Les sensations de toucher s’améliorent pour aider des secteurs tels que la santé et l’industrie de transformation, alors que les jeux vidéo apportent d’autres avancées.
La réalité virtuelle devient rapidement plus réelle
Imaginez une technologie unique qui pourrait aider un robot à procéder à des contrôles de sécurité dans une centrale nucléaire, à guérir l’arachnophobie et à simuler la sensation d’un câlin donné par un parent dont on est séparé.
Bienvenue dans le monde de la «réalité étendue». Des chercheurs financés par l’UE ont cherché à démontrer son immense potentiel.
Recherche pertinente
Leur objectif était de rendre la réalité augmentée, dans laquelle le monde réel est amélioré par des moyens numériques, ainsi que la réalité virtuelle (un environnement entièrement généré par ordinateur) plus immersives pour les utilisateurs.
Erik Hernandez Jimenez, l’un des chercheurs concernés, n’aurait jamais imaginé que son projet deviendrait aussi utile, et aussi rapidement, lorsqu’il a débuté mi-2019. En un an, la pandémie de Covid-19 a entraîné l’organisation de nombreux confinements qui ont obligé la population à travailler et à avoir des relations sociales à domicile, par le biais d’une connexion vidéo.
«Nous avons réfléchi à la manière d’appliquer cette technologie, à la façon de ressentir le contact humain même à distance, alors que nous étions tous enfermés chez nous et que nos contacts avec les autres se faisaient par ordinateur», a déclaré M. Hernandez Jimenez.
Il a coordonné l’initiative de recherche de l’UE nommée TACTILITY, qui s’est déroulée de juillet 2019 à fin septembre 2022.
L’équipe du projet TACTILITY a mis au point un gant qui simule le sens du toucher. Ses utilisateurs ont la sensation de toucher des objets virtuels grâce à des impulsions électriques envoyées par des électrodes intégrées au gant.
Les sensations apportées vont de la pression sur un bouton et de sensation de la pression sur le doigt à l’impression de manipuler un objet solide en sentant sa forme, ses dimensions et sa texture.
Gant et combinaison
«TACTILITY consiste à ajouter un retour tactile à un scénario de réalité virtuelle», a déclaré M. Hernandez Jimenez, chef de projet chez TECNALIA, un institut de recherche espagnol.
Selon lui, le principe pourrait être étendu du gant à une combinaison intégrale.
Par rapport aux précédentes tentatives qui avaient pour objectif de simuler les sensations tactiles à l’aide de moteurs, la technique de rétroaction électro-tactile offre un résultat plus réaliste pour un coût inférieur, toujours selon M. Hernandez Jimenez.
Ceci laisse entrevoir la possibilité de rendre la technologie plus largement accessible.
Ces activités de recherche soutiennent les efforts déployés par la Commission européenne pour développer les mondes virtuels. Ce domaine pourrait créer 860 000 emplois en Europe au cours de la décennie, sur un marché mondial en pleine croissance qui, en 2022, représentait 27 milliards EUR.
Selon la Commission, quelque 3700 entreprises, organismes de recherche et institutions gouvernementales opèrent dans ce domaine dans l’UE.
Des phobies aux usines
Les chercheurs du projet TACTILITY ont étudié les applications possibles de la technologie dans le domaine des soins de santé.
C’est là que les araignées entrent en scène. Elles figuraient parmi les éléments dont le projet voulait imiter le toucher.
«Une des sensations qui était assez impressionnante, bien que très désagréable, était celle d’une araignée ou d’un cafard rampant sur votre main», a déclaré M. Hernandez Jimenez.
Parmi les utilisations potentielles de cette technologie figure le traitement des phobies. Le but serait ainsi d’exposer progressivement les patients à ce qui provoque la peur chez eux afin de les désensibiliser progressivement. La thérapie pourrait consister à commencer par «toucher» virtuellement d’horribles bestioles tout droit sorties de dessins animés puis à passer à des versions plus réalistes.
