Ils comprennent mieux, mais s’inquiètent davantage. Les Français semblent avancer à tâtons dans un système de retraite qu’ils connaissent mieux qu’avant, sans vraiment lui faire confiance. Ce que révèle le dernier sondage Toluna-Harris, c’est une tension grandissante entre perception et résignation, attentes et désillusions.
Retraite : 7 Français sur 10 veulent faire payer les plus riches

Du 21 au 24 février 2025, soit quelques jours avant le lancement du conclave social promis par François Bayrou, Premier ministre, une enquête de Toluna-Harris Interactive, commandée par Hexagone, a été menée auprès de 1 101 personnes représentatives des Français âgés de 18 ans et plus. Objectif : saisir comment les citoyens perçoivent le système de retraite actuel et ses potentielles évolutions. À l’heure où la réforme redevient un totem politique, les résultats de ce sondage valent bien plus qu’un simple baromètre d’opinion : ils révèlent une société fatiguée de n’être ni entendue, ni rassurée.
Une meilleure connaissance du système de retraite… mais largement floue
Savoir que la retraite française repose sur la répartition n’implique pas de comprendre comment elle fonctionne. En 2025, 56 % des répondants se disent bien informés, contre 41 % en 2018. La progression est indiscutable, mais elle masque un autre chiffre : seulement 10 % des sondés se déclarent très bien informés. Même parmi les retraités, le flou domine.
Plus révélateur encore, l’enquête met en lumière une confusion intergénérationnelle. Si 72 % des Français identifient correctement le mécanisme de financement – les actifs cotisent pour les retraités actuels –, ce pourcentage tombe brutalement chez les moins de 25 ans. Un tiers d’entre eux pense que le système est basé sur la capitalisation, preuve d’un imaginaire libéral plus enraciné que les discours publics ne veulent l’admettre.
Satisfaction en hausse, confiance en chute : un paradoxe de la retraite
« Un peu mieux informés, mais toujours aussi méfiants » : voilà ce qu’il faut retenir des chiffres. Près de la moitié des Français (48 %) se disent aujourd’hui satisfaits du système actuel. Un bond de 17 points par rapport à 2018. Pourtant, seuls 5 % se déclarent « très satisfaits ». Chez les retraités, la satisfaction grimpe à 69 %, mais là encore, ils ne sont que 7 % à se dire pleinement convaincus.
Derrière cette légère amélioration se cache un gouffre de défiance. Deux chiffres l’illustrent : 63 % des sondés ne font pas confiance au système pour atteindre un équilibre économique, et 66 % des actifs doutent de sa capacité à leur offrir une retraite décente. Autrement dit, on accepte le système pour aujourd’hui, mais on ne parie pas un centime sur demain.
Le spectre des réformes : ce que les Français acceptent (et refusent catégoriquement)
L’élément le plus frappant du sondage reste la hiérarchie des priorités exprimée par les Français. Ils sont 74 % à vouloir une revalorisation des pensions alignée sur l’évolution des salaires. C’est ce que l’on appelle un consensus social. Même soutien massif (73 %) pour une hausse des cotisations ciblée sur les hauts revenus. Les Français acceptent de parler d’argent, mais à condition que les efforts soient équitables.
Quant à la fameuse capitalisation, elle obtient l’assentiment de 72 % des personnes interrogées, sous sa forme complémentaire. Ce chiffre remet en cause le mythe d’un pays viscéralement opposé à toute forme de retraite individuelle. Le rejet, en revanche, est massif concernant le recul de l’âge légal (43 % seulement y sont favorables), l’allongement de la durée de cotisation (40 %) et surtout la baisse des pensions : 87 % y sont hostiles, dont 52 % « tout à fait opposés ».
Les Français n’attendent plus : ils prévoient déjà leur retraite
Interrogés sur l’avenir du système, les Français n’affichent aucune naïveté. 64 % estiment que d’ici 2035, le régime sera hybride, mêlant répartition et capitalisation. Le rêve gaullien de solidarité nationale, linéaire et universelle, semble donc bel et bien relégué au passé. Un tiers des jeunes envisagent même un basculement total vers la capitalisation.
Ce pessimisme ne s’arrête pas là. 59 % estiment que les jeunes générations bénéficieront de conditions de retraite moins favorables que leurs aînés, et 15 % anticipent une disparition pure et simple du système. Quant à l’âge légal dans dix ans ? Pour 53 %, il atteindra 66 ans ou plus. Seuls 13 % croient au retour à 62 ans – et même à gauche, cette hypothèse ne convainc plus.
Les Français ne demandent pas l’impossible : ils réclament de la cohérence, de la justice, et surtout de la clarté. Mais dans une réforme où le mot « capitalisation » n’existe pas dans les discours officiels, où les pensions sont taboues mais l’âge légal obsessionnel, l’éloignement entre la parole publique et l’attente collective devient vertigineux. Jusqu’à quand ?