La Banque mondiale va bientôt choisir son nouveau président. Le monde étant confronté simultanément à plusieurs crises (du climat, de la dette, de l’énergie et de la sécurité), ce changement à la tête de l’institution intervient à un moment pivot. S’il se montre suffisamment dynamique, le nouveau président pourrait la mettre en position très favorable pour aider les pays en crise, contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique et faciliter la coopération entre les USA et la Chine malgré leur rivalité croissante. Mais pour cela, il devra éviter les pièges dans lesquels ses prédécesseurs, aussi bien intentionnés aient-ils été, sont tombés.
Un programme pour le prochain président de la Banque mondiale
La course à la présidence est lancée. Une semaine après que David Malpass, le président actuel, a indiqué qu'il démissionnerait, le Conseil des administrateurs de la Banque mondiale a annoncé que les candidatures seront acceptées jusqu'au 29 mars et il a encouragé vivement les pays membres à présenter des candidatures féminines. Mais dès le lendemain de ce communiqué, les USA ont annoncé que leur candidat sera un homme, Ajay Banga. Procédant ainsi, ils ont pratiquement mis fin à la compétition car c'est toujours le candidat des USA qui est sélectionné pour présider la Banque mondiale (de même que le directeur général du FMI est toujours un Européen).
Banga est certainement qualifié pour ce poste. Ancien PDG de Mastercard, il a l'expérience de la gestion d'une entreprise internationale qui propose ses services dans le monde entier. Il a également travaillé dans la microfinance et a conseillé la vice-présidente américaine Kamala Harris.
Mais la Banque mondiale est une organisation vaste et complexe qui fournit des services et des financements à ses membres les plus démunis. En tant que telle, sa nouvelle direction doit être guidée par plusieurs impératifs pratiques :
1) Le président ne doit pas tenter de se lancer dans une énième réforme de l'organisation. Il devrait plutôt s'attacher à faire une réelle différence pour ceux que la Banque a pour mission de servir. Certains des précédents présidents ont immédiatement engagé des conseillers pour transformer la Banque elle-même, consacrant d'énormes ressources à des changements motivés par des promesses vides de "réaliser des économies" ou de "meilleurs résultats". Il est tentant pour un président de se précipiter pour laisser sa marque, mais il est largement préférable de pousser la Banque à réaliser deux ou trois tâches prioritaires. Certains anciens présidents ont sous-estimé leur capacité de changement par la reconnaissance de l'excellence et le soutien aux innovateurs au sein de l'institution.
2) Le nouveau président doit diriger au nom de tous les pays. C'est plus facile à dire qu'à faire. En théorie, le Conseil des administrateurs choisit le président, et ce dernier dirige l'organisation au nom de tous les pays membres (qui y contribuent). En pratique cependant, le président de la Banque mondiale sert au gré du secrétaire américain au Trésor qui le nomme et décide de le reconduire ou pas pour un second mandat, voire de faire pression sur lui pour qu'il prenne une retraite anticipée. Cela restreint d'autant la responsabilité de la Banque vis-à-vis de ses autres actionnaires.
Pour être efficace, le prochain président devra s'abstenir de prendre ses ordres à la Maison-Blanche. Par contre, il devra utiliser sa position pour informer, expliquer, persuader et cajoler un gouvernement américain qui ne comprend pas toujours le rôle de la Banque mondiale. Lorsque les républicains du Sénat américain l'accusent de donner l'argent des contribuables américains à la Chine, l'organisation doit préciser qu'il ne s'agit ni de l'argent des contribuables américains, ni d'un cadeau. Au fil des ans, les USA eux-mêmes ont exhorté la Banque mondiale à s'autofinancer en faisant payer à la Chine et aux autres pays émergents une prime pour emprunter, ce qui génère des revenus considérables pour la Banque.
3) Ne pas considérer le mandat de l'organisation comme acquis. La Banque mondiale peut et doit montrer la voie en répondant aux crises plutôt que de se contenter d'adhérer à des contraintes et des pratiques dépassées. Le nouveau président ne doit pas devenir l'otage passif du Conseil des administrateurs.
Il n'est pas aussi simple d'être président de la Banque mondiale que d'être le PDG d'une entreprise publique. Cela exige à la fois une gestion habile et des compétences politiques exceptionnelles. En tant que président du Conseil des administrateurs de la Banque, son président doit travailler en coulisse pour négocier des accords. Il lui incombe d'aider les pays à revenu faible ou moyen à contrer parfois les actionnaires les plus puissants et à faire pression sur l'institution pour qu'elle agisse quand il le faut. Il peut travailler discrètement pour encourager la formation de coalitions et donner voix à un plus large éventail d'actionnaires. Il pourrait par exemple inciter les pays membres à examiner l'Initiative de Bridgetown de la Première ministre de la Barbade, Mia Mottley, visant à réformer la finance mondiale pour résoudre la crise de la dette des pays en développement.
Des dizaines de pays se débattent actuellement pour atteindre leurs objectifs en matière de développement dans un contexte de crises alimentaire, énergétique, financière et climatique, la Banque mondiale doit déployer des ressources supplémentaires. Aussi le prochain président, que ce soit Banga ou quelqu'un d'autre, pourrait-il marquer un changement. Il pourrait débloquer les ressources actuelles de la Banque en persuadant les Etats membres d'être plus ouverts au risque et de diminuer leur exigence en matière de ratio dettes/fonds propres. Par ailleurs, il pourrait persuader les pays membres d'augmenter leur contribution financière à la Banque en montrant que chaque dollar dépensé par la Banque s'avère beaucoup plus rentable que le même dollar dépensé par un pays membre – ce qu'indiquent les rapports d'expertise remis au G20 et au G7.
Très probable prochain président, Banga sera confronté à un ensemble de défis sans précédents. S'il réussit à leur prêter davantage, il pourrait éviter que les pays les plus pauvres perde leur dernière décennie de progrès durement gagnée en matière d'éducation, de santé et d'inclusion sociale et politique. Il doit aussi mobiliser les Etats, les ressources et les connaissances pour limiter les conséquences désastreuses du réchauffement climatique pour les pays à revenu faible et moyen. Mais pour y parvenir, convaincu par l'urgence du moment, le futur président devra faire preuve d'audace et agir vite.
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