Des chercheurs financés par l’UE aident l’Europe à mieux surveiller les mers et les océans et à anticiper leurs changements.
Protection contre les tempêtes: l’Europe intensifie ses efforts de surveillance marine
En 2023, lorsque l’océanographe Toste Tanhua et son équipe de recherche ont mis en place un système expérimental pour surveiller les conditions d’aquaculture près de Barcelone, ils étaient profondément conscients des ravages qu’une puissante tempête avait causés dans la région trois ans plus tôt.
En janvier 2020, la tempête Gloria a dévasté le sud-est de l’Espagne, tuant 13 personnes et causant plusieurs millions d’euros de dégâts. Dans le port de Barcelone, des vagues de sept mètres se sont écrasées sur les défenses maritimes, noyant les villes côtières voisines sous l’écume et causant d’importants dégâts dans les stations balnéaires.
«La tempête Gloria était très présente dans nos esprits», a déclaré M. Tanhua, océanographe chimiste au Centre Helmholtz GEOMAR pour la recherche océanique à Kiel, en Allemagne. M. Tanhua a personnellement pris part à plus de 35 expéditions de recherche marine, notamment dans l’Arctique, l’Atlantique et l’Antarctique.
Lacunes océaniques
La catastrophe qui a frappé l’Espagne a mis en évidence la nécessité d’améliorer les systèmes européens de surveillance des océans et d’alerte. Malgré l’importance fondamentale de l’environnement marin, tant sur le plan environnemental qu’économique, les systèmes d’observation des océans et de prévision continuent de présenter d’importantes lacunes.
L’observation des océans est une «science lourde», qui exige de mobiliser des équipes et des ressources en grand nombre. L’UE a réalisé des investissements majeurs au cours des dernières décennies pour développer l’observation des océans et améliorer l’intégration et la coordination des efforts nationaux.
M. Tanhua est à la tête d’une équipe internationale de chercheurs qui travaille à l’intégration des systèmes nationaux d’observation des océans en place en Europe dans un système global.
Une initiative de recherche de quatre ans, financée par l’UE, et intitulée EuroSea, qui s’est achevée en décembre 2023, a réuni des experts de 56 organisations d’Europe et d’ailleurs.
Parmi ces organisations figuraient le Système mondial d’observation des océans (GOOS), l’Organisation météorologique mondiale, l’organisation Mercator Ocean International et l’European Global Ocean Observing System (EuroGOOS).
Supervision internationale
EuroSea s’inscrit dans une série d’efforts scientifiques visant à soutenir le développement du service Copernicus de surveillance du milieu marin (CMS) de l’UE.
Ce service est la composante dédiée à l’environnement marin du programme Copernicus de l’UE. Il fournit des informations gratuites et fiables qui servent à appuyer les politiques européennes et internationales de gestion des océans.
Il a pour mission de mettre en évidence les transformations majeures qui se produisent dans et autour des océans du monde, des prévisions océaniques et météorologiques jusqu’à la détection des signaux climatiques et écosystémiques à plus long terme.
La curiosité a toujours contribué à faire progresser les sciences océaniques car les gens voulaient explorer les océans et leurs formes de vie, a déclaré M. Tanhua.
«Nous avons désormais besoin d’un système d’observation durable capable de fournir des informations qui nous permettront de comprendre la santé des océans, les bouleversements au niveau de la biodiversité et les effets du changement climatique», a-t-il déclaré.
De tels services opérationnels sont nécessaires au transport maritime et à d’autres industries maritimes telles que l’aquaculture, l’éolien offshore et le tourisme.
Un effort à long terme
Le CMS trouve ses origines dans une précédente initiative financée par l’UE intitulée MERSEA-STRAND 1. En 2003 et 2004, l’équipe de recherche a analysé les forces et les faiblesses des systèmes européens d’océanographie opérationnelle et d’assimilation de données.
«C’est à ce moment-là que tous les centres d’océanographie opérationnelle d’Europe se sont concertés pour la première fois pour réfléchir à la façon de développer un système pleinement opérationnel de modélisation et de prévision océaniques», a déclaré Pierre-Yves Le Traon, directeur scientifique de Mercator Ocean International.
Ce travail a ouvert la voie à une série de programmes financés par l’UE qui cherchaient des moyens d’intégrer les observations par satellite aux données des réseaux de surveillance in situ pour bénéficier d’une modélisation océanique plus précise. C’est ce qui a conduit à la création du CMS opérationnel en 2014.
«Nous avons besoin des capacités offertes par Copernicus pour gérer l’océan de manière plus durable, soutenir le développement de l’économie bleue et mieux protéger les écosystèmes marins», a-t-il ajouté.
Il a également souligné la nécessité de mieux comprendre l’impact du changement climatique sur l’océan pour prédire son évolution à long terme, et pour s’y préparer et s’y adapter.
