Renforcer les démocraties européennes grâce à des initiatives locales

Des chercheurs européens envisagent de nouvelles façons d’impliquer la population dans les prises de décision, des groupes de discussion de quartier jusqu’aux échanges à l’échelle de l’UE, afin de lutter contre la polarisation politique.

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Par Horizon Publié le 20 juillet 2024 à 9h00
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Renforcer les démocraties européennes grâce à des initiatives locales - © Economie Matin
17%Les jeunes représentent environ 17% de la population européenne.

 En avril 2024, le procès de neuf personnes accusées d’avoir projeté un coup d’État en Allemagne s’est ouvert à Stuttgart. Cette affaire illustre les conséquences extrêmes que peut avoir l’expression chez certains individus du sentiment d’être laissé pour compte sur le plan politique.

Les suspects étaient, selon les mots de Nancy Faeser, la ministre de l’Intérieur allemande, «motivés par la haine envers notre démocratie».

Voix locales

D’après James Scott, professeur d'études régionales et frontalières au Karelian Institute de l’Université de l’est de la Finlande, l’implication des habitants dans les prises de décision locales, partout en Europe, peut renforcer la confiance des citoyens envers le système démocratique en place dans leur pays. Cela peut aussi limiter le risque que l'insatisfaction à l'égard du gouvernement tourne à la violence.

«L’important dans le processus, c'est que les gens soient impliqués, qu'ils aient le sentiment que les décisions sont prises tous ensemble», a déclaré M. Scott, qui est aussi un expert des mouvements populistes. «Non seulement nous décidons, mais nous constatons aussi que ces décisions donnent des résultats concrets.»

M. Scott est à la tête d’un projet de recherche financé par l’UE qui examine et contribue à encourager des formes de gouvernance locale plus inclusives en Europe. Intitulé EUARENAS, le projet a débuté en janvier 2021 et s’achèvera en octobre 2024. 

Le projet entre dans ses cinq derniers mois alors que l’Europe se prépare aux élections législatives européennes qui ont lieu deux fois par décennie. Entre le 6 et le 9 juin, les électeurs des 27 États membres de l'UE éliront 720 membres du Parlement européen.

Avec le Conseil des ministres qui représente les gouvernements nationaux, le Parlement décide des lois européennes dans tous les domaines, de la sécurité alimentaire et des droits des passagers des compagnies aériennes jusqu'aux émissions des véhicules automobiles et à l'approvisionnement en électricité.

L’assemblée exerce aussi la fonction d’autorité budgétaire de l’UE et joue un rôle clé dans la formation de chaque équipe dirigeante de la Commission européenne au lendemain des élections législatives.

Les élections au Parlement européen constituent en partie un baromètre de l’opinion des électeurs concernant l’équipe qui est à la tête de leur pays. Elles peuvent entraîner des changements politiques au sein des États membres.

En 2019, lors des dernières élections législatives européennes, le taux de participation a augmenté pour la première fois depuis les premières élections européennes en 1979. Les deux principales familles politiques européennes, à savoir le Parti populaire européen et le Parti socialiste européen, ont vu leur nombre de sièges chuter de plus de 30 chacune.

Trop de distance

D’après M. Scott, les citoyens européens sont nombreux à avoir le sentiment que leur système de gouvernance est trop éloigné d’eux pour être influencé. Ceci a conduit à une polarisation du débat public et à une montée en force des courants politiques antidémocratiques.

Pour contrer cette tendance, l’équipe du projet EUARENAS a étudié des exemples de mouvements sociaux et d'actions menées par les gouvernements locaux pour améliorer la participation au débat politique. Elle a aussi encouragé des initiatives locales telles qu’assemblées de quartier, communautés budgétaires participatives et «panels de citoyens». 

Le projet a réuni des universitaires, des collectivités locales, des experts en politique et des militants sociaux de sept pays européens: Autriche, Estonie, Finlande, Allemagne, Italie, Pologne et Royaume-Uni.

«De nombreuses organisations tentent d’encourager un sentiment de participation civique, d'appartenance et d'appropriation des processus de gouvernance», a déclaré M. Scott.

L'équipe EUARENAS a analysé et mis en place des programmes pilotes au Danemark, en Estonie, en Finlande, en Allemagne, en Hongrie, en Italie, en Pologne et au Royaume-Uni.

Plus d’ouverture 

Parmi les initiatives du projet figure un plan de logement et d’aménagement urbain impliquant les habitants de Gdansk, une ville côtière polonaise.

«Lorsque nous avons élaboré le plan directeur d’aménagement, nous n’avons pas voulu adopter une approche descente mais plutôt impliquer les communautés concernées dans le processus de décision», a expliqué M. Scott.

