Réindustrialisation : les startups veulent — aussi — prendre leur part

Elles étaient 1 900 à la fin de l’année 2022. Pour la France, qui cherche à faire revenir des usines sur son territoire, les startups industrielles sont perçues comme un atout stratégique. « Elles positionnent à la fois la France sur des capacités de production technologique à très haute valeur ajoutée, tout en offrant une perspective concrète de réindustrialisation des territoires », estime François Paulus, co-fondateur du fonds de capital-risque Breega, l’un des investisseurs historiques d’Exotec, première licorne industrielle française.

Cropped Favicon Economi Matin.jpg
Par Rédaction Publié le 30 juillet 2023 à 4h30
Reindustrialisation Startups France Investissement Aides Etat Redaction
Réindustrialisation : les startups veulent — aussi — prendre leur part - © Economie Matin
12%les startups industrielles représentent aujourd’hui 12 % de l’ensemble des startups en France

Un écosystème déjà structuré… et financé

Le bilan 2022 de Bpifrance sur les startups industrielles est pour le moins flatteur. Sur les presque 2 000 startups qui composent l’écosystème, près d’un tiers d’entre elles avaient déjà levé plus d’un million d’euros à la fin de l’année 2022. Le secteur sort d’ailleurs d’une année particulièrement fertile et peut se targuer d’une augmentation de 35 % des levées de fonds par rapport à 2021, pour un total de 3,78 milliards d’euros levés auprès des investisseurs. Un volume global qui permet à la France de passer devant le grand rival allemand, leader européen — plus si incontesté — des startups à vocation industrielle. Tout ne va pourtant pas si bien. Hausse des taux d’intérêts et crise énergétique aidant, les professionnels du secteur tiennent à tempérer l’enthousiasme. « Si ces chiffres sont satisfaisants, les levées de fonds des startups industrielles devraient connaître un recul conjoncturel en 2023 et 2024 », estime François Paulus. Quoi qu’il en soit, les startups industrielles représentent aujourd’hui 12 % de l’ensemble des startups en France. Mieux encore, près de 70 % d’entre elles sont implantées hors de l’Ile-de-France, permettant quelque peu d’équilibrer la toute-puissance parisienne dans le domaine de l’économie de l’innovation.

Signe de leur place grandissante dans l’écosystème tech’ français, elles sont désormais 7 dans le Next 40 et 22 dans le programme French Tech 120. Santé, électronique, énergie, agro-industrie, robotique, mobilité, valorisation des déchets : presque tous les secteurs de l’innovation sont concernés avec, cependant, une nette domination des greentech et des deeptech (NDLR. Les technologies de rupture nécessitant une grosse R&D). La France compte déjà de belles pépites. La plus fameuse d’entre elles est sans doute Exotec, première licorne industrielle française, un spécialiste de la robotique déjà bien implanté à l’international. D’autres ont très vite rejoint ce club d’élite : Ledger, qui conçoit et commercialise des portefeuilles physiques de cryptomonnaies ; Ynsect, un spécialiste des protéines et engrais naturels d’insecte ou encore DNA Script, un constructeur de matériels permettant la synthèse d’ADN.

L’État a su jouer son rôle de catalyseur

Cet écosystème florissant est en grande partie lié à la puissante mobilisation de l’État, estiment les professionnels du secteur. Dans le cadre du plan France 2030, 2,3 milliards d’euros ont été — et seront — fléchés vers les startups et PME industrielles innovantes avec, à terme, l’espoir de voir émerger une centaine de nouveaux sites industriels par an d’ici 2025, selon le vœu ambitieux de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances. Pour les bénéficiaires de ces aides, c’est aussi la promesse de court-circuiter quelques étapes et s’installer plus tôt sur le marché. « Nous allons gagner deux à trois ans », estime Christophe Sauvan, fondateur de Inweech, un constructeur de vélo électrique, dont l’État financera un cinquième de la première usine à cinq millions d’euros.

