Le Conseil d’État a rendu il y a quelques semaines quatre décisions portant sur l’actionnariat d’établissements de soins vétérinaires avec une phrase qui ne manquera pas de résonner aux oreilles des médecins :
Santé : Ce que le Conseil d’État préconise pour les animaux vaudrait-il aussi pour les Hommes ?
Le Conseil d’État dispose que l’Ordre des vétérinaires (CNOV) peut refuser d’inscrire au tableau une société si ses statuts ne sont pas conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l’exercice de la profession de vétérinaire, au nombre desquelles figurent les conditions auxquelles la loi subordonne l’exercice de la médecine et de la chirurgie des animaux dans le cadre d’une société, ou si ces statuts, ou le cas échéant, des accords passés entre les associés ou des engagements contractés par la société avec des tiers, sont susceptibles de conduire les vétérinaires qui y exercent à méconnaître les règles de la profession, notamment en portant atteinte à leur indépendance professionnelle.
Cette décision concernant les soignants de « nos amies les bêtes » doit faire réagir le Conseil de l’Ordre des médecins (CNOM), car le CNOV a choisi courageusement de radier certains groupes de vétérinaires tombés dans les mains des financiers, jugeant que leurs statuts ne garantissaient pas l’indépendance nécessaire à l’exercice de la profession.
Déferlante des financiers : 5 causes, 5 remèdes
L’UFMLS avait prédit bien avant tout le monde cette déferlante et nous avions analysé à de nombreuses reprises les causes de l’arrivée des financiers notamment en radiologie, nous proposons ce jour des remèdes à chacune de ces causes :
1 : Le flou réglementaire des sociétés d’exercice
Le flou réglementaire des sociétés d’exercice (SELARL, SELAS…) et l’habileté avec laquelle les juristes contournent les règles permet d’instaurer un actionnariat « non médical » aux apparences minoritaires qui, en règle générale, permet aux financiers d’exercer un pouvoir décisionnel qui nous paraît contraire à l’indépendance de notre profession, donc néfaste pour les patients. Cela a parfaitement été analysé par l’académie de Médecine concernant la financiarisation de la radiologie.
Remède : Adapter la législation
L’état se doit d’adapter la législation pour garantir l’indépendance des sociétés d’exercices en interdisant tout actionnariat « non médical » dans les SELARL et SELAS. Si l’état ne prend pas ses responsabilités, le Conseil de l’Ordre se doit de refuser les contrats ne garantissant pas l’absolue indépendance en exigeant les statuts et les pactes d’associés dès la création des sociétés et également lors de toutes modifications de ces derniers. Le CNOM doit également prendre ses responsabilités en radiant les sociétés qui ne garantissent pas cette indépendance en ayant le courage qu’a eu le Conseil de l’Ordre des Vétérinaires même s’il faudra sûrement en passer par le Conseil d’État.
2. L’appétence des financiers pour les spécialités techniques
Les financiers ont une particulière appétence pour les structures nécessitant des plateaux techniques et certaines spécialités comme la radiologie, l’ophtalmologie, la biologie qui présentent une possibilité de marges importantes sur la productivité et les coûts par l’ « industrialisation » de ces plateaux. À la différence de la biologie, la radiologie et la l’ophtalmologie comportent une part clinique majoritaire indéfectiblement liée à ce plateau technique. Ce lien est à notre avis incompatible avec un actionnariat « non médical » dans ces plateaux. En effet, toute influence sur les cadences de travail influent sur la qualité des examens, car en radiologie comme dans beaucoup d’autre discipline, gagner en productivité signifie accélérer les cadences. Accélérer par exemple l’acquisition des images ne peut se faire qu’aux dépens de la qualité de ces dernières. Si le choix de la productivité n’est pas uniquement du ressort du médecin, nous aboutirons irrémédiablement aux scandales qui ont déjà touché les cliniques, EPHAD et les centres dentaires.
Remède : Pas d’actionnariat « non médical » dans la gestion de ces structures.
Là encore l’état doit modifier les conditions d’obtention des autorisations des plateaux techniques et l’Ordre des Médecins doit veiller au respect de cette indépendance en ayant un droit de regard et de veto sur les autorisations délivrées par les ARS si elles ne respectent pas l’indépendance du plateau technique qui sera exploité par l’équipe médicale. Malheureusement, la loi RIST et la loi VALLETOUX éloignent un peu plus les médecins de cela un enlevant à la commission spécialisée de l’organisation des soins (CSOS) le maigre pouvoir d’interaction que les médecins pouvaient avoir sur ces décisions.
