Tabac : avec la hausse des taxes, la contrebande de cigarettes se porte très bien, merci pour elle !

En France, la guerre contre le tabagisme est officiellement déclarée depuis plusieurs années, avec pour arme principale une fiscalité galopante. Pourtant, une réalité troublante s’impose : alors que les prix du tabac atteignent des sommets, le marché parallèle prospère comme jamais. La hausse des taxes, censée décourager la consommation, a surtout rempli les poches du commerce illégal, fragilisant du même coup les finances publiques.

Paolo Garoscio
Par Paolo Garoscio Publié le 30 octobre 2024 à 11h00
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5 MILLIARDS €Les marchés parallèles du tabac font perdre 5 milliards d'euros à l'Etat.

Tabac : les prix flambent… mais pas les recettes de l’Etat

Depuis 2018, la loi de financement de la Sécurité sociale a imposé une trajectoire de hausse de la fiscalité sur les produits du tabac. Ce parcours a culminé avec une dernière augmentation des accises en novembre 2020, portant le prix du paquet de cigarettes à 10,20 euros. Mais ce n’était qu'un début : en 2023, le paquet moyen frôlait les 11 euros et l’envolée qui semble sans fin.

Cependant, cette augmentation des prix n'a pas eu les effets escomptés sur les recettes fiscales. En 2023, les droits de consommation sur le tabac (DCT) se sont élevés à 13,2 milliards d’euros, en légère baisse par rapport aux années fastes de 2020 et 2021, où les rendements fiscaux atteignaient 14 milliards d’euros. Pour Xavier Puech, président de Philip Morris France, « Au lieu de réduire le nombre de fumeurs, la politique fiscale a maintenu les fumeurs dans la cigarette en faisant flamber un marché parallèle complexe à endiguer. »

Évolution des prix moyens et rendements des taxes sur le tabac (2020-2024)

Année Prix moyen d'un paquet de cigarettes Rendement des DCT (en Md€)
2020 10,20 € 14,0
2021 10,50 € 14,0
2022 10,80 € 13,9
2023 10,95 € 13,2
2024* 12,11 € 12,8 (estimation)

Les chiffres sont clairs : les hausses de prix entraînent une baisse de consommation légale, mais sans bénéficier aux recettes fiscales de l'État. Les deux années de forte inflation, avec +5,3 % en 2022 et +4,8 % prévu en 2023, ont certes exacerbé cette tendance, mais elles ne suffisent pas à expliquer la fuite des recettes.

Les taxes sur le tabac ne rapportent pas autant qu’attendu

En septembre 2023, les prévisions budgétaires étaient encore optimistes. Les recettes tabac étaient alors estimées à 14,022 milliards d’euros pour l’année 2024. Pourtant, dès janvier 2024, les projections ont été revues à la baisse à 13,263 milliards d’euros, un manque à gagner de 759 millions d’euros, ce qui met en lumière une anticipation défaillante.

En réalité, la CCSS (Caisse Centrale de la Sécurité Sociale) admet désormais que les prévisions ont été faussées par une double erreur : une mauvaise anticipation des volumes de consommation, et surtout, une sous-estimation de la montée en puissance du marché parallèle. En effet, selon le dernier rapport, « l’écart de 419 millions d’euros est dû à une mauvaise anticipation de la baisse des recettes pour 2024 ». Un véritable casse-tête pour les finances publiques, d’autant que le déficit se creuse dans un contexte où le gouvernement cherche désespérément de nouvelles sources de revenus.

Pour la première fois, de plus, la CCSS estime même que les recettes vont baisser en 2025 pour l’État. La vente de tabac pourrait rapporter 102 millions de moins.

Le marché parallèle du tabac dit « merci »

Si les taxes tabac alimentaient autrefois les caisses de l’État, elles semblent désormais nourrir les réseaux illégaux. En 2023, près de 22 milliards de cigarettes consommées en France provenaient du marché parallèle, représentant 47,7% de la consommation totale de l’Union européenne dans ce domaine. La contrebande, les achats transfrontaliers et même la contrefaçon composent ce marché souterrain florissant, qui ne cesse de gagner en importance.

Le dernier rapport du cabinet KPMG, commandé par Philip Morris International, éclaire cette situation préoccupante. La France est championne d’Europe en matière de cigarettes illégales, avec 16,8 milliards d’unités illicites consommées en 2023. Selon KPMG, la part du marché parallèle a bondi de 28,55 % en 2018 à 43,2 % en 2023. La contrefaçon est certes en légère baisse, mais les achats transfrontaliers ont progressé de 32 %, illustrant la complexité du problème. « Les plans de lutte mis en place par les autorités sont louables et indispensables, mais incomplets… En tentant de rendre la cigarette légale inaccessible économiquement, les hausses répétées des taxes ont fait basculer les fumeurs dans le système D », déplore Xavier Puech.

Part du marché parallèle du tabac dans les principaux pays de l’UE (2023)

Pays Part du marché parallèle (%)
France 47,7
Allemagne 22,5
Espagne 15,3
Italie 18,1
Belgique 25,7

Les limites d’une stratégie de santé axée sur la fiscalité

La politique fiscale sur le tabac montre ici ses limites. Elle permet certes de rendre le tabac moins accessible aux fumeurs réguliers, mais elle ne parvient pas à enrayer la consommation. Au contraire, elle encourage l’essor d’un marché parallèle en expansion continue depuis une décennie. La France paie ici le prix fort d’une stratégie uniquement axée sur les hausses de prix sans considération pour les effets pervers de cette politique.

Les autorités devront probablement revoir leur approche en matière de lutte contre le tabagisme, en prenant en compte le rôle du marché parallèle dans cette équation complexe. Faute de quoi, les recettes fiscales continueront à chuter, et les objectifs de santé publique resteront hors de portée. L’ironie, dans cette lutte contre le tabac, est que le principal bénéficiaire de ces hausses de taxes est sans doute le marché parallèle, qui se porte, lui, on ne peut mieux.

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Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint Après son Master de Philosophie, s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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