Le 10 avril 2025, la Cour des comptes a remis au Premier ministre un rapport implacable sur les retraites, confirmant ce que nombre d’économistes redoutaient : sans ajustements profonds – et notamment un décalage de l’âge de départ – le système actuel n’est ni soutenable, ni équitable. Derrière les modélisations, c’est un véritable plaidoyer pour une réforme de structure que propose l’institution.
Retraites : pourquoi la Cour des comptes plaide pour un électrochoc

Le système des retraites : un boulet pour l’emploi et la compétitivité
Depuis la réforme de 2010, le taux d’emploi des seniors a progressé. Mais ne nous emballons pas. Selon la Cour des comptes, le système français reste plombé par une dépense publique élevée (près de 14% du PIB, contre 11,5% en moyenne dans la zone euro) et un taux d’emploi des 60-64 ans toujours à la traîne.
Le constat est clair : « Une hausse de l’âge de départ à la retraite aurait un impact positif sur le taux d’emploi moyen sans nuire à la productivité », peut-on lire dans le rapport publié sur le site de l’institution.
Pour les experts, il est temps de revenir au réalisme budgétaire. L’option d’une hausse des cotisations sociales est jugée destructrice d’emplois : une simple augmentation d’un point des cotisations employeurs entraînerait la suppression de 57.000 postes. Quant à l’indexation des pensions sous l’inflation, elle permettrait une économie de 2,9 milliards d’euros, au prix d’un gain d’à peine 5.600 emplois.
Un système injuste, même quand il prétend être solidaire
Mais le cœur du réquisitoire, ce sont les inégalités criantes que le système perpétue. Et pas besoin de chercher loin : entre ouvriers et cadres, l’écart d’espérance de vie à 65 ans atteint deux ans chez les femmes et trois chez les hommes. Résultat : les ouvriers, bien qu’ils partent plus tôt, passent deux années de moins à la retraite que les cadres. Pire : les fameux dispositifs de carrières longues, présentés comme un filet de sécurité sociale, profitent d’abord aux pensions moyennes. Seuls 13% des bénéficiaires se situent dans les quatre déciles les plus modestes. Et les femmes ? Elles subissent une double peine. Majoritairement en emploi partiel passé 60 ans, elles sont également surreprésentées dans la catégorie des « ni en emploi, ni en retraite », un entre-deux souvent lié à des contraintes familiales ou à la précarité.
Le remède : repousser l’âge de départ... mais pas seulement
Alors, quelle porte de sortie propose la Cour des comptes ? Plusieurs. La plus efficace selon ses simulations : reculer l’âge effectif de départ, tout en renforçant l’accompagnement des seniors pour éviter l’effet pervers du chômage déguisé. « Le statu quo en matière de financement du système de retraites est impossible », déclare sans ambages Pierre Moscovici, premier président de la Cour.
Le rapport souligne aussi l’intérêt d’une indexation des pensions sur les salaires plutôt que sur l’inflation, afin de garantir une meilleure équité intergénérationnelle. Il évoque également la mise en place d’une « clause de revoyure », à l’instar de ce qui se pratique dans les régimes complémentaires (Agirc-Arrco), pour permettre des ajustements automatiques en fonction des évolutions démographiques et économiques.
Un déficit hors de contrôle, des partenaires sociaux désunis
Le Premier ministre François Bayrou, qui tente de sauver son « conclave social », est confronté à une réalité chiffrée impitoyable. Le déficit projeté s’élève à 6,6 milliards d’euros en 2025, avec une envolée à 30 milliards d’euros dès 2045 en l’absence de réformes. Mais les partenaires sociaux refusent l’alignement automatique. La CGT, FO et l’U2P ont claqué la porte du conclave, tandis que le Medef rejette toute hausse de cotisation. Autant dire que les marges de manœuvre politiques sont aussi étroites que les options économiques sont pressantes.
L’exemple européen, un miroir à double tranchant
L’Allemagne, l’Italie et l’Espagne ont adopté des dispositifs d’ajustement automatiques. L’Italie, par exemple, revalorise ses pensions selon l’évolution des salaires, en y intégrant un facteur de soutenabilité lié au rapport entre actifs et retraités. Ces modèles permettent d’introduire une forme de pilotage rationnel, absent en France.
Dans l’Hexagone, chaque réforme ressemble à un coup de massue, faute de mécanismes progressifs. Pourtant, la démographie s’effondre, les perspectives de croissance restent incertaines, et l’effort collectif devient une injonction budgétaire.
La Cour des comptes ne se contente plus de tirer la sonnette d’alarme : elle énumère les options et chiffre leurs conséquences. Reculer l’âge de départ, réformer l’indexation, moduler les cotisations : autant de pistes qui, combinées, pourraient éviter une explosion financière tout en rétablissant une équité aujourd’hui introuvable. Mais encore faut-il un gouvernement capable d’assumer l’impopularité, des partenaires sociaux prêts à dialoguer, et un électorat conscient que, cette fois, reporter l’effort, c’est condamner le système.