Le gant tactile peut également être utilisé dans l’industrie de transformation, pour aider, par exemple, les constructeurs automobiles à former leurs ouvriers à la réalisation de manœuvres délicates en usine.
Il peut aussi aider les employés à collaborer plus efficacement avec des robots télécommandés dans des environnements dangereux. On peut citer l’exemple d’une centrale nucléaire dans laquelle une personne peut, tout en restant dans une salle de commande, «sentir» virtuellement tout ce que touche un robot.
«Grâce à ce sens supplémentaire et au retour qu’il apporte, la personne a accès à davantage d’informations qui lui permettent d’effectuer des contrôles plus pertinents», a déclaré M. Hernandez Jimenez.
Joyeux et ludique
Les technologies portables destinées aux environnements de réalité virtuelle s’inspirent aussi de l’industrie des jeux vidéo.
Les chercheurs d’un deuxième projet financé par l’UE ont étudié les possibilités d’élargir les perspectives offertes par des technologies déjà largement utilisées dans le cadre professionnel. Intitulée WEARTUAL, l’initiative a été menée de mai 2019 à fin 2021.
«Notre projet s’est concentré sur l’aspect expérientiel de la technologie, à savoir les activités joyeuses et ludiques», a expliqué Oğuz «Oz» Buruk, coordinateur du projet WEARTUAL et professeur assistant en Expérience ludique à l’Université de Tampere, en Finlande.
Jusqu’à récemment, pénétrer dans un environnement de réalité virtuelle exigeait d’utiliser une manette ou un casque.
Les chercheurs de WEARTUAL ont étudié les moyens d’intégrer dans la réalité virtuelle des objets que la personne porterait, par exemple, au poignet ou à la cheville, pour améliorer son sentiment d’immersion.
Ainsi, son avatar (une icône ou une silhouette la représentant dans le monde virtuel) pourrait rougir lorsqu’elle est nerveuse ou excitée, afin d’améliorer sa capacité à s’exprimer.
L’aube d’une nouvelle ère
L’équipe a développé un prototype capable d’intégrer différentes sensations physiques dans le monde virtuel en y transférant des données réelles telles que la fréquence cardiaque.
M. Buruk s’intéresse à ce à quoi pourront ressembler les jeux à l’ère «posthumaine», lorsque les hommes et les machines seront de plus en plus en symbiose grâce à des implants corporels, à la robotique et à la communication directe entre le cerveau humain et les ordinateurs.
Il indique qu’il est difficile d’estimer l’impact sur la vie quotidienne que pourront avoir les progrès réalisés dans ce domaine, même si l’on sait qu’ils ne se concrétiseront pas à la même échéance. Les appareils portables deviendront probablement beaucoup plus largement utilisés dans la réalité virtuelle au cours de la prochaine décennie alors qu’il faudra probablement encore attendre entre 50 et 100 ans, pour utiliser des implants corporels.
À mesure que la technologie et le corps humain seront de plus en plus étroitement liés, leur transfert vers un monde virtuel deviendra de plus en plus perfectionné. Ceci encouragera les utilisateurs à y passer de plus en plus de temps, d’après M. Buruk.
Les technologies de réalité virtuelle sont déjà utilisées à des fins pratiques, par exemple pour gamifier des informations vitales comme les procédures de sécurité incendie afin de les rendre plus interactives et plus faciles à retenir. Ce type d’utilisation pourrait s’étendre à de nombreux domaines.
Dans un tout autre registre, plusieurs maisons de couture vendent déjà des vêtements pouvant être portés dans des environnements virtuels pour que leurs acheteurs puissent exprimer leur identité et leur créativité.
«Les vêtements portables, ou ’wearables’ sont des articles de mode. Ils font partie intégrante de la façon dont nous construisons notre identité», a déclaré M. Buruk. «Les investissements dans la réalité virtuelle, la réalité étendue et la réalité augmentée augmentent de jour en jour.»
Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par l’UE, par le biais des Actions Marie Skłodowska-Curie (MSCA).
Plus d’infos
Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.