Les entreprises sont confrontées à un taux croissant d’absentéisme lié à un sentiment de dégradation des conditions de travail. S’il n’est pas simple de pallier l’absence de salariés, il est encore plus compliqué de pallier celle de ceux qui sont là… sans l’être. Gros plan sur les dégâts du présentéisme, mal invisible et silencieux.
Le présentéisme, une maladie du travail qui ne dit pas son nom
Un glissement sémantique qui en dit long
Au sens strict, le présentéisme désigne une présence excessive : par exemple, le fait de venir travailler quand on ne le devrait pas ou de faire des journée à rallonge. Les Français comptent depuis longtemps parmi les meilleurs en la matière, considérant que l’implication et la performance (et donc l’avancement) sont liées au temps de présence. Pour être bien vu, il faut d’abord être vu. Aujourd’hui, le présentéisme désigne plutôt le comportement de salariés qui sont présents au travail, que ce soit en entreprise ou à distance, mais qui ne travaillent pas, c’est-à-dire qui font autre chose ou sont très peu productifs, parce que la tête est ailleurs, parce que le cœur n’y est plus.
Quels que soient les termes choisis pour évoquer cette réalité, « apathie », « retrait » ou « freinage » côté sociologie du travail, « quiet quitting » côté buzzword, ou encore « présentéisme contemplatif » pour les anciens du fond de la classe, le glissement sémantique se révèle des plus intéressants en ce qu’il témoigne d’un changement d’époque : le même mot, qui désignait hier une forme de surengagement et de surinvestissement (stratégique ou inconscient), apprécié des organisations et des managers, désigne désormais une présence paradoxale qui masque du désengagement, de la perte de sens et de concentration, une forme de démission intérieure qui n’implique jamais que la personne concernée.
Causes et conséquences
Une étude récente a fait état d’un taux d’absentéisme croissant en France, directement lié à la dégradation de la santé mentale des salariés. Parmi les causes d’arrêts de travail, la fatigue (32%) et les risques psychosociaux (17%) dépassent désormais, au cumul, les traditionnels « troubles musculosquelettiques » (19%) et même les maladies ordinaires (39%). Or si le taux d’absentéisme est aisément quantifiable, le taux de présentéisme est quant à lui beaucoup plus difficile à mesurer. Ce sont pourtant les mêmes causes (à l’exception des TMS et des maladies) qui affectent les employés souvent absents et ceux qui sont présents au travail sans vraiment l’être. Au fond, l’absentéisme et le présentéisme sont deux comportements différents face à un même problème lié au mal-être professionnel.
Seulement voilà : les conséquences sur la santé physique et mentale de l’employé qui continue à venir mais n’est plus productif, mais aussi pour ses collègues (surcharge de travail, effet domino, démotivation…) et pour l’entreprise en termes de coût et de performance globale, sont bien plus préjudiciables que celles liées à l’absentéisme. Comme tout ce qui est souterrain, non-dit, le présentéisme est extrêmement difficile à gérer. Un employé absent, cela implique, pour l’entreprise, une adaptation de l’organisation ; pour l’employé, un temps de repos, de soin, de recul. Dans le cas du présentéisme, il faut déjà pouvoir identifier le problème, se rendre compte de l’impact de cette présence paradoxale, en discuter avec le collaborateur concerné qui n’en a peut-être lui-même pas conscience.
Du surengagement à la démission intérieure
Il y a quelques années déjà, on tentait d’estimer le coût caché du présentéisme et l’addition se révélait des plus salées : entre 13 et 25 milliards d’euros annuels, un coût intégralement supporté par les entreprises, alors que le coût de l’absentéisme est en partie pris en charge par l’Assurance maladie. Il serait intéressant de reprendre le calcul en 2023, à plus forte raison après les grands bouleversements que nous avons connus dans l’organisation du travail (la perte de productivité en distanciel n’était-elle pas la grande crainte des employeurs ?), à une époque où la question du bien-être des salariés n’est plus accessoire et où chacun veut trouver du sens à ce qu’il fait.
La tendance du « act your wage » apparaît d’ailleurs comme la partie visible (assumée ?) de cet iceberg qu’est le présentéisme... Or on ne travaille pas uniquement pour un salaire ; il ne s’agit pas simplement d’être présent. Et si les entreprises ont longtemps valorisé le surengagement, et donc encouragé les salariés à travailler plus aux dépens de leur santé physique ou mentale, elles doivent aujourd’hui lutter contre le présentéisme par la motivation intrinsèque. Leur combat est de réconcilier présence et engagement à travers de belles valeurs, une vision, des missions qui font sens (et donc donnent du sens), de la cohésion, du lien, bref, tout ce qui fait que le travail n’est pas juste le travail et le salaire un temps de présence.