Relocalisations : sans une réforme parallèle du libre-échange, ce sera un coup d’épée dans l’eau.

Persuadés qu’elle reposait sur un modèle économique robuste et ayant fait ses preuves, les promoteurs de la mondialisation ont crû que celle-ci serait une « mondialisation heureuse » et pensaient qu’elle profiterait à tout le monde.

Par Bertrand de Kermel Publié le 28 juillet 2023 à 5h00
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Relocalisations : sans une réforme parallèle du libre-échange, ce sera un coup d’épée dans l’eau. - © Economie Matin
12,4%L'industrie représente 12,4% du PIB en France

Apparemment, ce modèle économique, imaginé au 18 ème siècle notamment par David Ricardo avait du sens. Ricardo a démontré avec talent que la spécialisation des Etats dans les secteurs économiques où ils sont compétitifs, et le libre-échange sont mécaniquement une source d’enrichissement pour tous.

https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Ricardo

Problème : Ricardo avait posé 4 conditions au bon fonctionnement de sa théorie du libre-échange et de la spécialisation des Etats :

  1. la valeur du travail est égale au prix multiplié par la quantité de travail ;
  2. la concurrence doit être parfaite ; 
  3. il doit y avoir immobilité des facteurs de production au niveau international (seules les marchandises circulent) 
  4. et enfin la productivité doit être constante.

Aucune de ces quatre conditions n’est respectées dans les accords actuels de libre-échange.

Aujourd'hui, les marchandises circulent certes, mais l'argent circule en un clic, et les usines circulent sans freins sur la planète. La productivité n’est pas constante, étant donné les progrès techniques, et la concurrence est parfaitement déloyale. Evidemment, ça ne fonctionne pas, puisque l’on a retenu le concept de libre-échange, en oubliant complètement les quatre conditions de sa réussite.

C’est ainsi que les fortes baisses des droits de douane décidées en 1994 lors de la création de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), et les mesures visant à supprimer les «obstacles aux échanges», ont rendu extrêmement simple :

1. d’abord la fermeture des usines en France pour les installer dans des pays à bas coûts,

2. et ensuite l’exportation quasiment gratuitement dans le pays quitté, des produits fabriqués dans ces nouvelles usines à des prix de dumpings, donc avec des marges pharaoniques.

L’opération est toujours gagnante. Même les émissions de gaz à effet de serre liées au transport des marchandises ne sont pas décomptées aux émetteurs. La concurrence est totalement faussée.

L’entreprise française restée en France depuis 30 ans est donc toujours la grande perdante, face à une entreprise concurrente qui a délocalisé dans un pays à bas coût, pour exporter ensuite ses produits en France. D’où le bilan au vitriol  de la mondialisation présenté par le Président de la République française à l’ONU en 2020. (Il évoque notamment la possible perte de la souveraineté et de la démocratie).

Des conséquences a tirer d’urgence

Voilà pourquoi une politique de relocalisation, sans lien avec une refonte parallèle des accords de libre-échange déjà signés par l’Union Européenne sera, à terme un coup d'épée dans l'eau, puisque c’est la mondialisation actuelle qui a provoqué les délocalisation et le chômage de masse.

Rien ne dit que les entreprises qui se relocalisent aujourd’hui, grâce à de généreuses subventions, ne repartiront pas dans cinq ou dix ans, quand le son du canon se sera estompé.

Voici ce que déclarait à la presse le 15 juin 2023, Katherine TAI, la représentante américaine au Commerce, «… Nous n'avons pas intégré de garde-fous. Or quand l'efficacité et les coûts sont la seule motivation », le risque est de voir un pays, la Chine, concentrer les industries essentielles et « manipuler les structures de coût » pour maintenir artificiellement les prix bas pendant que « la production s'en va hors de nos frontières ».

Parallèlement aux relocalisations, il faut donc corriger les accords de libre-échange européens actuels, et mettre en place les outils qui éviteront le désastre d’une nouvelle désindustrialisation.

Il est clair qu’il faut obligatoirement y insérer une dose de «protectionnisme» pour corriger l’absence des quatre conditions de Ricardo. C’est nettement mieux que des subventions d’un Etat surendetté. C’est aussi la seule façon de corriger rapidement tous les abus, et de sauver la démocratie et la souveraineté qui sont en danger (voir sur ce point le « Trilemme de la mondialisation » )

En conclusion, il faut mettre en place les outils nécessaires pour faire en sorte que la concurrence soit loyale. Cela implique notamment de dresser des bilans à intervalles réguliers de chacun des accords pour identifier les dérives avant qu’elles ne prennent trop d’ampleur.

Pour cesser d’être naïfs, il faut en même temps prévoir des mesures raisonnables de protectionnisme (ou « d’autonomie stratégique » pour ceux qui n’aiment pas le mot protectionnisme), pouvant être rapidement mises en place au premier dérapage.

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Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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