Rossignol ferme son usine : la glissade industrielle française continue

Une marque mythique, des montagnes en toile de fond, un site historique… et une fermeture qui laisse un goût amer. Ce qui se joue à Sallanches dépasse la simple décision industrielle. Dans l’ombre des chaînes de production, c’est tout un écosystème qui se désagrège.

Paolo Garoscio
By Paolo Garoscio Published on 9 avril 2025 11h26
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Rossignol ferme son usine : la glissade industrielle française continue - © Economie Matin
180000 EUROS180 000 euros de subventions régionales avaient été attribués à l’usine de Sallanches

Le 8 avril 2025, le couperet est tombé : le groupe Rossignol a officiellement annoncé la fermeture de son site de production de Sallanches, en Haute-Savoie, dernier bastion français de fabrication industrielle de skis. Fondée en 1963, l’usine Dynastar représentait non seulement une pièce maîtresse de l’histoire industrielle locale, mais aussi un symbole de relocalisation réussie à l’heure où l’on évoque sans cesse la réindustrialisation du pays. Désormais, 57 salariés voient leur avenir s’assombrir brutalement.

Fermeture de l’usine Rossignol à Sallanches : un séisme industriel en Haute-Savoie

Le fabricant justifie cette décision par une érosion continue de la productivité, des coûts de production devenus incompatibles avec les exigences du marché et un environnement économique international jugé instable. Officiellement, Rossignol s’engage à « engager un dialogue social et à mettre en place des mesures d’accompagnement personnalisées » pour les salariés, tout en promettant de maintenir « un ancrage fort dans la région Auvergne-Rhône-Alpes » selon Le Dauphiné Libéré.

Mais derrière les éléments de langage bien rodés, les faits sont implacables. Le groupe prévoit de regrouper sa production sur deux sites : le siège historique de Saint-Jean-de-Moirans (Isère), où 1,5 million d’euros seront investis, et Artés, en Espagne, déjà fortement équipée.

Pourquoi Rossignol ferme-t-il une usine… qui tournait ?

La vraie question dérange. Car au-delà des déclarations institutionnelles, les chiffres racontent une autre histoire. Selon France Bleu, 180 000 euros de subventions régionales avaient été attribués à l’usine de Sallanches pour l’achat de machines. Ces équipements, transférés depuis, servent désormais ailleurs. Autre paradoxe : le site avait renoué avec les bénéfices dès 2022, et enregistré 30 % de croissance post-Covid.

Dans ce contexte, la sortie du député de la circonscription, Xavier Roseren, prend un ton accusateur : « Pourquoi fermer une usine qui gagne de l'argent ? », demande-t-il selon France Bleu.
Dans une autre déclaration, plus acerbe encore relayée par France 3, il dénonce : « 1,2 million d’euros d’argent public jetés par la fenêtre […] pour fermer une usine rentable ! ».

Rossignol, lui, avance 2,1 millions d’euros de pertes industrielles cumulées entre 2022 et 2024, mettant en lumière un déséquilibre entre investissement, retour sur activité et viabilité à long terme.

Rossignol, symbole de l’industrie française ou miroir brisé de sa désindustrialisation ?

Au-delà de la désillusion locale, la fermeture de Sallanches résonne comme une gifle nationale. L’usine, qui produisait des skis haut de gamme écoconçus, intégrant plus de 60 % de matériaux recyclés, était perçue comme un modèle de relocalisation industrielle durable, en ligne avec les engagements climatiques et économiques du pays.

Le dernier site de fabrication de skis en France disparaît ainsi sans tambour ni trompette, balayant 60 ans de savoir-faire et un ancrage territorial unique au pied du Mont-Blanc.

Selon les syndicats cités dans France Info, cette décision marque « la fin d’un pan entier de l’industrie française du ski » et révèle « une stratégie court-termiste, dictée par une logique de rentabilité maximale ». Dans un marché qualifié par Rossignol lui-même de « mature, en mutation et fortement concurrentiel », le groupe semble préférer concentrer ses efforts sur des zones géographiques aux coûts de main-d’œuvre plus faibles et à la logistique plus souple. Artés, en Espagne, n’a pas été choisie au hasard : les salaires sont plus bas qu’en France et la fiscalité plus avantageuse.

Rossignol : Une décision stratégique qui fragilise tout un territoire

Au-delà des chiffres, l’impact humain et territorial est considérable. À Sallanches, petite ville alpine de 16 000 habitants, l’usine représentait bien plus qu’un employeur : elle était un repère identitaire, une fierté locale. Et demain ? Le transfert d’une partie de la production vers l’Espagne, le repositionnement stratégique autour des skis de compétition et l’investissement isérois pourraient bien bénéficier à la marque. Mais le coût social, lui, est déjà palpable. Entre désillusion et colère, les 57 salariés en CDI concernés entament une période d’incertitude totale.

La décision de Rossignol illustre avec brutalité les contradictions d’une époque qui prône la souveraineté industrielle tout en laissant filer son dernier site de production de skis. L’histoire de Sallanches est celle d’une industrie qui sait parler d’ADN local dans ses campagnes publicitaires, tout en délocalisant.

Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint. Après son Master de Philosophie, il s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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