Tandis que l’Europe cherche encore son souffle numérique, la France tente une nouvelle percée dans un secteur verrouillé par les géants américains, le cloud. Un terrain de reconquête technologique et stratégique s’ouvre.
Souveraineté numérique : le cloud français va-t-il pouvoir concurrencer l’américain ?
Le 14 avril 2025, le gouvernement français a annoncé officiellement la relance de son projet de cloud souverain, avec pour objectif affirmé de s’extraire de la dépendance aux infrastructures numériques américaines. Derrière cette décision politique se dessine une stratégie industrielle et géopolitique ambitieuse visant à reprendre le contrôle d’un pan essentiel de l’économie numérique. Car le cloud n’est plus un simple outil de stockage : c’est un levier de souveraineté.
Cloud souverain : pourquoi la France relance la bataille ?
Le retour du projet intervient dans un contexte d’étouffement technologique croissant. Aux mains d’Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure et Google Cloud, plus de 70 % du marché européen du cloud repose sur des infrastructures situées hors d’Europe. Pour Clara Chappaz, ministre déléguée au Numérique, il est devenu « urgent de bâtir une offre de cloud européenne attractive, performante, compétitive ».
L’un des déclencheurs ? La politique commerciale agressive de l’administration Trump, qui a ravivé le spectre d’une guerre économique numérique. Les entreprises françaises, dont TotalEnergies, évoquent un « dilemme stratégique » permanent face à l’absence d’alternatives nationales crédibles.
Dans ce sillage, le gouvernement relance l’appel à projets dans le cadre du plan France 2030, en débloquant une enveloppe de plusieurs dizaines de millions d’euros, et en s’appuyant sur un arsenal renforcé : l’Observatoire de la souveraineté numérique, une mission de préfiguration, et un Comité stratégique de filière dédié.
Les enjeux du cloud souverain : bien plus qu’un choix technique
Derrière le slogan politique, l’enjeu est d’une brutale évidence économique et géopolitique. Le contrôle des infrastructures de cloud signifie aussi le contrôle des données stratégiques, de la recherche à la santé en passant par la défense. Et aujourd’hui, ces données peuvent être soumises à la juridiction du CLOUD Act américain, qui permet à Washington d’exiger l’accès à toute donnée stockée par une entreprise américaine, même en Europe.
Pour Clara Chappaz, la France « est dépendante de fournisseurs de cloud, d’extraction de matières premières, ou encore d’entreprises productrices de cartes graphiques ». Cette dépendance systémique impose donc une riposte à plusieurs niveaux.
C’est là qu’entre en jeu le programme PEPR Cloud, doté de 56 millions d’euros sur sept ans, piloté par l’Inria et le CEA. L'objectif est de poser les fondations d’une infrastructure logicielle et matérielle réellement indépendante, maîtrisée, sécurisée et adaptée aux usages français.
À quoi ressemblera le cloud souverain français ?
Exit les modèles de cloud hybride sous label américain, le nouveau projet entend bâtir une infrastructure propre, intégrant les dernières avancées en intelligence artificielle. Clara Chappaz insiste : « Il doit permettre de bâtir des solutions françaises, basées sur les dernières avancées, notamment en comprenant l’IA ».
Trois grands volets structurent ce chantier. D’abord, le développement d’infrastructures décentralisées capables de répondre aux applications du quotidien dans des secteurs comme la santé, l’éducation, l’intelligence artificielle ou encore l’industrie. Ensuite, l’élaboration de nouveaux modèles de programmation et de gestion du cycle de vie des données et des services numériques. Enfin, une sécurisation avancée des données, conçue comme une réponse directe aux menaces extraterritoriales induites par le droit américain.
La stratégie inclut également une formation massive des utilisateurs, un soutien public à la commande et une implication accrue dans les initiatives européennes, afin d’éviter de bâtir une citadelle française isolée.
Le cloud souverain français : un pari audacieux ou un énième mirage numérique ?
Après l’échec du label "cloud de confiance" de 2021 et des initiatives hybrides comme S3NS (Thales/Google), l’État français tente de reprendre la main. Mais il faudra convaincre des acteurs privés encore largement tournés vers des solutions américaines. Et selon Clara Chappaz, il « ne sera jamais question de forcer ».
Dans ce contexte, les projets qualifiés SecNumCloud restent la voie royale pour espérer pénétrer le marché des données sensibles. Google et Microsoft, bien conscients du mouvement, ont déjà noué des partenariats avec Thales, Orange ou Capgemini, démontrant leur capacité à s’adapter à la demande souveraine européenne. Les acteurs français, eux, doivent rattraper un retard structurel sans tomber dans l’ornière des effets d’annonce.