Premier secours : les Français sont largement en retard

Pourquoi les Français sont-ils moins formés aux gestes à adopter en situation d’urgence par rapport au reste de l’Europe ? Les raisons sont probablement à rechercher dans la qualité de nos services d’urgence et les obligations liées à l’organisation d’évènements. Nous avons tous le réflexe de nous adresser aux pompiers, au SAMU ou d’autres structures. De plus, la loi impose la présence rassurante d’équipes de secours lors d’organisation de la plupart des évènements festifs ou sportifs.

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Par Thibaut Antoine-Pollet Publié le 1 septembre 2024 à 9h30
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6,2%Les interventions des sapeurs pompiers ont augmenté de 6,2% en 2022

Le manque d’ancrage du message a surement aussi son importance. Contrairement à d’autres pays, les gestes de premier secours ne sont pas systématiquement intégrés dans le cursus scolaire, dans les formations proposées en entreprise, les administrations publiques ou les collectivités territoriales. Il est par exemple très rare de voir un taux de formation supérieur à 10% du personnel en milieu professionnel. Le taux de formation le plus ambitieux que nous avons constaté parmi nos clients est de 30%. Ce taux ne permet pourtant pas de garantir la présence d’un sauveteur à tout moment.

Quel rôle joue la formation aux gestes de premiers secours dans l’amélioration du taux de survie ?

Le temps d’intervention des pompiers est en moyenne de près de 15mn : 2mn28 pour le traitement de l’appel et 12mn24 de déplacement (1). Naturellement ce délai peut augmenter très significativement dans des zones isolées, en cas de difficultés de circulation ou de surcharge du standard. Pourtant, certaines victimes n’ont que quelques minutes d’espérance de vie comme dans le cas d’une hémorragie sévère ou d’un accident cardiaque. Il est donc littéralement vital de ne pas hésiter, d’identifier rapidement le problème et savoir pratiquer les premiers gestes.

Par exemple, la mise en position latérale de sécurité (PLS) est recommandée de manière générale mais n’est pas nécessaire dans le cas d’un accident cardiaque. Ce serait une perte de temps inutile qui rendrait de plus impossible la réalisation du massage cardiaque.

Pour parler spécifiquement de l’arrêt cardiaque soudain, responsable de près de 50 000 décès par an, la pratique du massage cardiaque permettra d’étendre l’espérance de vie et de retarder l’apparition de séquelles irréversibles. Ce gain de temps permet aux équipes d’urgence d’intervenir sur une victime plus à même d’être sauvée. Pourtant une étude montre que seul 22% des massages cardiaques pratiqués par des professionnels sont correctement réalisés (2). Ǫuel est ce taux parmi les non professionnels ?

La formation au massage cardiaque et plus largement aux gestes de premier secours est bien une absolue nécessité.

Comment la répartition géographique des DAE influence-t-elle les taux de survie en cas d’arrêt cardiaque ?

En 2019 la loi a rendu obligatoire l’équipement en défibrillateur de tous les établissements recevant du public (ERP) de classe 1 à 4 et certains classe 5. Le parc total de défibrillateur est ainsi passé de 150 000 à 500 000 en 3 ans (estimé). Mais la répartition des ERP dans les communes n’est pas forcément homogène. Par exemple, une commune du bord méditerranéen dispose de 7 défibrillateurs, dont 5 sont situés à quelques dizaines de mètres les uns des autres. Par conséquent, le reste de la ville n’est pas correctement couvert. Doit-on choisir où faire son arrêt cardiaque ?

Que ce soit dans une commune, un site privé ou un bâtiment, Il est nécessaire d’étudier la répartition des défibrillateurs et de favoriser leur accessibilité.

Enfin, nous devons nous interroger sur la couverture des communes n’ayant pas d’ERP de taille significative, et donc pas d’obligation d’équipement, comme la plupart des communes rurales. Outre une desserte par les services d’urgence dégradée, les victimes d’arrêt cardiaque sont livrées à leur sort en l’absence d’un défibrillateur cardiaque.

