Drogues psychédéliques, cerveaux de singe et drones de sauvetage parmi les recherches de pointe

Cinq experts qui ont participé à la revue Horizon en 2022 expliquent quelle évolution connaîtra leur secteur d’activité au cours de l’année à venir et après.

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Par Horizon Publié le 15 janvier 2023 à 12h19
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41%41% des ingénieurs et chercheurs en Europe sopnt des femmes.

Entre la mise à disposition de plus grandes quantités d’eau douce, la baisse des dépressions, des drones qui sauvent des vies et des scanners qui analysent les pensées, 2023 promet d’être une grande année pour la science. Toutefois, l’avion électrique n’est pas encore pour demain.

Le docteur Pascal Belin, professeur en neurosciences à l’Université Aix-Marseille, en France, et enquêteur principal dans le cadre du projet COVOPRIM financé par l’UE, étudie les humains et les singes afin de mieux comprendre ce qui se passe dans le cerveau des primates lorsqu’ils communiquent. Les scanners révèlent d’importantes similitudes dans la façon dont le cerveau de l’homme, du ouistiti et du macaque s’active lorsqu’ils en tendent la voix d’un autre représentant de leur espèce. Des chercheurs prévoient d’implanter l’an prochain des électrodes dans le cerveau de singes pour étudier ce phénomène au niveau des cellules nerveuses. Les implications sont considérables, tant pour les personnes qui n’arrivent plus à parler suite à des lésions cérébrales ou à une attaque, que pour les interactions humaines en général avec la technologie. 

Nous serons bientôt en mesure d’interpréter très clairement l’activité des neurones dans différentes régions du cerveau. Nous comprenons déjà de mieux en mieux ce que fait chaque région. D’ici peu, nous serons capables de décoder ce qu’une personne écoute rien qu’en observant son activité cérébrale. Nous pourrons aussi déterminer ce qu’imagine une personne sans qu’elle exprime ses pensées à haute voix. Ce n’est pas tout à fait la même chose que lire dans les pensées de quelqu’un: cela consiste à reconstituer ce qui se passe dans le cerveau en interprétant l’activité des neurones. 

Le moment venu, ces nouvelles connaissances serviront aussi à contrôler les machines. De plus en plus de progrès sont déjà réalisés dans ce domaine. Des implants neuronaux, du même type que ceux qui sont posés sur certains patients épileptiques ne répondant pas aux traitements, peuvent être positionnés de façon stratégique dans le cerveau. Le but est ainsi d’améliorer la perception de la personne (un peu comme l’implant cochléaire est aujourd’hui utilisé par des milliers de personnes malentendantes pour entendre), ou d’envoyer des impulsions pour commander un ordinateur.

«Cela signifie que les personnes pourront s’exprimer sans utiliser de clavier. Le clavier et le stylo sont les béquilles malhabiles que nous n’avons eu d’autre choix que d’utiliser pour accéder à l’innovation technologique afin de convertir les informations verbales de notre cerveau en mots écrits. Nous n’aurons plus à les utiliser lorsque l’ordinateur pourra lire ces informations directement dans notre cerveau. Même si je ne suis pas un spécialiste des interfaces cerveau-ordinateur, je suis convaincu que ce type d’innovation sera disponible d’ici cinq à dix ans, et non dans quarante.»

LIRE: Écouter la raison de la voix (en anglais)

Les villes de demain amélioreront la sécurité des habitants et des structures, d’après le professeur Gian Paolo Cimellaro, ingénieur à l’Université polytechnique de Turin, en Italie. M. Cimellaro a dirigé le projet IDEAL DRONE, financé par l’UE, dont le but de développer des drones qui peuvent être déployés par les pompiers pour aider à localiser les personnes piégées dans les bâtiments en flammes. Il est convaincu que les techniques utilisées pour surveiller les structures et porter secours aux civils s’amélioreront considérablement dans les années à venir.

Nous assisterons à d’immenses changements dans le domaine de la résilience face aux sinistres, à court comme à moyen terme. Les technologies avancées auxquelles nous travaillons permettront de suivre les personnes à l’intérieur des bâtiments, et offriront bientôt des fonctionnalités encore plus intéressantes. Les équipes de secours porteront par exemple des exosquelettes, c’est-à-dire des sortes d’armures renforcées synchronisées avec leurs mouvements qui leur apporteront une protection renforcée tout en décuplant leur force, et leur permettront de déplacer des débris lourds pour accéder aux survivants.

