Le Sénat vient de ressortir des tiroirs un vieux projet qui divise : la fameuse « taxe lapin ». Derrière ce nom presque humoristique se cache une idée bien moins drôle pour les patients : facturer ceux qui ne se présentent pas à leurs rendez-vous médicaux. Adoptée le 22 novembre 2024 par le Sénat après avoir été proposée par le gouvernement en début d’année, cette mesure suscite colère et incompréhension, autant chez les patients que chez certains élus. Est-ce une solution miracle pour responsabiliser les Français ou une aberration bureaucratique de plus dans un système de santé déjà à bout de souffle ?
Santé : une taxe lapin pour punir, mais à quel prix ?
Un coût caché sous le tapis : la logique économique de la taxe lapin
Les promoteurs de la taxe lapin, majoritairement des sénateurs de droite et du centre, justifient leur décision par une économie supposée pour le système de santé. Chaque année, près de 28 millions de rendez-vous médicaux ne sont pas honorés en France. Si l’on estime qu’une consultation coûte en moyenne 25 euros, le manque à gagner pour les praticiens avoisine les 700 millions d’euros par an. Une somme colossale, certes, mais qui ne tient pas compte des frais administratifs et logistiques qu’impliquerait la mise en place de cette taxe.
Le Sénat propose une amende forfaitaire, dont le montant exact n’a pas encore été fixé. Mais entre les estimations les plus prudentes (10 euros par rendez-vous manqué) et les plus ambitieuses (50 euros ou plus), le spectre d’une nouvelle charge financière plane déjà sur les patients. Pourtant, qui payera vraiment la facture ? Cette pseudo-solution risque fort de se transformer en un casse-tête administratif coûteux pour l’Assurance maladie et les cabinets médicaux.
Taxe lapin : un dispositif bourré d’incohérences
Si la mesure semble « simple » sur le papier, elle soulève une avalanche de questions pratiques. Comment l’Assurance maladie identifiera-t-elle les patients fautifs ? Les agents de la Sécurité sociale ne travaillent pas dans les cabinets médicaux, et les praticiens, déjà surchargés, devront sans doute ajouter une couche de bureaucratie pour signaler les absences. Résultat ? Une inflation des coûts administratifs, qui viendra grignoter les gains attendus. Ironie du sort : on risque de perdre plus d’argent à gérer cette taxe qu’à la collecter.
Geneviève Darrieussecq, ministre de la Santé, ne mâche pas ses mots : la mesure est « irréaliste ». Elle évoque le danger d’une application arbitraire, où des patients pourraient être pénalisés à tort pour des imprévus légitimes. Faut-il rappeler qu’un rendez-vous manqué peut être dû à une urgence, à des horaires de travail changeants ou à un problème de transport ? Et qu’en est-il des populations fragiles ? Les plus précaires, souvent mal informés ou mal accompagnés, risquent d’être les premières victimes de cette taxe.
Une sanction qui ne s’attaque pas aux vrais problèmes du système de santé français
Les sénateurs derrière cette mesure avancent des arguments de responsabilisation. Mais où est la cohérence quand le système de santé lui-même accumule les dysfonctionnements ? Les délais d’attente pour un rendez-vous chez un spécialiste dépassent parfois les 6 mois. Les déserts médicaux s’étendent, laissant des millions de Français sans accès rapide à un médecin. Et plutôt que d’apporter des solutions concrètes, on préfère détourner l’attention en pointant du doigt les patients.
Le sénateur socialiste Bernard Jomier, lui-même médecin généraliste, parle d’un « entêtement absurde ». « Cette taxe rate complètement ses objectifs », insiste-t-il. Selon lui, le véritable enjeu est ailleurs : dans une meilleure organisation des soins, une modernisation des outils numériques pour éviter les oublis, et surtout une revalorisation des métiers de la santé pour attirer plus de praticiens. En bref, tout sauf une pénalisation aveugle.
Carte vitale : une modernisation à marche forcée de la santé en France
Dans le même élan, le Sénat a voté pour accélérer la généralisation de l’application mobile de la carte Vitale, prévue désormais pour juillet 2025. Une initiative qui, sur le papier, semble prometteuse. Mais, là encore, la réalité est plus complexe : combien de praticiens disposent déjà d’un logiciel compatible avec ces outils numériques ? Peu. Le coût de mise à jour des systèmes informatiques sera en partie compensé par des incitations financières, mais est-ce suffisant face à la surcharge de travail et au manque de formation des professionnels de santé ?
En parallèle, cette obsession pour la dématérialisation pose une autre question cruciale : l’exclusion numérique. Selon une étude récente, près de 13 millions de Français sont en situation d’illectronisme. Pour eux, la transition vers des outils numériques représente un obstacle supplémentaire, accentuant les inégalités d’accès aux soins.
La taxe lapin, loin de résoudre les problèmes structurels du système de santé, risque d’aggraver la fracture entre les citoyens et leurs institutions. En pointant du doigt les patients, on oublie de traiter les causes réelles des dysfonctionnements : une pénurie de médecins, des délais d’attente interminables, et une gestion administrative inefficace. Pire encore, cette taxe pourrait dissuader certains patients de prendre rendez-vous, par crainte d’une sanction en cas d’imprévu.