Comment les entreprises et les collectivités locales peuvent-elles contribuer à une meilleure implantation et une meilleure utilisation des défibrillateurs dans leurs communautés

Idéalement, il faut positionner un défibrillateur à moins d’1mn30 de déplacement à vitesse normale de tout point de la zone à couvrir. Il faut aussi s’interroger sur les points de blocages et les implantations intérieures / extérieures. Nous avons ainsi travaillé avec une commune dans le Loiret qui dispose de 20 défibrillateurs. Mais la quasi-totalité étaient installés en intérieur dans des bâtiments à faible amplitude horaire : le taux de disponibilité correspondait ainsi à 10 à 30% du temps annualisé. Or, grâce à une répartition optimisée et en déployant le matériel à l’extérieur nous avons obtenu une meilleure couverture avec moins de défibrillateurs qui seront disponibles 100% du temps. Le constat est simple : une réduction du risque pour un budget moindre !

Nous sommes par ailleurs régulièrement interrogés sur le risque de vol. Ce risque est statistiquement très faible au niveau national mais crée une charge budgétaire si la commune n’a pas assuré le matériel. Il faut néanmoins s’interroger : le risque de vol d’un matériel coutant moins de 2000€ vaut-il la peine de risquer une vie ?

Enfin, il existe des solutions efficaces comme notre défibrillateur connecté : celui-ci déclenche automatiquement un appel vers notre centre de secours dès sa saisie. Il est alors géolocalisé en temps réel et notre centre appellera sur le module de téléassistance du défibrillateur. Avec un tel matériel, il est probable que la personne indélicate change d’avis.

Existe-t-il des différences notables entre les défibrillateurs ?

Les différences sont extrêmement importantes et il faut reconnaître que les fabricants ne jouent pas le jeu. Est-il normal qu’il soit extrêmement difficile de connaître les caractéristiques techniques précises ou les performances de ces matériels utilisés sur des victimes n’ayant que quelques minutes d’espérance de vie ? Sans ces informations essentielles, comment correctement choisir, entretenir et utiliser ces matériels ?

Seule une longue expérience comme celle de Locacoeur, des tests des différents matériels et le suivi d’études scientifiques permettent de répondre à des questions absolument essentielles comme, parmi de nombreuses autres, les suivantes :

  • Quel est le taux d’efficacité de mon défibrillateur ?
  • Quelle est sa capacité à analyser un rythme cardiaque, soit son seuil de détection d’asystolie. Il est par exemple étonnant de voir que des fabricants maintiennent volontairement une confusion entre mesure en mV et en mV RMS qui donne une lecture biaisée et injustement favorable des performances de leurs matériels.
  • Quels sont les composants inclus dans les procédures d’autotest : nous connaissons par exemple un modèle de défibrillateur qui ne teste quasiment que son bouton ON / OFF. Lorsque le voyant d’état est vert, le défibrillateur ne vous dit pas qu’il fonctionne, il vous dit que les composants testés fonctionnent. Mais quid des autres ?
  • Le défibrillateur utilise-t’il une pile interne en plus de sa batterie ? Que se passe-t’il lorsqu’elle est déchargée alors qu’elle n’est pas testée par la procédure d’autotest ? Le défibrillateur vous dit-il alors que le choc ne sera pas forcément délivré ?

Savoir répondre à ces questions de manière précise c’est déployer les matériels conformes aux conditions d’exploitation attendues et donc être plus efficace lors de l’intervention. C’est aussi donner une clé essentielle de choix aux décideurs : un budget inférieur doit-il être consacré pour obtenir un défibrillateur présentant moins de garantie d’efficacité ?

Les différences sont ainsi majeures et il est clair que Locacoeur refuse absolument de travailler avec certains modèles. Nous appelons d’ailleurs très fermement les constructeurs à faire preuve de plus de transparence et l’ANSM de se saisir de ce problème absolument majeur.

Les statistiques des services d’incendie et de secours 2022 / Sécurité civile / Statistiques / Publications - Ministère de l'Intérieur (interieur.gouv.fr)

Évaluation de l'efficacité des compressions thoraciques effectuées sur un brancard par le personnel d'une structure des urgences | Cairn.info

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PDG de la société Locacoeur.

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