Le changement climatique augmentera la pression exercée sur les infrastructures et les catastrophes deviendront plus fréquentes. Nous devrons donc améliorer la résilience de toutes les infrastructures civiles. Dès qu’une catastrophe se produit, par exemple lorsqu’un pont s’effondre partiellement, il ne peut plus être emprunté et doit être restauré. Nous réduirons la période d’indisponibilité. Si l’on reprend l’exemple du pont, actuellement, le seul moyen de savoir si un pont est sans danger est de l’inspecter visuellement: l’ingénieur examine le tablier et décide si une partie doit être remplacée. Mais bientôt les capteurs seront moins chers et les ponts en seront recouverts. Ils apporteront des informations sur leur niveau de vieillissement. De cette façon, tout problème détecté pourra être corrigé avant de s’aggraver.

«Un jour, nous disposerons d’une ’super intelligence artificielle’ qui sera en fait une machine plus intelligente que l’ingénieur et qui pourra inspecter une structure et intervenir plus efficacement que n’importe quel humain. Pour les ponts très longs, l’inspection sera effectuée par des drones équipés de robots qui recueilleront plusieurs ensembles d’informations simultanément à l’aide de caméras haute résolution, de caméras thermiques et de scanners à laser.»

LIRE: Des drones qui sauvent des vies dans les ciels numériques (en anglais)

Des drogues psychédéliques, combinées à une psychothérapie spécialisée, pourraient offrir des traitements prometteurs contre certaines maladies mentales chroniques complexes. Des scientifiques européens et américains, dont le docteur Claudia Schwarz-Plaschg, explorent les aspects neuroscientifiques des «trips» psychédéliques dans l’espoir de mettre un terme à des troubles invalidants tels que la dépression et les traumatismes. Mme Schwarz-Plaschg a finalisé le projet ReMedPsy, financé par l’UE, dans lequel elle s’est penchée sur l’évolution des points de vue de la société à l’égard de ces substances.

«Je pense que les recherches menées sur les vertus thérapeutiques des psychédéliques iront bien au-delà des troubles mentaux tels que la dépression et le trouble de stress post-traumatique pour s’étendre à tout état impliquant à la fois le corps et l’esprit, de l’autisme et de la démence à l’obésité et aux troubles de la douleur. Des recherches complémentaires seront menées sur la façon dont les psychédéliques peuvent stimuler la créativité et aider à résoudre des problèmes, puisque ces substances sont connues pour favoriser les changements de perspective.»

«En termes de risques, nous devons aussi mener des études plus poussées sur les effets secondaires de ces drogues. Des bad trips se produisent parfois et peuvent être très déstabilisants. Je pense que, dans les prochaines années, la discussion sur la décriminalisation et légalisation des drogues avancera et s’élargira aux substances psychédéliques.»

«Selon moi, des recherches plus nombreuses seront aussi effectuées sur les bienfaits de ces substances au niveau de la spiritualité et de la religion. La société occidentale connaît une crise spirituelle. Les drogues psychédéliques pourraient aider certaines personnes à redonner du sens à leur vie. J’espère que 2023 me permettra, ainsi qu’à d’autres universitaires critiques, d’étudier de quelle manière des connaissances sont créées dans ce domaine. Quel est l’impact des recherches sur les psychédéliques sur les communautés qui en consomment depuis bien plus longtemps que la science occidentale? Obtenons-nous des connaissances auprès des communautés indigènes et underground sans rien donner en retour?»

LIRE: Combiner psychédéliques et thérapie pourrait soigner les troubles mentaux chroniques (en anglais)

Le transport aérien contribuant au réchauffement climatique, des chercheurs européens étudient comment des moteurs électriques et hybrides pourraient réduire l’empreinte carbone des jets. Les batteries actuelles sont loin d’être prêtes pour un usage commercial. D’après Fabio Russo, directeur de la recherche pour le constructeur aéronautique italien Tecnam, et coordinateur du projet H3PS financé par l’UE, les compagnies aériennes doivent prendre des engagements concrets pour que des progrès réels puissent être envisageables.