À Reggio d’Émilie, une ville italienne, les habitants représentés dans des panels de quartier ont élaboré un programme visant à apporter des solutions aux principaux problèmes rencontrés par les habitants. La crise climatique figurait au premier rang de leurs préoccupations. 

À Võru, une ville estonienne désertée par les jeunes, le projet EUARENAS a identifié des moyens d'améliorer leur qualité de vie et leurs perspectives d'emploi. 

Les habitants de Võru ont mis en place une initiative de sensibilisation aux questions de santé mentale et de bien-être des jeunes en plaçant des codes QR autocollants dans deux écoles. Les codes menaient à des sites Web traitant de la santé mentale. 

Des témoignages directs recueillis par l’équipe du projet EUARENAS ont mis en évidence le rôle important joué par les jeunes dans la région.

Lasse Rihard Sissas, un élève de troisième scolarisé à Võru, a mentionné le lien étroit qui l’unit à sa région, ainsi que sa beauté naturelle. Il a recommandé d’élargir l’éventail des formations accessibles aux jeunes de son âge et a appelé à créer une université locale.

«Ce serait bien qu’il y ait une université sur place», a déclaré Lasse dans une vidéo du projet. «Les jeunes resteraient.»

Quelles que soient les difficultés particulières rencontrées au niveau local, une prise de décision plus inclusive peut limiter les risques de fracture sociale et leur exploitation politique par des mouvements politiques réactionnaires, d’après M. Scott.

«La prise de décision doit être plus démocratique, plus ouverte», a-t-il indiqué.

Jeter des ponts

Lors du procès qui s’est tenu à Stuttgart, le parquet a accusé les neuf suspects d'avoir fomenté un coup d'État visant à installer un aristocrate au pouvoir. La police allemande aurait déjoué le complot présumé à l’occasion de descentes réalisées en 2022.

Cette procédure judiciaire fait partie des trois procès à avoir eu lieu cette année-là en Allemagne et dont les prévenus, au nombre de 26 au total, ont tous été accusés d'avoir comploté pour renverser le gouvernement fédéral par la violence.

D’après Pierangelo Isernia, professeur de sciences politiques à l'Université de Sienne en Italie, l'une des difficultés rencontrées pour encourager la population à prendre part aux débats publics est que les personnes qui ont des opinions extrêmes sont plus réticentes à les exprimer.

«Elles pensent qu’elles seront exposées et attaquées à cause de leurs idées», a-t-il déclaré.

M. Isernia a dirigé un autre projet financé par l'UE qui étudie comment les démocraties libérales peuvent lutter contre la polarisation politique grâce à une prise de décision plus inclusive. Intitulé EUCOMMEET, le projet s'est achevé en février 2024 après trois ans de travaux. 

Cours de langue

Au total, le projet a impliqué plus de 400 personnes issues de cinq pays de l'UE: France, Allemagne, Irlande, Italie et Pologne.

Les participants ont échangé leurs points de vue sur la crise climatique, un sujet qui, d’après M. Isernia, est de plus en plus polarisant en Europe et ailleurs. 

Pour commencer, les échanges ont eu lieu localement et ont réuni des personnes d'une même ville. Ensuite, les discussions ont pris une dimension nationale puis européenne. Enfin, au cours d’une séance plénière de clôture, des personnes d'au moins trois pays ont débattu.

Huit à dix personnes ont participé à chaque séance. La plateforme open source en ligne a permis aux participants de communiquer dans leur langue maternelle, reflétant ainsi le caractère transfrontalier du travail réalisé.

«Les participants pouvaient discuter dans leur langue et comprendre ce que disaient les autres», a déclaré M. Isernia. «Nous avons montré que c’était possible.» 

L’un des principaux résultats du projet EUCOMMEET est que les échanges de ce type contribuent à réduire les divisions sur un sujet donné.

M. Isernia a déclaré qu'il espérait que des plateformes telles celle développée dans le cadre du projet seraient intégrées dans les futurs efforts de l'UE pour impliquer le grand public dans les questions politiques.

Il recommande par exemple que la prochaine Commission européenne organise des «consultations à court terme» pour comprendre la façon dont les opinions publiques évoluent.

«Les sondages ne suffisent pas pour comprendre ce que pensent réellement les gens», a ajouté M. Isernia. «La discussion et les processus délibératifs sont le meilleur moyen de comprendre comment évolue la pensée des individus.»

Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par le biais du programme Horizon de l’UE. Les opinions des personnes interrogées ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne.

Plus d’infos

Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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