Les enjeux de la recherche privée et de son financement en France

Cruciales pour la prospérité à long terme de notre pays, les actualités sur l’innovation et son financement de ces dernières semaines sont importantes et protéiformes. Riche d’enseignements, elles montrent des acteurs essentiels non alignés, envoyant des signes contradictoires à des chefs d’entreprise déjà frileux à investir dans le contexte économique et politique actuel.

Brice Obadia
Par Brice Obadia et Charles-Edouard de Cazalet Publié le 27 octobre 2024 à 10h00
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recherche, europe, heitor, enjeux, jeunes, programme, financement - © Economie Matin
1200 MILLIARDS €Les entreprises industrielles représentent plus de 1.200 milliards d'euros de chiffre d'affaires en France.

Des enjeux vitaux pour les économies européennes

“C’est un challenge existentiel”1. C’est ainsi que le problème est posé dans un rapport commandé par la Commission Européenne élaboré par Mario Draghi sur la compétitivité qui a été rendu public le 9 septembre 2024.

Pour appuyer son analyse, le rapport pointe principalement le retard technologique pris lors de la révolution digitale engagée avec internet et les gains de productivité qui en ont découlé. Les revenus disponibles ont ainsi cru deux fois plus vite aux États-Unis qu’en Europe depuis 2000 : « L’écart de productivité est largement expliqué par le secteur tech. L’Europe est faible à faire émerger des technologies qui induisent la future croissance. Seules 4 des 50 plus grosses sociétés technologiques sont européennes. »

Selon le rapport, la solution est claire : « Premièrement et surtout, l’Europe doit profondément concentrer ses efforts collectifs pour combler le déficit d’innovation avec les États-Unis et la Chine, en particulier dans les technologies avancées. »

Réagissant à la nomination des 27 nouveaux commissaires européens par Ursula Van Der Leyen, Jean Tirole, prix Nobel d’économie en 2014 et président d'honneur de la Toulouse School of Economics confirme ce malheureux constat : « La France décroche et l'Europe décroche aussi en termes d'innovation. C'est-à-dire que nous sommes absents des grands domaines biotech, les logiciels, le hardware, etc. L'intelligence artificielle, nous sommes presque absents. Cela se traduit évidemment par assez peu d'innovation. On voit que sur les 20 plus grandes entreprises tech au monde, il n'y en a aucune qui soit européenne. Les start-ups c'est la même chose. »

Si les investissements étatiques sont globalement similaires, représentant environ 0,7% du PIB en Europe et aux États -Unis, Jean Tirole pointe « le déficit de financement de la R&D en Europe, c'est essentiellement le secteur privé : 1,2% en Europe, 2,3% aux États-Unis, par rapport au PNB2. »

Bien que le Fond Monétaire International montre que les dépenses R&D et les gains de productivité ne sont pas corrélés linéairement, le ratio est suffisamment important pour augmenter les écarts à long terme3.

Et cette comparaison, limitée aux États-Unis, est d’autant plus préoccupante que la Chine va très probablement prendre le leadership technologique dans les prochaines années.

C’est ainsi que dans un rapport du 28 août 2024, l'Australian Strategic Policy Institute (ASPI) montre que la Chine est désormais en tête dans environ 90% des technologies clés, dépassant de manière significative les États-Unis4.

Plus précisément, La Chine est en tête dans 53 des 64 technologies essentielles. Les États-Unis dominent les 11 restantes5. Selon Statista, l’Intelligence Artificielle, nouvel Eldorado du secteur technologique, serait capable de tirer la croissance de plus 6,5% d’ici 2030 en Chine.