Améliorer la qualité des données
M. Tanhua et l’équipe de recherche du projet EuroSea ont étudié des moyens de relier des données provenant de nombreuses sources différentes pour améliorer la qualité globale des données dans EuroGOOS.
En plus du site de surveillance de l’aquaculture situé au large des côtes espagnoles, les chercheurs ont aussi créé un service de collecte de données similaire en mer d’Irlande pour venir en aide aux pisciculteurs irlandais. Dans les deux cas, les chercheurs ont été à l’écoute aux besoins des utilisateurs.
En Irlande, la collecte de données portait principalement sur la surveillance de la santé des océans. Il a consisté à mesurer des éléments tels que les niveaux d’oxygène et la prolifération d’algues nuisibles. Ces éléments étaient liés aux niveaux de nutriments dans l’eau et aux vagues de chaleur.
En Espagne, les utilisateurs souhaitaient davantage comprendre les vagues, les courants et le vent, a indiqué M. Tanhua. «Ils souhaitaient disposer d’un système d’alerte qui leur permettrait de se préparer aux conditions météorologiques défavorables.»
Sur les deux sites, l’équipe a utilisé des bouées équipées de capteurs pour mesurer les variables océaniques chimiques et physiques. Ces mesures ont été combinées aux données d’autres systèmes d’observation du réseau Copernicus.
En Espagne, les océanographes ont aussi collaboré avec plusieurs ports des environs de Barcelone. Les données collectées par les bouées leur ont permis de modéliser l’évolution des courants et des vagues dans les ports et sur les plages de la côte catalane durant les tempêtes.
Elles ont également apporté des informations sur la façon dont les projets de construction maritime pourraient modifier les marées et les ondes de tempête. Elles ont aussi fourni des indications sur l’endroit où les garde-côtes devraient chercher si une personne tombait à la mer, en fonction des courants océaniques locaux.
Drone solaire
M. Tanhua est spécialisé dans la ventilation océanique, qui est le déplacement de l’eau de la surface vers les profondeurs de l’océan. Cette eau entraîne avec elle des propriétés telles que des variations de température, des gaz comme le dioxyde de carbone et l’oxygène, ou encore l’eau douce issue des précipitations.
Grâce aux expériences de recherche d’EuroSea, l’équipe a pu mieux comprendre ce processus, ainsi que toutes ses implications au niveau environnemental. «Une fonction permettait, par exemple, de modéliser la dispersion d’une marée noire», a déclaré M. Tanhua.
Les chercheurs ont utilisé un voilier drone autonome pour mesurer les concentrations de dioxyde de carbone à la surface de l’océan dans l’Atlantique tropical.
«Actuellement, les océans absorbent environ un quart des émissions de dioxyde de carbone d’origine humaine», a déclaré M. Tanhua. Ceci équivaut à environ 10 à 12 milliards de tonnes de dioxyde de carbone par an, soit environ un tiers des émissions mondiales annuelles de dioxyde de carbone issues des combustibles fossiles et de l’industrie.
Pour pouvoir prédire avec précision les effets du changement climatique sur les océans du monde entier, les scientifiques doivent être en mesure de mieux comprendre ces flux de dioxyde de carbone.
Le drone solaire équipé d’un capteur de dioxyde de carbone a passé plus d’un an en mer, parcourant environ 22 000 kilomètres dans les deux sens à travers l’océan Atlantique.
L’idée était d’étudier les solutions possibles pour mesurer les concentrations de dioxyde de carbone. Le projet a également utilisé des capteurs de dioxyde de carbone positionnés sur des bouées et sur des cargos, ainsi que sur des flotteurs robotisés qui dérivent avec les courants océaniques.
Les capteurs utilisent les données du système Copernicus pour améliorer les prévisions, mais ils renvoient également des données au système pour étendre ses capacités.
Jumeau numérique
Grâce aux résultats du CMS et du réseau européen d’observation et de données du milieu marin, les scientifiques développent actuellement le jumeau numérique européen de l’océan (EU DTO). Ils s’appuient pour cela sur les dernières avancées en matière d’observation, de modélisation et d’intelligence artificielle.
La première plateforme pré-opérationnelle de l’EU DTO a été dévoilée en juin 2024.
La plateforme de jumeau numérique utilise des données et des modèles océaniques en temps réel et historiques pour envisager différents scénarios hypothétiques, a expliqué M. Le Traon.
«Si je réduisais la pollution d’une rivière donnée, quel serait l’impact sur l’océan?», a-t-il donné en exemple. «Au vu des différents scénarios de changement climatique, quel sera l’impact de l’élévation du niveau de la mer sur le littoral?»
«Être en mesure de modéliser de tels scénarios de changement climatique aidera les décideurs à mieux gérer l’océan», a déclaré M. Le Traon.
Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par le biais du programme Horizon de l’UE. Les opinions des personnes interrogées ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne.
Plus d’infos
- EuroSea
- Site Web du projet EuroSea
- MERSEA-STRAND 1
- Service marin de Copernicus
- Jumeau numérique européen de l’océan
Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.