«Notre entreprise mobilise des ressources et des équipes d’ingénieurs pour développer les nouvelles technologies nécessaires à la conception d’avions tout-électriques et hybrides. Toutefois, les batteries tout-électriques fonctionnent uniquement sur les appareils légers dont le temps de vol est compris entre 20 à 30 minutes (plus la réserve). Elles ne sont donc clairement pas adaptées aux besoins des vols commerciaux, même court-courriers.»

Pourquoi les choses n’avancent-elles pas aussi vite que nous le voudrions? Parce que même si les compagnies aériennes multiplient les communiqués de presse dans lesquels elles expriment leur intention de mieux protéger l’environnement, il est rare que cela débouche sur des résultats concrets. Au moment de s’engager sur l’achat d’avions plus propres, elles n’ont pas de business model progressif et ne font aucune véritable promesse. Cela n’encourage pas les constructeurs à investir sans risque de grosses sommes dans les énergies propres. Cela doit changer sinon les ingénieurs, les constructeurs et les compagnies aériennes perdront leur crédibilité.

«Actuellement, une batterie ne peut plus être utilisée dans un avion lorsque ses performances passent sous les 90 % car, à ce stade, la distance de vol n’est plus assurée et le risque de surchauffe de la batterie augmente. Cela signifie qu’après environ 800 cycles de vol (généralement atteints au bout de quelques semaines), la batterie doit être remplacée par une neuve qui coûte des milliers d’euros. Et ceci pour un avion accueillant seulement neuf passagers pour un vol très court. Le coût est trop élevé pour que ce soit rentable, et la technologie entraîne trop de gaspillages pour être respectueuse de l’environnement. J’espère qu’au cours des prochaines années nous trouverons des moyens d’améliorer l’autonomie des batteries et qu’elles pourront être ’reprises et échangées’, c’est-à-dire que la compagnie aérienne pourra les retourner au fabricant et en obtenir d’autres contenant des cellules neuves. Les anciennes batteries seraient alors vendues pour être utilisées sur d’autres équipements tels que des appareils électroniques grand public ou pour stocker de l’énergie.»

LIRE: L’aviation verte prend son envol grâce à des travaux sur les avions électriques (en anglais)

Les réserves d’eau douce diminuent partout dans le monde. Alors que les populations augmentent et que les sécheresses empirent, les scientifiques cherchent de nouveaux moyens de transformer l’eau salée (telle que celle des océans) pour qu’elle puisse alimenter les foyers et les entreprises. George Brik est PDG d’Hydro Volta, une entreprise belge qui a mis a au point une technologie brevetée de dessalement. Développée dans le cadre du projet SonixED financé par l’UE, la technologie est beaucoup plus respectueuse de l’environnement que tout ce qui se fait actuellement, tout en consommant bien moins d’énergie et de produits chimiques.

Notre planète offre une réserve illimitée d’eau salée mais les technologies de dessalement traditionnelles entraînent des gaspillages, coûtent cher et sont mauvaises pour l’environnement. C’est là qu’Hydro Volta intervient. Grâce à notre technologie, la transformation de l’eau salée en eau douce est à la fois moins chère et plus sûre pour la planète. Tout ce qu’il nous reste à faire est d’augmenter l’envergure de nos processus et de faire comprendre aux gouvernements et au secteur industriel que nous pouvons les aider à résoudre un problème important qui prend de l’ampleur. J’ai de bonnes raisons de penser que nous y parviendrons au cours des prochaines années.

«Je suis arrivé en Belgique avec ma famille il y a dix ans, après avoir survécu à la guerre en Syrie. Là-bas, je travaillais déjà dans le secteur du traitement de l’eau, mais j’ai dû tout abandonner et repartir à zéro en Belgique. Cela a été difficile.»

«Deux ans après mon arrivée, j’ai rencontré Yousef Yousef qui est devenu mon partenaire en affaires et avec qui j’ai fondé la société. Le gouvernement flamand et l’UE ont cru en notre projet et nous a soutenus dès le début. Je suis tellement reconnaissant de l’opportunité qui m’a été offerte. Maintenant, il ne nous reste plus qu’à faire connaître notre technologie au monde entier.»

LIRE: Face à la pénurie d’eau potable, produire de l’eau grâce à l’air et l’eau de mer (en anglais)

Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.    

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