Des simulations du corps humain et des données avancées laissent espérer un traitement médical plus personnalisé pour tout un éventail de maladies.
Santé : des répliques numériques pour aider les patients
Dans un laboratoire de Rome, Marco Evangelos Biancolini et son équipe explorent l’anatomie de patients pour évaluer l’efficacité de différentes interventions chirurgicales.
Pourtant, ce ne sont pas de vraies personnes qui sont sous leur scalpel mais bien leur double numérique projeté à l’écran, qui reflète la composition biochimique de chacune de ces personnes. Cette technique pourrait ouvrir de nouveaux horizons dans le domaine médical et permettre d’accéder à des soins de santé personnalisés.
Des doubles des patients
En testant des méthodes et des médicaments sur des «jumeaux numériques», le personnel médical peut identifier les traitements les mieux adaptés à chaque cas. L’équipe de Biancolini étudie quant à elle les anévrismes, une dilatation ou un renflement anormal de la paroi de l’artère.
«Nous ne pouvons pas nous permettre de procéder par tâtonnement avec le patient, mais avec un jumeau numérique, nous pouvons recommencer l’opération plusieurs fois», a déclaré M. Biancolini, professeur agrégé en conception de machines à l’Université de Rome.
Il est à la tête d’un projet de recherche financé par l’UE qui a pour but de former de jeunes chercheurs aux multiples utilisations des jumeaux numériques dans le cadre du traitement et de la prévention des anévrismes. Ces affections peuvent être présentes chez les personnes dès la naissance ou résulter de troubles tels que l’hypertension artérielle, les plaques graisseuses et un traumatisme.
Intitulé MeDiTATe, le projet de quatre ans et demi s’achèvera en juin 2024. Il rassemble 25 partenaires académiques et industriels d’Italie, de France, de Grèce, de Norvège et de Suisse.
Débilitation mortelle
Environ 3 % de la population mondiale présente des anévrismes, et de nombreuses personnes ignorent qu’elles en sont atteintes jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
Lorsqu’un anévrisme se rompt, les conséquences sont graves. Jusqu’à 35 % des personnes souffrant d’une rupture d’anévrisme décèdent et seulement un tiers de celles qui survivent peuvent reprendre une vie normale.
Face à une maladie potentiellement débilitante, qui peut survenir à tout moment et n’importe où dans le système circulatoire, des efforts sont déployés pour chercher des moyens de sauver plus de vies.
Les jumeaux numériques peuvent aider à mieux détecter certains signes avant-coureurs chez les patients réels, et permettre d’adopter des mesures préventives plus rapidement.
Les chercheurs du projet MeDiTATe espèrent augmenter les taux de survie des personnes atteintes d’anévrismes, faire en sorte qu’ils soient détectés plus tôt et améliorer la prévention.
Si un anévrisme est diagnostiqué ou suspecté chez un patient, un jumeau numérique peut être créé d’après sa physiologie. Des spécialistes peuvent ensuite réaliser des tests pour proposer un traitement sur mesure.
Parce qu’il est difficile de collecter des données sur le corps d’une personne sans procédures invasives, les chercheurs impriment aussi en 3D des répliques de patients pour recueillir les informations nécessaires afin que les jumeaux numériques soient aussi complets que possible.
«Combiner le patient, la réplique et le jumeau numérique permet de boucler la boucle», a déclaré M. Biancolini.
Facile à utiliser
Si les jumeaux numériques sont déjà utilisés pour la recherche, MeDiTATe espère les rendre plus faciles à utiliser pour les professionnels de santé.
L’équipe a travaillé avec des hôpitaux et recueilli les points de vue de professionnels de santé. L’objectif est de comprendre les informations qu’ils doivent obtenir sur le jumeau numérique pour pouvoir tirer des conclusions concernant l’anévrisme du patient.
L’équipe entend rendre commercialement viables les jumeaux numériques destinés au traitement des anévrismes. Les membres du consortium MeDiTATe ont déjà déposé plusieurs brevets à cet effet.
