Comment les retraites fonctionnent-elles en réalité ?

Le Président de la République ne semble pas enclin à dire et faire la vérité sur le fonctionnement des retraites dites « par répartition ». Connait-il le théorème énoncé par le démographe Alfred Sauvy, à savoir que « nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations, mais par nos enfants » ?

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Par Jacques Bichot Modifié le 24 mars 2023 à 13h30
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66%66% des Français sont opposés à la réforme des retraites.

Il semble hélas l’ignorer ; du moins, s’il en a connaissance, il n’en fait guère état, et ne semble nullement enclin à faire réaliser une réforme structurelle tenant pleinement compte de cette réalité fondamentale. La première chose à faire est donc de bien comprendre quel est le vrai mode de fonctionnement de nos retraites, celui qui n’est pas inscrit dans la loi des Etats tels que la République Française, mais dans celle de Dame Nature.

Le vrai fonctionnement des retraites « par répartition »

Le législateur français a instauré une règle abracadabrantesque : pour préparer leurs retraites, il suffirait aux Français de payer celles de leurs aînés. Comme si entretenir décemment les « anciens » provoquait une génération spontanée de nourrissons et assurait l’entretien et la formation de ces nouveaux petits Français jusqu’à ce qu’ils soient aptes à travailler à la fois pour leur propre subsistance et pour celle de leurs aînés retraités. Comme si la législation des retraites par répartition relevait du genre littéraire « contes de fées ». Les responsables de la législation nous ont ainsi plongé dans une sorte de conte à dormir debout. Mais que se passe-t-il en réalité ? Ce qui suit répond à cette question d’importance vitale.

Dans la vraie vie, les adultes en âge de travailler et de procréer trouvent assez lourd d’entretenir à la fois leurs descendants et leurs ascendants. Le législateur a donc cherché une astuce pour les inciter à bien traiter leurs « anciens », et il a trouvé celle-ci : donner aux cotisations en faveur des « vieux » une incroyable vertu économique, celle de préparer « en même temps » les futures pensions, qui leur sont donc promises lorsqu’ils cotisent pour les anciens. La formule qui a les faveurs du président Macron a été employée bien avant son arrivée aux affaires ! Nos législateurs du temps de la guerre de 1939-1945 et de l’Occupation allemande n’ont pas eu de scrupule : ils ont fait comme si entretenir les anciens allait aussi faire venir au monde des bébés et assurer leur formation.

En réalité, cotiser pour les personnes âgées ne sert évidemment pas à préparer de futurs travailleurs, des personnes capables d’entretenir les « vieux ». En décidant que le versement de cotisations destinées à l’entretien des anciens rapporterait des droits à pension à ceux qui les versent, le droit a perdu son rapport à la réalité. En vérité, les retraites ont continué à être préparées par la procréation des futurs cotisants et par leur formation durant une vingtaine d’années, plus ou moins selon les cas, mais le droit a divorcé d’avec la réalité. En bonne logique, et si le législateur avait eu le souci de l’équité, les droits à pension seraient attribués aux parents au prorata des enfants qu’ils élèvent, et aux personnes qui paient par leurs impôts et cotisations sociales la formation, l’entretien et les dépenses de santé des enfants et des jeunes. Mais le législateur a imposé le produit de ses élucubrations ridicules. Et la France n’est pas seule à s’être comportée de cette manière, si bien que les lois abracadabrantesques accordant des droits à pension future en raison et au prorata des cotisations destinées aux retraités actuels ont infesté une part importante de notre planète.

Comment passer de l’abracadabrantesque au rationnel ?

Depuis que des législateurs peu au courant des réalités ont implanté dans la plupart des pays des règles juridiques relatives aux droits à pension de retraite que l’on dirait avoir été concoctées par le Père Ubu, réformer est devenu aussi difficile que nécessaire. Il faut commencer par faire prendre conscience du fait que la plupart des législations des retraites dites « par répartition » ne tiennent pas la route, si bien qu’il est devenu nécessaire de réaliser des réformes de très grande ampleur, faute de quoi nous continuerons à aller droit dans le mur. Mais il faut aussi élaborer à l’intention de multiples pays des propositions précises à la fois pour le système à construire, et pour le passage de l’ancien au nouveau : ce n’est pas une mince affaire ! Contentons-nous ici d’esquisser ce qui pourrait être réalisé en France.

Concrètement, la première étape pourrait consister à généraliser le recours à la technique des points, familière à la majorité des Français puisque les salariés du privé ont une retraite complémentaire de ce type. Cette étape initiale déboucherait sur la suppression de la coûteuse superposition d’une retraite « de base » et d’une « complémentaire », au profit d’un régime unique. Les « complémentaires » fonctionnant par capitalisation classique pourraient perdurer et prendre, le cas échéant, davantage d’importance.

Ensuite viendrait le noyau dur de la réforme : l’adoption d’une formule de capitalisation « humaine ». Que l’on appelle ou non à la rescousse Bodin, l’inventeur de la formule « il n’est richesse que d’hommes », il faudra entériner le fait que les cotisants investiront massivement dans le capital humain : les cotisations en argent serviront notamment, pour une bonne part, au financement du système scolaire et universitaire. Pourquoi recourir à l’impôt pour financer le système de formation, initiale et continue, alors qu’il s’agit d’un investissement finançable par des cotisations productrices de droits à pension de retraite ? Une rupture très nette avec l’absurdité fiscale serait opérée.

Du pain sur la planche

En conclusion, nous sommes dans une situation qui pourrait être passionnante : décider de transformer radicalement les systèmes de retraites mis en place par des bureaucrates et des hommes politiques dépourvus des connaissances requises pour faire du bon travail. Ces connaissances peuvent être acquises : elles n’ont rien d’extraordinaire, nous pourrions même dire qu’il s’agit de simple bon sens. Bien des règles seront à modifier, il s’agira d’un aggiornamento de première importance, mais tant de changements peu utiles, voire nuisibles, sont effectués pour montrer que tel personnage ou telle équipe se démène au service de ses compatriotes, alors qu’il ou elle n’a aucune idée directrice d’envergure ! La rationalisation de nos systèmes de retraites dits « par répartition », mais qui ont évidemment recours à une forme particulière de capitalisation, pourrait constituer une avancée importante dans le sens d’une gestion plus efficace de la Res Publica.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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