Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la sécurité européenne repose largement sur le parapluie militaire américain, incarné par l’OTAN. Cependant, l’évolution géopolitique récente remet en question cette dépendance.
L’Europe face à son destin : urgence d’une autonomie stratégique et enjeux de compétitivité

Le désengagement annoncé des États-Unis et les tensions à l'Est imposent aux nations européennes de repenser leur stratégie de sécurité. Il ne s’agit pas de se placer dans une logique de confrontation, mais de construire à partir des nations une politique européenne de défense capable de garantir la stabilité et la paix. Bien évidemment, une telle ambition impose aussi une meilleure gestion des finances publiques pour disposer des marges de manœuvre nécessaires.
Un contexte international mouvant
Les dernières années ont été marquées par une instabilité accrue aux frontières de l'Europe. L'invasion de l'Ukraine, même si elle a donné lieu à des réponses fortes de la part de l’UE en matière de sanctions et de soutien militaire, a aussi illustré une forte dépendance à l’aide américaine. Elle a enfin souligné la nécessité pour les pays européens d'être les premiers garants de leur propre sécurité. Face à ces défis, il est essentiel de renforcer une capacité de protection commune, tout en préservant l'objectif ultime : la construction d'un cadre de stabilité et de dialogue visant une paix durable.
Bâtir une architecture européenne de la défense
L'Europe doit renforcer sa capacité d'autonomie stratégique en développant une véritable architecture commune de défense. Cette vision ne signifie pas uniquement une course aux armements, mais bien une meilleure coordination des efforts nationaux et une mise en commun de certaines ressources pour bâtir une capacité de réaction rapide et efficace. Chaque pays va assumer sa part de responsabilité en augmentant ses investissements, en modernisant ses capacités militaires et, en achetant le plus souvent européen. Le développement d'une industrie de défense européenne robuste est un élément clé pour notre autonomie stratégique et pour stimuler l'économie du continent.
La Grande-Bretagne, bien qu'extracommunautaire, peut être pleinement intégrée dans cette dynamique afin de renforcer la coopération industrielle et militaire au niveau européen.
L'urgence d'une discipline budgétaire et l'optimisation du modèle social
Toutefois, une telle ambition ne peut se concrétiser sans une gestion saine des finances publiques. La plupart des États européens sont déjà lourdement endettés, et les marges de manœuvre budgétaires sont réduites. Financer une défense autonome sans un assainissement des comptes publics risque de fragiliser encore davantage les économies nationales. Il est donc primordial que chaque pays européen, - notamment ceux dont la dette publique dépasse la moyenne, soit 81,6 % du PIB dans l'UE - prenne ses responsabilités en optimisant ses dépenses publiques et en garantissant une allocation efficace des ressources. Seule une gestion vertueuse soutiendra une politique de sécurité commune.
Dans ce cadre, le plan de 800 milliards d'euros de la Commission européenne doit être utilisé de manière stratégique, en se concentrant sur les impératifs de défense. Il prévoit un assouplissement du Pacte de stabilité à hauteur de 650 milliards d’euros, permettant ainsi aux États membres de disposer de marges de manœuvre budgétaires au-delà de la limite du déficit public fixé à 3% de leur PIB. En parallèle, une aide supplémentaire de 150 milliards d’euros sous forme de prêts destinés aux Etats membres est envisagé pour financer des projets stratégiques tels que la défense anti-aérienne, la protection anti-missile, ou encore l'acquisition de munitions et de drones. Cette souplesse budgétaire doit être combinée, avec l’exigence d’optimiser le modèle social pour éviter toute dérive budgétaire supplémentaire.
Un enjeu de compétitivité et d'innovation : Les enseignements des rapports Draghi et Letta
Au-delà de la défense, l'Europe fait face à un impératif économique majeur : restaurer sa compétitivité et stimuler l'innovation. Les rapports de Mario Draghi et d'Enrico Letta mettent en lumière le besoin de repenser le modèle économique européen pour assurer une croissance durable et un rôle stratégique face à la Chine et aux États-Unis.
Le rapport Draghi préconise une politique industrielle commune axée sur les secteurs stratégiques comme l’intelligence artificielle, les semi-conducteurs et la transition énergétique. Il insiste sur l’allègement de la réglementation excessive qui étouffe l'esprit d'entreprise et l'innovation. Il préconise la création d’un marché unique du capital, permettant une meilleure allocation des ressources financières et réduisant la fragmentation du financement des entreprises européennes. La simplification des aides d’État favorisera l’innovation et la réduction des coûts énergétiques pour les entreprises est une impératif. En résumé, L’UE est contrainte de changer de modèle économique pour éviter un déclin face aux grandes puissances.
De son côté, le rapport Letta souligne la nécessité d’un approfondissement du marché unique, en renforçant l’intégration des services, en implémentant un code européen des affaires pour harmoniser les règles des entreprises et en accélérant la transition numérique. Il plaide également pour une réduction de la fragmentation réglementaire pour faciliter la croissance des entreprises.et pour un renforcement des investissements dans la formation et la recherche afin de faire de l’Europe un leader mondial de l’innovation.
Le défi est d’articuler ces deux approches pour réindustrialiser l’Europe tout en améliorant son marché intérieur et en proposant un cadre réglementaire plus efficace pour fluidifier l’économie. De ce point, le paquet Omnibus présenté récemment par la Commission européenne s’inscrit dans un contexte de compétitivité mondiale et constitue une première réponse aux critiques sur la lourdeur administrative pesant sur les entreprises européennes, en particulier dans le domaine de la durabilité, du reporting et des obligations administratives.
Les véritables priorités de l'Europe
L'Europe ne doit pas se préparer à la guerre, mais à la paix. Elle a la responsabilité de bâtir une stratégie commune de sécurité qui repose sur une autonomie renforcée, la coopération entre les États et une gestion budgétaire exemplaire. Chaque pays a un rôle à jouer dans son propre réarmement, avec une préférence pour l'industrie de défense européenne afin de renforcer notre souveraineté économique et stratégique.
En parallèle, l’Europe a la mission de mettre en place une stratégie de compétitivité et d’innovation, en mobilisant massivement l'épargne privée via un produit d’épargne commun à tous les pays volontaires et en mettant en œuvre les principales recommandations des rapports Draghi et Letta.
L’heure est venue d’affirmer une Europe forte, autonome et offensive en matière d’innovation et d’investissement !