Côté secteur privé, le gouvernement multiplie ainsi les appels du pied vers les acteurs du financement. Le 14 juin, en plein cœur du salon Vivatech, Emmanuel Macron a annoncé le lancement de la phase 2 de l’initiative Tibi, qui vise à mobiliser 7 milliards supplémentaires de fonds privés pour le développement des entreprises technologiques de demain. Dans le même temps, les mécanismes de soutien public se multiplient : appel à projets 1re usine ; prêt nouvelle industrie ; fonds écotechnologie 2 ; fonds SPI2… Avec, en conséquence directe, un manque de lisibilité. « Cela grouille de partout, mais on s’y perd un peu entre les multiples dispositifs », estime, pour Les Échos, une spécialiste du secteur. « Les mécanismes de soutien publics ont représenté un catalyseur pour la filière des startups industrielles et ont fortement encouragé le capital-risque à suivre la tendance », affirme François Paulus de Breega, qui reconnaît que l’apport des investisseurs privés demeure encore « perfectible ». Pour tenter de combler ce trou, Bpifrance a lancé un Fonds national de Venture industriel de 350 millions d’euros dont l’objectif est de faire effet de levier sur les investisseurs privés et les encourager à flécher plus volontiers leurs investissements vers les startups à vocation industrielle.

Le made in France reste — encore — privilégié

« La phase d’industrialisation est particulièrement sensible : l’accès au foncier industriel est délicat, les réglementations pour ouvrir un site industriel particulièrement complexes, tout comme l’identification des fournisseurs ou encore la recherche de talents industriels. », affirme François Paulus de Breega. Une réalité, dont la puissance publique a pris conscience. Là encore, plusieurs mécanismes ont ainsi été déployés. Le programme « sites clés en main » ; le « recyclage foncier de friches » du plan France Relance ; l’application Cartofriche lancée par le Cerema ou encore l’initiative « Territoires d’industrie » sont, peu à peu, venus compléter les offres de la SCET, filiale de la Caisse des Dépôts, et des agences de développement territorial des collectivités pour faciliter la vie de ces nouveaux acteurs industriels. Une étape difficile, à laquelle s’ajoutent les permis de construire, les autorisations environnementales et autorisations de mise sur le marché et les réglementations sectorielles. Un défi qui peut, parfois, se révéler un véritable casse-tête. « Exotec a toujours couru après les m2. Nous avons choisi Lille puis Croix parce que nous avions besoin de place et qu’en même temps nous voulions rester près de la ville pour faciliter le recrutement de jeunes ingénieurs », explique Romain Moulin, son cofondateur et CEO pour Bpifrance. L’entreprise revendique aujourd’hui une capacité de production industrielle de 2 000 robots par an sur 2 000 m2 de surface.

Malgré tout, peu de startups semblent avoir renoncé au made in France. Ce fut le cas pour SeaBubbles ou encore le fameux Flyboard Air de Franck Zapata, qui peinaient à obtenir les autorisations préalables à des tests sur l’eau. « Le fait de produire et de se fournir en France est perçu comme un gage de maîtrise de la qualité, des coûts et de la logistique, tout en offrant un impact sociétal et environnemental positif pour le pays et une capacité supplémentaire de réactivité », estime le co-fondateur de Breega. Selon Bpifrance, cette approche reste, pour le moment, privilégiée. 99 % des startups à vocation industrielle ayant investi dans des outils de production en propre commencent par le faire en France. Celles qui sous-traitent sont près de 80 % à se fournir auprès de constructeurs français. Parmi les plus grands acteurs français, Ynsect est implanté à Dole et à Amiens, Metabolic Eclorer à Carling et Amiens et Tissium à Roncq, dans le Nord. Selon Damien Py, cofondateur de Daantech, qui dispose d’un site d’assemblage à Cugand, en Vendée, le made in France relève d’un « choix économique rationnel ». Mais il déplore un manque persistant de lisibilité. « Il faut créer un réseau français qui permette d’identifier des fournisseurs et partenaires industriels disponibles sur le territoire, ouvert à tous ceux qui veulent faire du Made in France », explique-t-il à Bpifrance.

Pour les startups industrielles, les signaux restent au vert. Suffisant pour refaire de la France une terre d’industrie, après cinquante ans de recul du secteur secondaire ? Peut-être, à condition, de réussir à faire évoluer les regards. Il est « urgent de recréer un imaginaire collectif sur ce qu’est l’industrie aujourd’hui, d’une part chez les professionnels de l’innovation et d’autre part au sein du grand public », estime, pour Maddyness, Eleonore Blondeau, présidente et co-fondatrice du Collectif Startups Industrielles France (CSI France).

Laissez un commentaire

Aucun commentaire à «Réindustrialisation : les startups veulent — aussi — prendre leur part»

Laisser un commentaire

* Champs requis