fumé dans le pays, selon les données du gouvernement du Grand-Duché. Une grande partie des 95 % restants l’est en France. Et cette tendance devrait continuer à s’aggraver. Pour s’aligner sur les exigences européennes, la France a récemment fait sauter la limite de la seule et unique cartouche qu’il est possible de ramener depuis un pays frontalier.

Un problème de santé publique

De quoi annihiler les efforts de la France pour lutter contre le tabagisme, alors que le coût social du tabac est estimé à 156 milliards d’euros par an et que la hausse des taxes sur les paquets de cigarettes est considérée comme l’une des mesures les plus efficaces pour encourager les gens à arrêter de fumer. Une hausse de 10 % des prix du tabac réduirait ainsi de 4 % la consommation dans les pays à revenu élevé, selon les données de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Une équation qui ne se vérifie qu’en l’absence de commerce parallèle.

Pour les finances de l’État, les conséquences sont aussi délétères, tout spécialement dans un contexte où les indicateurs budgétaires virent tous au rouge. «Entre 2,5 et 3 milliards d’euros (de perte) pour les administrations publiques » et « un préjudice important pour le réseau des buralistes», selon Frédéric Valletoux, alors même que plus de 10 000 bureaux de tabac auraient fermé en 20 ans. Les Luxembourgeois en revanche, en profitent : 1,4 milliard de recettes liées au tabac dans le pays en 2024 et des perspectives en croissance jusqu’à 1,9 milliard en 2028.

Demain, des quotas par pays européens ?

Pour l’ancien ministre de la Santé, la réponse réside dans le Protocole de l’OMS pour « lutter contre le commerce illicite de tabac », qui permet des quotas de livraison par pays, « fondés sur la consommation domestique », exhaussée de 5 %. Ratifié par l’Union européenne et la majorité de ses États membres depuis plusieurs années, ce texte, qui donne des sueurs froides aux cigarettiers, peine encore à être appliqué. Mais le Protocole de l’OMS n’est pas le seul texte qui pourrait, au niveau européen, changer les règles du jeu. La révision de la directive sur la taxation du tabac, qui est sur la table de négociation depuis plus de deux, se fait aussi attendre. « Il est à craindre que ces reports successifs soient dus à l’ingérence de l’industrie du tabac, qui n’a jamais caché son opposition à ce texte », déplore l’ancienne députée européenne Anne-Sophie Pelletier, elle aussi fervente soutien du Protocole de l’OMS. Avec sa collègue Michele Rivasi -elle avait produit un livre blanc durant la mandature précédente énumérant les principales reformes nécessaires à une meilleure réglementation du tabac au sein de l’Union européenne, au rang desquelles l’adoption de mesures contre le commerce parallèle. Parmi les députés engagés sur le dossier brûlant de la révision de la directive sur la taxation du tabac, la Luxembourgeoise membre de la Commission Santé Tilly Metz, considérée comme très engagée dans la lutte antitabac par le réseau SmokeFree Partnership. De quoi, peut-être, faire changer les règles du jeu dans l’espace européen alors même que l’objectif d’une Génération Sans Tabac d’ici 2040 — moins de 5 % de prévalence tabagique —, promu par l’Union européenne, est encore loin d’être atteint.

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