Le président du syndicat de cadres dit CFE-CGC a traité de « foutage de gueule » le projet de « réforme des retraites » qui vient d’être concocté par le Gouvernement, et qui a probablement été téléguidé par l’Elysée.
Retraites et « foutage de gueule »
L’expression ne présente certes pas une élégance susceptible de lui attirer l’estime des amateurs de beau langage ; elle contribue plutôt à renforcer le sentiment de malaise que l’on éprouve en observant le petit monde syndicaliste et politique, qui ne produit hélas – à ma connaissance - aucune réflexion ou proposition susceptible de montrer que la question des retraites fait l’objet d’un traitement sérieux par des personnes compétentes.
Retraites : un problème qui remonte à 1941
L’organisation des retraites, en France, porte la marque indélébile de la défaite française face à la Wehrmacht nazie. Notre pays avait été doté dans les années 1930 d’un système de retraites par capitalisation qui fut en quelque sorte atomisé par la déroute de nos armées. Vaincu, mis en coupe réglée par l’occupant, notre pays eut été bien en peine de faire fonctionner comme prévu cette institution destinée initialement à pratiquer la capitalisation, c’est-à-dire une accumulation de réserves suffisante pour garantir les retraites promises. Dans le courant de l’année 1941, le gouvernement de Vichy décida donc d’officialiser le recours à la formule « pay-as-you-go » : l’usage immédiat de la quasi-totalité des cotisations du mois M pour verser les retraites promises au titre de ce mois ou du précédent. Un trait fut ainsi tiré sur la retraite par capitalisation ; la France adopta la « répartition », c’est-à-dire renonça à constituer des réserves garantissant le paiement des futures pensions.
L’abandon officiel de tout sérieux économique
La décision prise en 1941 se comprend au vu des circonstances : la déréliction dans laquelle se trouvaient la France et les Français s’étendait au système de retraites ; il eut été vraiment difficile de prendre les mesures qui eussent été appropriées en des temps moins troublés. La véritable faute se situe en aval, au moment où la France a retrouvé sa liberté et s’est attelée à sa reconstruction.
Innover était alors possible, et les pouvoirs publics usèrent pour ce faire de la malléabilité de nos institutions, mais hélas pas dans le domaine des retraites. Il aurait fallu innover, inventer la retraite par capitalisation humaine, c’est-à-dire une attribution des droits à pension non pas au prorata des sommes destinées au paiement des retraites déjà liquidées, mais au prorata des contributions apportées à la reconstitution du capital humain.
Il aurait fallu écouter Alfred Sauvy, qui expliquait « nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations, mais par nos enfants », et qui mettait en place l’INED, Institut National d’Etudes démographiques. Un Sauvy aurait pu présider à la mise en place d’un système de pensions étroitement lié à la démographie, s’il avait été compris et suivi par les dirigeants du pays. Au lieu de quoi la France eut droit à l’accession au pouvoir d’hommes politiques ignares en la matière, qui laissèrent filer une occasion unique de doter la France de retraites disons « par capitalisation humaine ». La prise de conscience de l’importance de la démographie offrait pourtant au lendemain de la guerre une chance unique de ne pas s’engager dans la construction d’un système digne de Ponzi, mais de mettre en place une législation intelligente des retraites dites « par répartition ». Ponzi fut préféré à Sauvy et nous en subissons les conséquences. En lieu et place de pensions attribuées au prorata des contributions apportées à la formation du capital humain, nous avons des rentes calculées selon des formules tarabiscotées qui donnent la plus grande place au versement des sommes destinées aux retraités. Comme si cotiser au profit de nos aînés retraités aboutissait miraculeusement à faire naître de nombreux bambins et à les doter d’une bonne formation ! Notre législateur mérite vraiment un zéro pointé !
Comment passer du système actuel des retraites à un système raisonnable ?
Quitter un système où les droits à pension sont attribués en raison des sommes versées aux aînés, pour adopter une législation qui fasse calculer ces droits en fonction des investissements réalisés dans la jeunesse, c’est une révolution copernicienne ! Mais nos dirigeants en sont véritablement, en matière de retraites, au stade des astronomes d’avant Copernic et Galilée, pour qui le soleil tournait autour de la terre. Et n’oublions pas que l’œuvre de Copernic fut mise à l’index en 1616, et que Galilée fut poursuivi par l’Inquisition pour qu’il se rétracte, ce qu’il finit d’ailleurs par faire, de guerre lasse, en 1633. Pour Copernic, la condamnation prononcée par l’inquisition dura des siècles : c’est seulement en 1992 que notre sainte mère (parfois marâtre ?) l’Eglise le réhabilitât pleinement !
Il serait donc vain de croire que l’imbécilité de droits à pension basés sur les versements effectués au profit des retraités sera officiellement reconnue dans un proche avenir : notre personnel politique a suffisamment de points communs avec l’Inquisition, quand il s’agit de nier les réalités qui lui déplaisent et de conserver des règles législatives dépourvues de tout sens commun, pour que les retraites par répartition dignes de Ponzi aient encore un bel avenir devant elles.