Michael R. Strain est directeur des études de politique économique de l’Institut American Enterprise. Il a écrit récemment un livre intitulé The American Dream Is Not Dead: (But Populism Could Kill It) (Templeton Press, 2020).
Une récession est toujours possible aux USA
Les économistes font preuve d'optimisme : les USA pourraient échapper à la récession. Selon un sondage du Wall Street Journal réalisé en juillet, seulement 54% d'entre eux s'attendent à une récession au cours des 12 prochains mois, alors qu'ils étaient 61% en avril. Et les économistes de Goldman Sachs ont revu à la baisse de 25% à 20% la probabilité d'une récession. Le dernier indice des prix à la consommation publié le 12 juillet est encourageant. Il a suscité une hausse de la confiance des investisseurs quant à la possibilité de maîtriser l'inflation sans sacrifier la croissance.
Ce consensus émergent pourrait se révéler fondé. Nous espérons tous un "atterrissage en douceur" marqué par une baisse continue de l'inflation jusqu'à la valeur cible de 2% de la Fed, sans ralentissement économique. Pourtant je crains que la probabilité d'une récession l'année prochaine soit supérieure à 50%, car l'inflation sous-jacente est encore deux fois plus élevée que l'objectif visé par la Fed, et sa tendance baissière ne s'est pas accentuée cette année. Dans ce contexte, il est surprenant d'entendre de nombreux commentateurs parler de Mission accomplie après la publication des derniers indicateurs.
Certes, l'inflation sous-jacente mensuelle (mesurée par l'indice des prix à la consommation, mais excluant l'alimentation et l'énergie) est tombée à 0,2% en juin, contre 0,4 % ou plus depuis le début de l'année. La Fed doit veiller à ce que l'inflation se rapproche de sa valeur cible, mais un chiffre mensuel ne constitue pas une tendance. Il est déjà arrivé que l'inflation sous-jacente chute brutalement (notamment en juillet 2022), mais elle a ensuite rebondi. Sa hausse de juin représentait seulement la moitié de son taux tendanciel de 2023, néanmoins elle a été de 4,8 % au cours des 12 derniers mois – soit plus du double de la valeur cible de la Fed.
Or l'inflation sous-jacente n'est pas l'indicateur qui intéresse le plus la Fed, elle s'intéresse en priorité à l'indice sous-jacent des prix à la consommation (hors alimentation et énergie) qui n'a guère évolué en 2023. Et même s'il s'améliore en juin, il s'agira encore d'une donnée ponctuelle, et non d'une tendance.
La Fed a relevé son taux d'intérêt directeur de 500 points de base, ce qui pourrait avoir déjà eu des conséquences sur l'économie. La politique monétaire ralentit l'économie en resserrant les conditions financières [qui reflètent la politique monétaire] – autrement dit en réduisant le prix des actions et en augmentant les taux d'intérêt à long terme et la valeur du dollar. Lorsque la Fed a commencé à relever ses taux l'année dernière, les conditions financières ont évolué conformément aux attentes. Mais elles ne se sont pas resserrées au cours de l'année 2023, ce qui suggère que les précédentes hausses de taux ont déjà été absorbées.
Malgré la hausse rapide des taux de la Fed qui sont passés d'une valeur proche de 0% à 5,1 %, la politique monétaire n'est peut-être pas encore très restrictive. Selon mes calculs, le taux d'intérêt réel (corrigé de l'inflation) est de l'ordre de 1,5 %, soit un point de pourcentage de plus que l'estimation par la Fed du taux d'intérêt directeur réel neutre (sans influence sur l'activité économique). Avant les récessions précédentes, ce taux était plus élevé.
Les prix du marché laissent prévoir que la Fed augmentera le taux d'intérêt des fonds fédéraux une fois de plus au cours de ce cycle ; mais je pense que cette prévision est trop optimiste. L'inflation sous-jacente se maintient à un niveau élevé, les conditions financières ne se resserrent pas et les taux d'intérêt réels sont inférieurs à ce qu'ils sont habituellement avant un ralentissement économique marqué. Aussi la Fed pourrait-elle augmenter les taux plus que ce que ne le prévoient les économistes et les investisseurs. Le risque de récession augmentera alors.
Par ailleurs, plus le taux d'inflation baisse, plus le chômage risque de grimper et de pousser à la récession. Jusqu'à présent, l'inflation a baissé sans que le chômage n'augmente. Or les modèles standard de la relation chômage-inflation montrent que le coût de la désinflation augmente au fur et à mesure de la baisse de l'inflation.
Entre avril 2021 et mai 2023, les prix à la consommation ont augmenté plus rapidement que le salaire moyen, autrement dit les entreprises pouvaient augmenter leurs prix plus rapidement que le coût de leur main-d'œuvre ; mais ce n'est plus le cas. Si l'inflation des prix à la consommation continue de baisser, les entreprises les plus dépendantes du coût de la main-d'œuvre seront de plus en plus contraintes de licencier.
En fin de compte, l'Histoire nous incite à nous méfier des prédictions d'un atterrissage en douceur. Lors d'un atterrissage en douceur le taux de chômage augmente, tandis que la croissance diminue en dessous de son potentiel, sans toutefois déclancher une récession. Dans le passé cependant, lorsque le chômage commençait à monter c'était pour longtemps. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, une hausse de 0,5 point de pourcentage du chômage est généralement suivie d'une nouvelle hausse de 2 points de pourcentage. C'est peut-être dû à ce qu'une récession peut être provoquée notamment par une perte de confiance des entreprises et des ménages quant au futur proche. Quand les dirigeants d'une entreprise constatent que les autres entreprises licencient, ils ont tendance à faire de même pour maintenir leur profit.
Pourtant la probabilité d'un atterrissage en douceur est incontestablement à la hausse depuis quelques mois. L'évolution de l'inflation dans le secteur immobilier va exercer une pression à la baisse sur l'inflation sous-jacente, tandis que la demande pourrait chuter du fait de la diminution des prêts bancaires et de la réduction de l'épargne des ménages. Par ailleurs, le marché du travail ralentit. Tous ces facteurs pourraient exercer une pression baissière sur l'inflation sous-jacente. Et dans la mesure où la tension sur le marché du travail tenait davantage à un grand nombre d'offres d'emploi qu'à un excès de main d'œuvre, de petites hausses du chômage pourraient conduire à un ralentissement du marché du travail.
Il ne faut pas que la Fed mette un point d'arrêt à la hausse des taux d'intérêt avant d'être sûre que l'inflation sous-jacente est en voie d'atteindre sa valeur cible de 2%. Cette certitude n'existe pas aujourd'hui, et n'existera probablement pas avant la réunion de septembre de la Fed. Plus il faudra de temps pour acquérir cette certitude, plus les taux d'intérêt grimperont, et plus faible sera la probabilité d'un atterrissage en douceur.
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