Pour illustration de cette domination, la Chine obtient la première place dans quatre des six technologies identifiées pour l'IA : « Selon le Critical Technology Tracker de l'ASPI, la Chine domine dans les domaines de l'analyse avancée des données, des algorithmes d'IA et des accélérateurs matériels, de l'IA conflictuelle et de l'apprentissage automatique. Dans le même temps, les États-Unis ne sont en tête que pour la conception et la fabrication de circuits intégrés avancés et le traitement du langage naturel. »

Accentuée par la mondialisation, la guerre économique à bas bruit, basée sur les évolutions technologiques, que se mènent les grandes puissances depuis le début des années 1990 commence donc à avoir des effets sensibles sur les populations et semble marquer une prise de conscience des politiques européennes.

Résistons aux tentations de réduire le soutien de l’État aux innovations de demain

Il est donc important pour les entreprises privées, les politiques et les acteurs scientifiques de se mettre au diapason des enjeux économiques et sociétaux auxquels la France et l’Europe sont confrontés pour continuer à développer les innovations de demain, indispensables à la compétitivité des entreprises et de la France.

Dans une tribune publiée dans la revue AEF, des entrepreneurs du Comité Richelieu placent bien les enjeux inhérents à cette prise de conscience : « Dirigeants de start-up, de PME et d’ETI, nous avons la conviction que la France a besoin d’innovation et d’intelligence pour relever les grands défis de notre temps, ceux qui garantissent la croissance économique ainsi que les grands équilibres sociaux et financiers6. »

Malgré d’importants efforts et investissements de la part de l’État, la réindustrialisation peine à se matérialiser en France avec un ralentissement voire une inversion de tendance du solde d’ouverture d’usines sur le territoire 7.

Cette urgence est d’autant plus vitale que l’écosystème des start-ups, relais de croissance de demain, vit une période difficile avec des difficultés d’accès aux financements publics et privés aboutissant à des records de faillite depuis maintenant plus d’un an et demi8.

Dans ce contexte, résistons aux tentations de réduire le soutien de l’État aux innovations de demain qui, inévitablement, nous ferait un peu plus sortir de la compétition mondiale.

1 https://commission.europa.eu/document/download/97e481fd-2dc3-412d-be4c-f152a8232961_en?filename=The%20future%20of%20European%20competitiveness%20_%20A%20competitiveness%20strategy%20for%20Europe.pdf

2 https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-interview-eco/innovation-l-europe-decroche-donc-le-pouvoir-d-achat-stagne-analyse-l-economiste-jean-tirole_6759574.html

3 https://www.imf.org/fr/Publications/fandd/issues/2024/09/the-innovation-paradox-ufuk-akcigit

4 https://www.aspi.org.au/report/aspis-two-decade-critical-technology-tracker

5 https://itrmanager.com/articles/203596/les-etats-unis-pourraient-perdre-la-course-mondiale-a-la-technologie-au-profit-de-la-chine.html

6 https://www.aefinfo.fr/depeche/717736-cir-plusieurs-entrepreneurs-appellent-a-ne-pas-commettre-l-irreparable-en-rabotant-le-dispositif-tribune

7 https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/industries/usines-en-france-la-reindustrialisation-connait-une-baisse-de-regime-au-premier-semestre_AD-202409230065.html

8 https://siecledigital.fr/2024/09/02/crise-des-start-up-en-france-record-de-faillites-malgre-les-levees-de-fonds/

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Brice Obadia

Charles-Edouard de Cazalet est co-fondateur / Directeur associé de Sogedev - cabinet créé en 2002 référencé CIR/CII par la Médiation des entreprises - et Directeur associé d'EPSA Innovation depuis 2020. Brice Obadia est titulaire d’un doctorat, Brice est spécialisé dans la fiscalité de l’innovation depuis plus de 15 ans. Il intervient en tant que directeur du pôle Expertise et Contrôles Fiscaux au sein d’EPSA Innovation.itulaire d’un doctorat, Brice est spécialisé dans la fiscalité de l’innovation depuis plus de 15 ans. Il intervient en tant que directeur du pôle Expertise et Contrôles Fiscaux au sein d’EPSA Innovation.

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