Le 15 avril 2025, la polémique enfle à l’aéroport Marseille-Provence. Quatre employés ont été brutalement licenciés pour avoir distribué des aliments invendus à des SDF. Une affaire qui soulève une onde d’indignation, entre légalité stricte et morale piétinée. La direction a qualifié la faute de grave.
Aéroport de Marseille : quatre salariés licenciés pour des sandwichs donnés aux SDF

Offrir à manger à un SDF : humanité ou faute professionnelle ?
Dans les couloirs feutrés du terminal 1, Sabri*, salarié depuis trente ans, effectuait chaque soir le même rituel. À la fin de son service, il collectait les sandwichs et viennoiseries invendus des franchises Starbucks et Prêt-à-Manger, propriété du groupe SSP. Ces produits, proches de leur date limite de consommation, étaient promis à la destruction. Lui préférait les remettre à des SDF installés dans l'enceinte de l'aéroport. « Je commençais par les SDF, on les connaît tous. Il y en a qui sont là depuis plus de 20 ans », a-t-il déclaré à France 3 Provence-Alpes.
Le geste ne se limitait pas aux sans-abri : agents de sécurité et femmes de ménage, souvent sous-payés et invisibles, profitaient aussi de cette distribution nocturne. « Elles nettoyaient chez nous en échange de nourriture », poursuit Sabri. Pendant des années, tout cela s'est déroulé sous les caméras, sous les yeux des responsables, en toute transparence. « Mon supérieur me disait que c'était bien comme ça, de continuer. Sinon, il était obligé de sortir de l'enceinte de l'aéroport pour jeter dans des poubelles spéciales, ça a un coût », relate-t-il encore.
Marseille, aéroport... et terrain de lutte contre les invendus
La direction du groupe SSP, elle, oppose une version bien différente. Dans le courrier de licenciement que France 3 a pu consulter, elle affirme : « Aucun salarié n’a le droit de partir avec de la marchandise destinée à être jetée ». Une directive précise que « toutes les pertes doivent être typées en caisse sur le logiciel des stocks le jour-même ». À cela s’ajoute un argument juridique mobilisé par l'entreprise, relayé par TF1 Info : « Il est de notre entière responsabilité de veiller à ce que les dons alimentaires ne soient pas distribués de manière informelle, non encadrée et opaque ».
Du point de vue légal, l’entreprise semble dans son droit. Selon un expert interrogé par TF1, « un salarié ne peut pas, à son nom propre, donner des produits qui appartiennent à son employeur. Il y a trop de risques juridiques et aussi trop de risques sanitaires ». Le droit commercial, couplé à des protocoles sanitaires stricts, donne à l’employeur les moyens d'encadrer, voire d'interdire, ce type d’initiatives individuelles.
SDF, invendus, licenciements : l’humanité déboutée
Mais derrière la lettre de la loi, il y a l’esprit. Et l’affaire choque par sa brutalité. « Du jour au lendemain, poussé dans le vide », témoigne un autre salarié à TF1. Tous cumulent des dizaines d’années d’ancienneté, sans aucun antécédent disciplinaire. Le choc est immense : « Ils ont détruit nos vies », lance l’un d’eux, désemparé. Les quatre travailleurs, dont trois ont également été remerciés pour le même motif, prévoient de saisir le conseil de prud’hommes.
La contradiction est saisissante. Alors que le gaspillage alimentaire devient un enjeu politique et environnemental majeur, voilà que la simple volonté de réduire ce gaspillage devient fautive. « Je suis fier d’avoir donné à manger », conclut Sabri, dans des propos rapportés par France 3, et dont les mots résonnent comme un réquisitoire contre une hiérarchie sourde à la détresse humaine.
*Sabri est un pseudonyme utilisé par le média France 3 Provence-Alpes pour préserver l’anonymat du salarié licencié.