La conjoncture économique française est marquée par une inquiétante augmentation des retards de paiement entre entreprises et avec les acteurs publics. Selon le dernier rapport du groupe Altares, expert en données d’entreprise, les retards de paiement des entreprises françaises ont atteint leur plus haut niveau depuis la fin de la crise sanitaire du Covid-19. Cette situation fragilise particulièrement les petites structures et met en lumière des disparités significatives entre le secteur privé et le secteur public.
Les retards de paiement en France atteignent un niveau critique au premier semestre 2024
Une augmentation généralisée des retards de paiement
Le retard moyen de paiement des entreprises françaises s'est allongé pour atteindre 12,9 jours au premier semestre 2024, soit près d'une journée de plus qu'à la même période l'année précédente. Moins d'une entreprise sur deux (48,7%) paie désormais ses fournisseurs à l'heure, un chiffre très inquiétant qui illustre une détérioration des comportements de paiement.
Dans le secteur privé, le retard moyen s'établit à 12,5 jours. Dans le secteur public, il dépasse les 13 jours, avec des pics préoccupants dans certaines administrations. Cette différence met en exergue les difficultés structurelles du secteur public à respecter les délais légaux de paiement.
Les petites entreprises en première ligne
Les entrepreneurs individuels sont les plus touchés par cette dégradation. Alors qu'ils étaient les "bons élèves" en matière de paiement il y a un an avec un retard moyen de 8,5 jours, ils accusent désormais un retard de 13,4 jours. Cette hausse de près de 5 jours en un an témoigne des tensions accrues sur leur trésorerie.
Les sociétés commerciales, quant à elles, affichent un retard moyen de 12,5 jours, légèrement en dessous de la moyenne nationale. Les associations loi 1901 et les sociétés civiles professionnelles (principalement des activités juridiques et médicales) présentent des retards plus contenus, respectivement supérieurs à 11 jours et inférieurs à 10 jours.
Retards de paiement : des secteurs économiques inégalement touchés
La crise qui frappe le secteur de l'immobilier se reflète dans les retards de paiement. La promotion immobilière, traditionnellement en retard, atteint un délai moyen de près de 27 jours. Les agences immobilières ne sont guère mieux loties avec un retard moyen de 22 jours.
Les métiers de la communication subissent également des retards importants. Les services d'information, incluant les agences de presse, affichent un retard moyen de près de 23 jours. Les activités liées à la production de films et de contenus sonores approchent les 20 jours de retard. Ces secteurs, dépendants des commandes et des budgets fluctuants, sont particulièrement vulnérables aux aléas économiques.
À l'inverse, certaines industries maintiennent des comportements de paiement vertueux. La manufacture, notamment dans la réparation industrielle, le caoutchouc-plastique, la métallurgie-mécanique et les matériaux de construction, présente des retards inférieurs à 10 jours. La construction demeure également exemplaire, avec des délais de paiement stabilisés sous les 10 jours, malgré les défis propres au secteur.
Le secteur public : des disparités inquiétantes
Les lanternes rouges : hôpitaux et services de l'État
Les retards de paiement dans le secteur public restent une source majeure de préoccupation. Les hôpitaux affichent un retard moyen de 20,6 jours, tandis que les services déconcentrés de l'État atteignent 19,9 jours. Ces chiffres sont particulièrement préoccupants compte tenu de l'impact sur les fournisseurs, souvent des PME et TPE dépendantes de ces paiements pour leur survie.
Des collectivités territoriales hétérogènes
Les délais de paiement varient considérablement selon les échelons territoriaux :
- Communes : retard moyen de 12,7 jours.
- Départements : 19,7 jours.
- Régions : plus de 23 jours.
Les métropoles dépassent les 20 jours de retard, tandis que les communautés de communes et d'agglomération enregistrent respectivement 14,2 jours et 18,3 jours de retard moyen. Ces écarts reflètent des gestions financières et administratives diverses, avec des conséquences directes sur le tissu économique local.
L'enseignement et la santé : des contrastes marqués
Dans le secteur de l'enseignement, les établissements publics locaux (collèges et lycées) maintiennent un retard moyen de 11,4 jours. Les universités, bien qu'améliorant leur situation, dépassent encore les 15 jours de retard. Les établissements publics locaux sociaux et médico-sociaux, tels que les EHPAD, contiennent leur retard à 12,2 jours, contrastant avec les hôpitaux.
Retards de paiement : analyse par taille d'entreprise
Les retards de paiement varient également selon la taille des entreprises :
Taille de l'entreprise | Retard moyen (S1 2024) |
---|---|
Moins de 3 salariés | 14 jours |
4 à 49 salariés | Moins de 12 jours |
50 à 199 salariés | 12,7 jours |
200 à 999 salariés | 14,5 jours |
1 000 salariés et plus | 17,8 jours |
Les très petites entreprises (TPE) de moins de 3 salariés voient leurs retards s'allonger significativement, signe d'une trésorerie sous forte tension. Les PME de 50 à 199 salariés parviennent à maintenir leurs retards sous la moyenne nationale, tandis que les grandes entreprises de plus de 1 000 salariés améliorent leurs pratiques, mais demeurent en retard de près de 18 jours en moyenne.
Une comparaison européenne défavorable
La France se rapproche de la moyenne européenne en matière de retard de paiement, avec 12,9 jours contre 13,5 jours pour l'Europe. Cependant, elle est désormais dépassée par le Royaume-Uni, qui a amélioré sa situation avec un retard moyen de 12,2 jours.
Les bons élèves : Pays-Bas et Allemagne
- Pays-Bas : retard moyen de 3,3 jours, plus de 80 % des entreprises paient à l'heure.
- Allemagne : retard moyen de 6,6 jours, avec 60 % des entreprises ponctuelles.
Ces pays démontrent qu'il est possible de maintenir des délais de paiement raisonnables, contribuant ainsi à la stabilité économique.
Les pays du Sud à la traîne
- Espagne : retard moyen de 15,3 jours.
- Italie : 17,1 jours.
- Portugal : 24,3 jours.
Les conséquences économiques et les enjeux
Selon le rapport 2023 de l'Observatoire des délais de paiement, l'absence de retards de paiement pourrait libérer jusqu'à 15 milliards d'euros de trésorerie pour les très petites, petites et moyennes entreprises (TPME). Chaque jour de retard représente un coût financier important et augmente le risque de défaillance des entreprises créancières.
Des études ont démontré que les retards de règlement des clients augmentent la probabilité de défaillance du fournisseur de 25 %, et jusqu'à 40 % pour des retards supérieurs à 30 jours. La lutte contre les retards de paiement est donc cruciale pour la compétitivité et la survie des entreprises.
Les plafonds légaux souvent dépassés
Les textes législatifs plafonnent les délais de paiement à :
- 60 jours dans le secteur privé.
- 30 jours pour les collectivités locales et l'État.
- 50 jours pour les établissements hospitaliers.
Ces plafonds sont fréquemment dépassés, souvent en raison de dysfonctionnements dans la chaîne de facturation ou de désaccords sur la date de début du délai.