3. L’acharnement de l’État et de la CNAM sur les spécialités techniques
L’acharnement de l'État et de la CNAM sur les spécialités à forte nécessité technique comme la radiologie, considérées uniquement comme sources de dépense, rend ces structures instables et crée les conditions idéales aux rachats. Cette méthode a fait ses preuves, car elle a été employée pour les cliniques, la biologie et les a fait tomber dans les bras des financiers.
Remède : Admettre que ces spécialités nécessitent des investissements à la hauteur des progrès qu’elles apportent.
Comment imaginer une seule seconde qu’économiser sur le nombre d’IRM ou de scanners serait une source d’économie sachant l’impact du retard au diagnostic pour les patients et le coût que cela entraîne sur notre système de santé. Comment imaginer que baisser la nomenclature baissera les coûts sachant que cela augmentera la cadence au détriment de la pertinence. Comment imaginer négocier des plans d’économies sans envisager dans le même temps la revalorisation d’examens indispensables. Comment imaginer définir la valeur des actes selon une méthodologie remontant aux années 2000 et sans se référer à la valeur des actes dans les autres pays d’Europe. La CNAM doit arrêter de jouer ce jeu qui mène la radiologie et les spécialités à haute exigence technique, dans les bras des fonds de pension et faire enfin son mea culpa plutôt que de se vanter s’occuper du problème des financiers alors qu’elle en est la meilleure amie.
4. La complicité syndicale
En effet, ces baisses successives des cotations ont été la plupart du temps validées par les conventions médicales donc par les syndicats historiquement signataires qui, sous prétexte d’obtenir certaines avancées, sacrifiaient certaines spécialités sans aucun remord. Pour prendre l’exemple de la radiologie, certains syndicats de spécialistes obtenaient habituellement l’aval du Syndicat des radiologues, ce qui a provoqué de nombreuses scissions au sein même de la radiologie française (certaines sociétés savantes attaquant par exemple les décisions conventionnelles sans le soutien de leur syndicat). Fort de ces divisions, l’Etat ne discute même plus avec les syndicats transversaux et impose ses volontés directement au syndicat des radiologues en passant ensuite cela par le PLFSS, occultant ainsi toute discussion conventionnelle et donc toute négociation paritaire.
Remède : Arrêter de signer des conventions sacrifiant les uns au détriment des autres.
Il n’est également plus possible que la caisse négocie directement avec les syndicats qui ne sont pas habilités et élus pour négocier les conventions (c’est par exemple le cas des syndicats dit « verticaux » . Cela est évidemment une technique qui a visé à isoler certaines spécialités du champ conventionnel. Cette manière de faire expérimentée pour les radiologues n’ayant provoqué aucun remous au sein des syndicats représentatifs, elle est maintenant employée pour les autres spécialités en passant directement par le PLFSS sans aucune discussion préalable. Les syndicats transversaux doivent s’opposer à toute négociation et réforment sortant du cadre conventionnel.
5. L’appât du gain.
La dernière cause est individuelle et il n’y a pas de remède simple à l’appât du gain quand les financiers mettent sur la table des sommes qui sont complètement décorrélées de la valeur d’un cabinet ou d’une société surtout pour un préretraité qui oublie rapidement qu’il y a des jeunes qui pourraient prendre sa place ou qui n’a malheureusement pas de jeunes pour prendre sa place à cause d’un numerus clausus complètement décorrélé des besoins de la population.
Remède : aucun remède individuel, mais un remède global incluant les 5 précédents et un 6ème traitement qui passe par les jeunes médecins. Là encore, la radiologie doit servir d’exemple car à l’initiative de certains internes ou chefs cliniques qui se sont fédérés sur des réseaux sociaux, certaines associations voient le jour (CORAIL) et regroupent plusieurs milliers d’adhérents qui ont comme charte de refuser d’aller travailler ou remplacer dans des cabinets aux mains des financiers afin de garder leur indépendance. Sans médecins ces cabinets, même à fort potentiel technique, n’ont aucun avenir et donc aucune valeur ce qui est la seule manière de faire renoncer les vendeurs et bien sûr les financiers. Ces financiers commencent à trembler et attaquent ces associations pour tenter de les intimider. Les syndicats doivent soutenir ces initiatives et ces associations peuvent compter sur l’UFML-S.
L’UFML-S demande aux acteurs impliqués dans cette lettre (état, syndicats, CNAM, Sociétés savantes, CNOM, associations de jeunes médecins), de se mettre autour d’une table et de tenter d’arrêter la vague de la financiarisation avant qu’elle n’engloutisse la radiologie, l’ophtalmologie et les autres rivages de la médecine.
Rien n’est fini, tout commence.