Les retraites : une affaire d’enfants

Les réformes requièrent quantité de négociations, dont bon nombre s’avèrent stériles ; elles provoquent parfois des affrontements inutiles ; et, souvent, elles engendrent d’importants frais de mise en œuvre puis, très souvent, des augmentations de la dépense publique qui boostent les déficits. Malheureusement, le projet de réforme qui semble devoir être choisi par les pouvoirs publics en matière de retraites est typique des plans élaborés à partir d’idées aussi fausses que répandues, propres à rendre plus difficile le recours aux bonnes réformes qui seraient nécessaires.

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Par Jacques Bichot Modifié le 24 mars 2023 à 13h30
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Les retraites : une affaire d’enfants - © Economie Matin
30%Les femmes touchent une retraite en moyenne près de 30% inférieure aux hommes.

Précisons que ces idées fausses ne sont pas le monopole des personnes qui composent les pouvoirs publics : elles sont hélas partagées assez largement par les « partenaires sociaux ». Représentants des salariés, des entreprises et des pouvoirs publics ont hélas en commun, comme nous allons le voir, une conception tout-à-fait erronée de la façon dont fonctionnent réellement les retraites dites « par répartition ».

Le mensonge des ouvertures de droits à pension basées sur le travail

S’il est une idée reçue, dans notre Landernau administratif, juridique, syndical et patronal, c’est bien l’ouverture des droits à pension en raison des cotisations versées pour entretenir les anciens travailleurs. Les lois qui attribuent des droits à pension à monsieur X ou madame Y parce qu’il ou elle a payé des cotisations au profit des « anciens » montrent à quel point le corpus juridique peut être éloigné de la réalité.

Concrètement, la préparation des pensions se réalise en mettant des enfants au monde et en les préparant à exercer un métier. Le versement par les travailleurs de cotisations destinées à payer les retraites des personnes âgées est une sorte de remboursement de ce que chacun a reçu, durant son enfance et sa jeunesse, apport qui lui a permis de devenir à son tour un producteur capable de prélever sur ses revenus professionnels de quoi effectuer ce remboursement. Mais la loi se rit parfois des réalités, surtout s’il s’agit de les remplacer par un conte de fées – un conte selon lequel entretenir les « vieux » permettrait aux jeunes de préparer miraculeusement leurs retraites, sans se donner la peine d’élever des enfants.

La fable de 1941

En 1941 le législateur a inventé une belle fable : le versement de cotisations destinées aux personnes âgées aurait vocation à ouvrir des droits à pension. Il s’agit d’une galéjade : ces cotisations ne servent pas réellement à préparer les pensions de ceux qui les versent, mais le législateur a décidé de faire comme si c’était le cas, comme si l’entretient des retraités servait à préparer les futures pensions des cotisants. Et cette galéjade a été élevée à la dignité de loi de l’Etat français : elle a force de loi !

Hélas, trois fois hélas, ce divertissement de potaches s’exerçant au bizutage, avec comme objectif de faire ou faire faire une énorme bêtise, a été revêtu du sceau de la République (ou de la Monarchie, le cas échéant, selon les pays), et que nul n’en ignore ! Des légistes apparemment sérieux ont apporté leur caution à cette imposture intellectuelle basée sur la confusion entre consommation et investissement. Dès lors, il est convenu de croire, ou de faire semblant de croire, et de dire, que l’entretien des personnes âgées est un excellent investissement, comme si par miracle cette prise en charge des « vieux » allait produire des jeunes, seuls capables de remplacer dans les ateliers, les bureaux, les champs, les hôpitaux, les commerces, les camions et ainsi de suite, les personnes d’âge mûr qui prennent leur retraite.

Succès du conte de fées

Le conte de fées attribuant des droits à pension en raison du versement de cotisations servant, non à préparer les futurs cotisants, mais à entretenir les retraités, a connu un succès formidable. Pensez donc : pour acquérir des droits à pension, pas besoin d’engendrer et d’élever des enfants, ou de soutenir économiquement ceux qui le font, il suffit de payer les pensions dues aux retraités ! Plus besoin de saints ou de divinités pour accomplir le miracle de la multiplication des pensions, la République a passé un accord avec le Tout-Puissant, il y aura suffisamment de naissances pour que, des décennies plus tard, les retraites soient payées rubis sur l’ongle ! La loi est devenue un délire.

Ce délire, ou conte de fées, comme on voudra, connut initialement un certain succès. Après la guerre de 1939-1945 l’instinct de reproduction, le désir d’enfants, sont quelques décennies durant restés assez vifs, et des prestations familiales initialement assez importantes par rapport aux salaires ont facilité la constitution de familles fécondes. De ce fait la natalité est restée, en France, assez longtemps suffisante pour assurer le renouvellement des générations. Mais les progrès de la contraception ont changé la donne. Des pilules aux inconvénients devenus modestes permettent d’échapper au « funeste embonpoint ». Et en dernier ressort il y a l’IVG banalisé, rendu socialement et légalement acceptable quel qu’en soit le motif.

Retour à la réalité

Une disposition législative, à peine croyable tant elle heurte le bon sens, complète le dispositif malthusien que nous venons d’évoquer. Il s’agit de la disposition ouvrant les droits à pension en raison du versement de cotisations au bénéfice des retraités. Un enfant de dix ans comprendrait facilement que les cotisations de ses parents et de leurs contemporains, cotisations grâce auxquelles ses grands-parents perçoivent leurs pensions, ne préparent en rien la future retraite de ses parents ; il comprendrait que ces cotisations servent tout simplement à payer les pensions des personnes de la génération de ses grands-parents, et qu’elles ne peuvent pas « en même temps » servir à préparer les pensions de ses parents.

Il comprendrait aussi qu’il peut être fier de jouer un rôle de premier plan dans cette affaire : c’est à lui, une fois qu’il sera devenu adulte et salarié ou travailleur indépendant, qu’il reviendra de cotiser pour que ses parents et leurs semblables perçoivent les pensions qui leur sont promises par la loi.

La réalité est toute simple : les adultes prennent en charge les retraités en versant des cotisations aux caisses de retraite, et ils préparent la génération suivante – ce que nous appelons investissement dans la jeunesse. Cet investissement est récompensé par des droits à pension, qui s’accumulent jusqu’au moment où le travailleur liquidera sa pension. Le seul « hic », mais il est de taille, provient de la stupidité du législateur, qui n’a rien compris aux retraites par répartition, si bien que la loi attribue les droits à pension « en raison » des cotisations versées pour les retraités, contrairement au bon sens, lequel voudrait que ces droits fussent attribués en raison de l’investissement réalisé dans la jeunesse. Appelons donc de nos vœux un législateur plus au courant des réalités économiques, qui fera enfin dépendre les droits à pension de l’investissement réalisé dans la jeunesse.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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