M. Biancolini estime que les jumeaux numériques seront l'avenir des soins de santé car, en gagnant en fiabilité et en précision, ils rendront moins indispensables les répliques traditionnelles de parties du corps humain.
«Le nombre de prototypes physiques a beaucoup diminué au cours des dernières décennies, car la précision des simulations numériques est désormais si grande qu'on peut leur faire confiance», a-t-il déclaré.
Fibrillation auriculaire, accident vasculaire cérébral
D’autres chercheurs financés par l’UE font appel aux technologies numériques pour obtenir une autre forme d’aide aux soins de santé.
Le projet MAESTRIA met en place une plateforme de collecte d'ensembles de données qui aidera les médecins à comprendre et à traiter la fibrillation auriculaire (rythme cardiaque irrégulier) et les accidents vasculaires cérébraux. D’une durée de cinq ans, l’initiative prendra fin en février 2026.
Les membres du projet recherchent des marqueurs biologiques spécifiques qui signalent le risque de développer ces deux maladies.
L’équipe développe des outils numériques fondés sur une nouvelle génération de marqueurs biologiques et qui utilisent l’intelligence artificielle et les mégadonnées issues de technologies de pointe dans les domaines de l’imagerie, de l’électrocardiographie et des technologies «omiques». Le but est ainsi d’affiner le diagnostic et le traitement individuel des patients.
Dans l’UE, l’accident vasculaire cérébral est la deuxième cause de décès et l’une des principales sources de handicap chez les adultes.
«Quand une personne souffre de fibrillation auriculaire et est victime d'un accident vasculaire cérébral, c'est le résultat d'un processus pathologique qui a commencé plusieurs années auparavant», a déclaré Stéphane Hatem, professeur de physiologie cardiovasculaire à l'Institut de cardiométabolisme et de nutrition de Paris.
Grâce au projet MAESTRIA, les chercheurs pourront, selon lui, démontrer que le tissu adipeux du cœur est un marqueur biologique clé de la fibrillation auriculaire et des accidents vasculaires cérébraux. La disponibilité d’un vaste ensemble de données examinant ces deux facteurs dans les brevets devrait permettre d’arriver à cette conclusion.
Recrutement et essais
M. Hatem, qui assure la coordination du projet, et son équipe, se préparent à tester la plateforme qui est au cœur du projet.
Les chercheurs recrutent des patients dans des pays européens, dont la France, l'Allemagne et l'Espagne. Les tests se dérouleront sur deux ans et demi.
Si l’essai s’avère concluant, il sera élargi à des personnes originaires de pays tiers. En effet, plus les participants sont représentatifs du spectre de la population, plus les ensembles de données sont utiles.
«Pour que l’algorithme soit utile au niveau des soins cliniques, il est extrêmement important de le valider auprès d'une vaste population, sans se limiter à celles des pays d'Europe occidentale», a précisé M. Hatem.
La plateforme mise au point dans le cadre du projet sera accessible à d’autres professionnels de santé.
Des personnes disposant de différents ensembles de données pourraient les ajouter à la plateforme et contribuer ainsi aux conclusions qui pourraient en être tirées. À titre d’exemple, un chercheur étudiant les accidents vasculaires cérébraux à Riga, en Lettonie, pourrait fournir ses données et accéder en retour à toutes les informations de la plateforme.
En définitive, l’initiative pourrait aider les spécialistes à mieux comprendre les marqueurs biologiques et donc à mettre au point des traitements plus ciblés, et donc plus efficaces.
Comme M. Biancolini, M. Hatem estime que les technologies numériques sont essentielles à l’amélioration des soins de santé.
«Avec la médecine personnalisée, il devient possible d’identifier avec exactitude et précision le risque couru par chaque individu», a déclaré M. Hatem.
Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par l’UE et, dans le cas de MeDiTATe, par le biais des Actions Marie Skłodowska-Curie (MSCA). Les opinions des personnes interrogées ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne.
Plus d’infos
Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.