Nous, jeunes médecins généralistes, réitérons notre opposition ferme à l’amendement voté au Sénat visant à transformer l’aide médicale d’État (AME) en aide médicale d’urgence. Plus de 3000 soignants lucides sur la réalité des soins aux patients bénéficiaires de l’AME avaient pourtant alerté dans une tribune publiée dans Le Monde1. Un rapport de l’IGAS de 2019 jugeait peu pertinent de diminuer davantage le panier de soins de l’AME, même en vue d’une diminution des dépenses publiques2. La majorité des sénateurs a préféré persister dans ses préjugés sur cette aide pourtant cruciale.
AME : les jeunes médecins disent non à sa suppression !
Loin d'être une économie substantielle, le nouveau format de l’AME devrait permettre d'économiser quelques dizaines de millions d'euros, ce qui, à l'échelle du budget total de la santé, est négligeable. L’AME dans sa forme actuelle coûte 1,2 milliard d’euros par an ce qui représente 0,5% du budget de la Sécurité sociale, pour environ 400 000 bénéficiaires3. L'économie qu'elle permet de réaliser n’est en revanche pas quantifiable.
L’AME permet en effet aux patients bénéficiaires de consulter directement dans nos cabinets en cas de problème de santé, ce qui évite des consultations aux urgences et dans les permanences d'accès aux soins de santé (PASS), dispositifs dont la qualité de prise en charge pluridisciplinaire ne peut être assurée qu’avec un relais efficace vers les structures de soins primaires de proximité4. Nous, médecins de ville, pouvons réaliser pour ces patients, sans démarches administratives inutiles ou réorientation chronophage, une consultation comme celles que nous faisons chaque jour des dizaines de fois. Dans ces consultations nous assurons le dépistage, la prévention et le traitement de maladies, ce qui évite des complications à plus long terme. Nous permettons à toutes et tous d’avoir un suivi et un point d’ancrage dans le système de soins.
C’est le principe de solidarité nationale : Nous permettre de soigner toute personne, quelle que soit sa situation, sans attendre une particulière gravité de son état de santé ni devoir justifier d’un cadre spécifique de consultation préventive restreint. L’AME se doit d’être suffisamment protectrice pour remplir ses 3 missions : humanitaire, sanitaire et économique2.
N’oublions pas que 49% des personnes qui pourraient avoir accès à l’AME aujourd’hui n’y souscrivent pas5. Ne prenons pas le risque d’augmenter encore ce chiffre de non recours. L’AME est un outil indispensable pour l'accès aux soins. Pourquoi vouloir attendre que le patient diabétique soit en dialyse ou à amputer pour lui accorder nos soins ?
Ce débat sur l’AME, n’est pas nouveau. Il est ressassé par les parlementaires depuis de nombreuses années.
On nous oppose que le système français est trop généreux et qu’il favoriserait le “tourisme médical”. Pourtant l'étude “Premiers Pas” réalisée en 2019 par l’IRDES montre que seuls 10% des migrations ont pour raison la santé. Et parmi ces 10% seuls 66% ont fait une demande pour bénéficier de l’AME. Le motif principal de migration reste le motif économique, sans oublier les contextes de conflits loco régionaux5.
On déplore l'augmentation du nombre de bénéficiaires ? Nous, médecins, nous en réjouissons au contraire : ce sont des personnes vulnérables et en grande précarité qui accéderont plus facilement au système de santé, répondant ainsi à un des fondamentaux du serment d’Hippocrate que nous avons prononcé.
Rappelons que le rapport de l’IGAS et de l’IGF de 2019 a analysé la dépense moyenne par bénéficiaire de l’AME. Elle était en moyenne de 2675€, soit un montant stable depuis 2009. Elle est donc proche et même inférieure à la dépense de soins d’un assuré social du régime général (3087€ en moyenne à la même période)2.
Gardons à l'esprit l’exemple de l’Espagne qui a vu augmenter dramatiquement la mortalité des patients sans papiers après avoir changé le dispositif, et a heureusement remis en place ce qui existait auparavant6. Car si l’AME a un coût chiffré, sa disparition aura pour sa part à la fois un coût économique considérable, lié à l’augmentation des soins urgents pourtant évitables, mais surtout un coût humain inestimable et inacceptable pour le pays des Droits de l’Homme.
C’est pourquoi nous appelons l’Assemblée nationale à supprimer cet amendement du Sénat, qui, sous couvert de mesure économique, déshonore notre tradition de solidarité nationale.
1 L’appel de 3 000 soignants : « Nous demandons le maintien de l’aide médicale d’Etat pour la prise en charge des soins des personnes étrangères » https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/02/l-appel-de-3-000-soignants-nous-demandons-le-maintien-de-l-aide-medicale-d-etat-pour-la-prise-en-charge-des-soins-des-personnes-etrangeres_6197818_3232.html
2 IGF et IGAS : L’aide médicale d’état : diagnostic et propositions. https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/AME.pdf
3 Projet annuel de performances : annexe au projet de loi de finance pour 2024 - Santé https://www.budget.gouv.fr/documentation/documents-budgetaires/exercice-2024/le-projet-de-loi-de-finances-et-les-documents-annexes-pour-2024/budget-general-2024/sante
4 Bertini et al : Les permanences d’accès aux soins de santé et leur rôle auprès des populations migrantes. Actualités et dossiers en santé publique n°111 juin 2020
5 IRDES : Le recours à l’Aide médicale de l’État des personnes en situation irrégulière en France : premiers enseignements de l’enquête Premiers pas : https://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/245-le-recours-a-l-aide-medicale-de-l-etat-des-personnes-en-situation-irreguliere-en-france-enquete-premiers-pas.pdf
6 France Info : Vrai ou Faux : Aide médicale d'État : la mortalité des sans-papiers a-t-elle augmenté de 20% en Espagne après la réduction des aides ? https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux/vrai-ou-faux-aide-medicale-d-etat-la-mortalite-a-t-elle-augmente-de-20-en-espagne-apres-la-reduction-des-aides-aux-sans-papiers_6144522.html