Suez : Stéphane Richard, ou l’art du recyclage

Depuis le départ de la PDG Sabrina Soussan le 31 janvier dernier, le groupe Suez vit à l’heure des rumeurs pour son futur organigramme. Parmi ces dernières, un nom revient : celui de Stéphane Richard au poste de directeur général. Mais le manque d’expérience de l’ex-patron d’Orange dans le secteur de l’eau et des déchets, et ses actuels démêlés avec la justice, rendent nombre d’observateurs perplexes.

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Par Vincent Marin Publié le 28 mars 2025 à 7h55
Depuis le départ de la PDG Sabrina Soussan le 31 janvier dernier, le groupe Suez vit à l’heure des rumeurs pour son futur organigramme.
Depuis le départ de la PDG Sabrina Soussan le 31 janvier dernier, le groupe Suez vit à l’heure des rumeurs pour son futur organigramme. - © Economie Matin
9 MILLIARDS €Le chiffre d'affaires du groupe Suez dépassera cette année les 9 milliards d'euros

Au cœur du quartier des affaires de la Défense, une guerre de succession attire l’attention du monde économique et politique depuis le début de l’année. Qui pour succéder à Sabrina Soussan, la patronne de Suez, qui a été poussée à la démission suite à des résultats bien en-deçà des objectifs sur fond de polémiques quant à son niveau de rémunération ? Plusieurs noms circulent, dont celui d’un ex-poids lourd du CAC40, Stéphane Richard. L’homme – au CV long comme le bras – aurait pu constituer une bonne solution. Mais son manque d’expérience sectorielle et surtout son troisième procès dans l’arbitrage Tapie-Crédit, qui se déroule du 24 mars au 1er avril, mettent quelque peu du plomb dans l’aile de sa potentielle candidature.

L’archétype du haut fonctionnaire

Début mars, des indiscrétions sortent dans la presse, annonçant Stéphane Richard dans les starting-blocks pour prendre les rênes de la direction générale du groupe. Selon BFM Business, « Stéphane Richard bénéficie d’une image de patron social après avoir ramené le calme chez Orange. Il a les faveurs de l’actionnaire Meridiam qui cherche un profil de patron implanté dans l’establishment, mais il ne pourrait faire qu’un seul mandat alors qu’il a 63 ans ». À l’orée de la retraite, ce haut fonctionnaire – pur produit de HEC et de l’ENA – a en effet un parcours riche et varié, et une carrière fulgurante, entre coulisses du monde politique et celles du monde des affaires. Une carrière qu’il entame plutôt à gauche, au sein du cabinet de Dominique Strauss-Kahn alors ministre délégué à l’Industrie et au Commerce extérieur, avant de virer à droite et de rejoindre l’entourage de Nicolas Sarkozy, dans le sillage de Jean-Louis Borloo et de Christine Lagarde au ministère de l’Économie et des Finances, en tant que directeur de cabinet.

« Stéphane Richard est emblématique d’une génération de hauts fonctionnaires, en passe de reléguer au rang d’anecdotes les problèmes déontologiques posés par le pantouflage à l’ancienne, estime Erwan Seznec, journaliste économique au Point. Chez lui, le conflit d’intérêts n’est plus un risque à éviter, mais le moteur d’une carrière construite à la charnière du public et du privé. L’ambivalence est inscrite dans sa formation initiale. » À partir de 2009, Stéphane Richard s’écarte du monde politique et associe son nom avec ceux des grandes entreprises françaises : Veolia, CGE, CGIS (Compagnie Générale d’Immobilier et de Services, devenu Nexity), Orange (ex-France Télécom alors dans la tourmente du scandale des suicides de ses collaborateurs) …

Pianiste émérite, Girondin d’origine, l’homme a un réseau tentaculaire dont il se sert à merveille pour rebondir. Depuis son départ d’Orange début 2022, après sa condamnation le 24 novembre 2021 à un an de prison avec sursis et 50 000 euros d’amende par la cour d’appel de Paris, il intègre ainsi la banque américaine d’investissement et de gestions d’actifs Perella Weinberg en 2023 en tant que partenaire. L’année suivante, on le retrouve aussi là où on ne l’attend pas : il est en effet nommé président du théâtre national de l’Opéra-Comique, à l’initiative de la ministre de la Culture Rachida Dati. Malgré les difficultés, les amitiés politico-business répondent présent.

L’affaire Tapie-Crédit Lyonnais

Des « difficultés », Stéphane Richard en a connu quelques-unes tout au long de son parcours, dont certaines retentissantes comme en 2015 lorsque la presse insiste sur les liens du PDG d’Orange avec la société israélienne Partner, implantée dans les colonies de Cisjordanie, alors qu’Orange est en pleine négociation avec l’Égypte et son marché de 80 millions de consommateurs. Mais c’est bien une affaire franco-française – sortie en 2008 – qui reste le gros caillou dans sa chaussure. Le 1er avril prochain, Stéphane Richard doit être rejugé par la cour d’appel de Paris dans le cadre de l’arbitrage controversé entre Bernard Tapie et le Crédit Lyonnais, l’homme d’affaires – aujourd’hui décédé – ayant touché quelque 403 millions d’euros. Ce nouveau round judiciaire constituera pour lui son troisième procès dans ce dossier. À l’époque des faits, Richard est directeur de cabinet de la ministre de l’Économie, Christine Lagarde.

Symbole d’un passé révolu ?

Le nom de cet homme de réseau vient donc de ressurgir alors que le groupe Suez se cherche un directeur général en charge de l’opérationnel. Pourtant, le CV de Stéphane Richard ne semble pas coller avec le job description. Certes, il est passé par la CGE (Générale des Eaux) dans les années 90, mais il n’y était responsable que du développement immobilier. La gestion des eaux et des déchets ne figure pas aux multiples cordes de son arc, mais rien ne dit que ce handicap sera rédhibitoire. Pourtant, aux yeux de l’opinion, ce jeu des chaises musicales – auquel se sont adonnés tous les grands patrons français depuis 50 ans – semble aujourd’hui d’un autre âge, comme le symbole d’un passé révolu.

Dans le dossier de la succession de Sabrina Soussan à la tête de Suez, les trois actionnaires de Suez – Meridiam à 39%, le fonds américain GIP à 39% et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) à 19% – vont donc devoir trancher très bientôt, à la fois dans le choix des personnes mais aussi dans celui de la gouvernance. Ils ont pour cela commissionné un cabinet de chasseur de tête international qui doit remettre ses propositions avant l’été. D’autres noms que celui de Stéphane Richard circulent, dont les profils opérationnels collent davantage aux métiers de Suez. Affaire à suivre donc.

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Consultant IT Strategy, Business Analyst, Conseil en développement informatique et logiciels

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