Sécurité routière : la RATP a fraudé le contrôle technique de ses bus

Le 21 août 2024, une série de révélations de la part du Parisien a secoué la RATP, dévoilant des pratiques frauduleuses visant à contourner les contrôles techniques obligatoires des bus. Ces pratiques mettent en péril la sécurité des passagers et soulèvent de graves questions sur l’intégrité du réseau de transport public parisien.

Paolo Garoscio
Par Paolo Garoscio Modifié le 22 août 2024 à 9h48
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18 MILLIONS €Le résultat de la RATP a été de 18 millions d'euros de bénéfice net en 2023.

RATP : une technique pour éviter les contre-visites au contrôle technique

Plusieurs chauffeurs de la RATP ont témoigné anonymement au journal Le Parisien de la manipulation systématique des voyants d’alerte des bus avant leur passage au contrôle technique. Selon leurs déclarations, ils sont contraints d’utiliser une valise électronique, semblable à celle employée par les garagistes pour les diagnostics, afin d’effacer toutes les alertes indiquant des anomalies mécaniques.

Élie, un chauffeur de bus en banlieue parisienne, a décrit en détail le processus : « On nous fournit une valise ou un boîtier électronique. Il suffit de brancher cet appareil derrière la cabine et d'appuyer sur "effacer les alertes". En quelques secondes, tous les voyants disparaissent du tableau de bord. » Le bus est ensuite conduit directement au centre de contrôle technique, situé à quelques mètres de là. Comme l’ordinateur de bord n’a pas le temps de rallumer les alertes, le véhicule passe le contrôle sans encombre.

La fraude au contrôle technique : une pratique courante à la RATP ?

Cette manipulation douteuse, largement répandue selon les chauffeurs interrogés, permet d’éviter les contre-visites qui seraient nécessaires si un voyant était allumé lors du contrôle technique. Élie explique les motivations derrière cette pratique : « Si un bus est immobilisé pour une contre-visite, cela perturbe les rotations et peut entraîner des pénalités pour la RATP. Les chefs sont sous pression pour que les bus soient toujours en service. »

L’ampleur de cette fraude est telle qu’elle ne concerne pas uniquement des anomalies mineures. Joël, un autre conducteur interrogé par Le Parisien (dont le prénom a été changé), admet avoir effacé des alertes liées à des problèmes graves, notamment sur le moteur. Il se souvient d’un incident en mars 2020 où un bus qu'il conduisait est devenu incontrôlable après que des voyants d'alerte, dont celui du refroidissement moteur, ont été effacés. Le véhicule a fini sa course dans l’enceinte d’un lycée à Noisy-le-Grand, un accident qui aurait pu avoir des conséquences tragiques. Joël, encore traumatisé par cet incident, raconte : « J’ai entendu un pschhh, et plus rien ne répondait, ni le système de direction ni le système de freinage. Le bus est devenu incontrôlable… J’aurais pu tuer quelqu’un. »

La RATP fait pression sur ses chauffeurs

Les chauffeurs témoignent également des pressions exercées par leurs supérieurs pour qu’ils se conforment à ces pratiques. Joël se souvient qu’on lui avait clairement fait comprendre que s’il refusait de participer à la fraude, il risquait de perdre son emploi : « On m’avait dit que si je ne le faisais pas, je pouvais faire mon sac et partir. »

Ces pratiques ne sont pas nouvelles, mais leur existence semble désormais être de notoriété publique au sein de l'entreprise. Luc Wallop, ex-représentant du personnel au conseil d’administration de la RATP et lanceur d’alerte, estime que ces manipulations sont courantes dans au moins la moitié des centres de bus de Paris et de la petite couronne. Il a régulièrement alerté la direction de l’entreprise, notamment lors des conseils d’administration en mai et en juillet 2024, sans résultat tangible. « J’espérais que Jean Castex, à la tête de la RATP, mette un coup de pied dans la fourmilière, mais ce n’est pas le cas », déplore-t-il.

Jean Castex nie en bloc

Jean Castex, président de la RATP, a répondu aux accusations en affirmant qu’il « ne partage pas les appréciations ou les insinuations portées » lors des conseils d’administration. Cependant, des observations directes réalisées par des journalistes devant un centre de contrôle technique du Val-d’Oise ont confirmé la persistance de ces pratiques. Les bus sont systématiquement manipulés avant d’entrer dans le centre, et les anomalies sont effacées grâce à une valise électronique.

La RATP a tenté de minimiser l'importance des alertes effacées, en précisant qu'un « voyant orange de tableau de bord n’est pas bloquant en termes de sécurité pour la conduite du véhicule, seul le voyant rouge l’est ». Toutefois, cette justification est contestée par des experts du contrôle technique, qui soulignent que la suppression de ces alertes empêche la détection de défauts potentiellement dangereux.

Le problème semble être systémique, étroitement lié à la structure et aux exigences contractuelles de la RATP. Les plus de 5 000 bus qui circulent en Île-de-France doivent passer cet examen de validation tous les six mois.

Fraude à la RATP : Valérie Pécresse s’en mêle

La présidente de la région Ile-de-France, à la tête de IDF Mobilités, s’est sans surprise mêlée du scandale naissant. Sur X (ex-Twitter), Valérie Pécresse demande à la RATP de « rendre des comptes ». Au gestionnaire du réseau de bus franciliens, évidemment, mais surtout à son PDG, l’ancien Premier ministre Jean Castex qui pourrait être sur la sellette, n’ayant pas mis un terme aux pratiques frauduleuses depuis son arrivée à la tête de la RATP.

Paolo Garoscio

Après son Master de Philosophie, Paolo Garoscio s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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