Des semaines d’attente pour un rendez-vous, des kilomètres à avaler pour vous rendre au cabinet d’un médecin qui a bien voulu vous accepter… L’Assemblée nationale a adopté, mercredi 2 avril 2025, un article issu d’une proposition de loi transpartisane qui vise à apporter une réponse aux déserts médicaux.
Santé : les médecins seront-ils (enfin) contraints de s’installer à la campagne ?
L’article issu de cette proposition de loi est particulièrement sensible. Il prévoit de conditionner l’installation des médecins à une autorisation délivrée en fonction des besoins locaux. Objectif ? Lutter contre les déserts médicaux et garantir une véritable égalité d’accès aux soins sur l'ensemble du territoire français.
Une proposition de loi pour réguler l'installation des médecins
Dans les zones rurales, la réalité n’a plus rien d’un simple désagrément : l’accès aux soins est devenu un parcours du combattant. Un trajet de 45 minutes à 1 h 30, plusieurs mois d’attente pour une consultation généraliste, et des centaines de milliers de patients sans médecin traitant. Pour Guillaume Garot, député socialiste (PS) à l’origine de ladite proposition de loi depuis 2022, le constat est sans appel : « Six millions de Français sont sans médecin traitant, huit millions vivent dans un désert médical ». Pour lui et ses 250 cosignataires transpartisans du texte, l’urgence n’est plus discutable.
Le premier article de cette proposition de loi, le plus important, voté dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, mercredi 2 avril 2025, prévoit que tout médecin souhaitant s’installer devra, dans certaines zones, obtenir en amont l’aval des Agences régionales de santé (ARS). Dans les communes déjà bien dotées, l’installation ne serait autorisée qu’en cas de départ d’un confrère. A contrario, dans les territoires en tension, elle serait automatiquement validée. Philippe Vigier, député MoDem, cité par Le Figaro, précise que cette régulation ne concernerait qu’une part limitée du territoire, affirmant que « les médecins auront encore la liberté de s’installer sur 87 % du territoire ». Une manière, pour les partisans de la mesure, de rappeler que la majorité des zones resteront accessibles librement, et que l’objectif est de rééquilibrer — pas de brider.
Pour les défenseurs du projet, cette mesure constitue un ajustement de bon sens : elle vise à corriger une répartition inéquitable de l’offre de soins sur le territoire, soit à réduire, tant que faire se peut, les déserts médicaux. L’association France Assos Santé, qui représente les usagers du système de santé, salue cette initiative en ces termes : « Même si cette proposition ne règle pas tout, elle propose des solutions pertinentes et efficaces. »
« C’est de la démagogie pure et dure »
Mais cette volonté de corriger les inégalités d’accès aux soins sur le territoire se heurte à une hostilité tenace, marquée notamment par les réticences des premiers concernés : les jeunes médecins. Le syndicat MG France, par la voix de Jean-Christophe Nogrette, cité par Capital, ne mâche pas ses mots : « La coercition à l’installation est une ânerie : on ne régule pas une pénurie. C’est de la démagogie pure et dure. » Un avis partagé par l’Ordre des médecins, ainsi que par les collectifs Médecins pour demain et l’Union française pour une médecine libre, qui dénoncent tous trois un texte menaçant, selon eux, d’aggraver encore la crise d’attractivité de la profession.
La formation des médecins en France s’étale sur une dizaine d’années, un long chemin de sélection, de stages, de concours et de sacrifices. Pour beaucoup de jeunes praticiens, ce parcours justifie pleinement le droit de choisir librement leur lieu d’exercice. Or, nombreux sont ceux qui redoutent qu’un encadrement administratif des installations ne les pousse à délaisser l’exercice libéral, au profit de structures salariées jugées plus stables — voire qu’il encourage certains à quitter le territoire national pour exercer ailleurs.
Même dans les rangs du gouvernement, le scepticisme gagne du terrain. Le ministre de la Santé Yannick Neuder, cité par Le Figaro le 3 avril 2025, met en garde : « Réguler une pénurie, même intelligemment, ne suffit pas à la résoudre. » Une régulation trop rigide, estime-t-il pourrait envoyer un message contre-productif : transformer les zones rurales en secteurs d’assignation forcée plutôt qu’en territoires d’opportunité.
La question de fond est la suivante : faut-il contraindre les médecins à s’installer là où ils ne veulent pas, ou leur donner envie de le faire ? Le reste du texte doit encore passer entre les mains des députés d’ici mai 2025.