Politiques monétaires : proches de la faute ?

Un trop grand zèle pourrait avoir des effets collatéraux importants et ralentir la transition énergétique.

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Par Peter de Coensel Publié le 6 février 2023 à 6h02
Banques Eu Stress Test 1
@shutter - © Economie Matin
0,3%La Banque de France prévoit une croissance de 0,3% en 2023

Affirmer que les banques centrales des marchés développés ont opéré une volte-face monétaire au cours de l’année écoulée n’a rien d’exagéré. Mais la question qui surgit à présent est de savoir si l’utilisation d’un instrument aussi peu sophistiqué que les taux directeurs permettra de ramener l’inflation vers sa cible dans un délai relativement court. La réponse est clairement affirmative, car les effets de base, un hiver clément en Europe, un rapport offre/demande quasi réajusté et équilibré pour les produits de base et technologiques incitent à un certain optimisme. Aux Etats-Unis, on observe une décélération de l’inflation dans les services. Il devrait prochainement en être de même dans l’Union européenne. De part et d’autre de l’Atlantique, les chiffres de l’inflation vont nettement se réajuster au cours des six à neuf prochains mois.

Etrangler la demande : un risque

Reste à savoir si les banques centrales seront capables de maintenir l’inflation aux alentours de leur cible de 2% sur le long terme, car depuis le début 2022, un glissement s’est produit. La politique monétaire interventionniste basée sur la publication d’orientations prospectives et l’assouplissement quantitatif ont été abandonnés au profit d’une politique de hausses de taux successives, une approche traditionnelle et peu sophistiquée. La voie choisie pour étouffer l’inflation a été celle d’une réduction de la demande globale. Cependant, l’accélération de l’inflation est de nature exogène. Elle résulte d’une flambée des coûts de l’énergie, de l’alimentation et des puces électroniques. En outre, la concentration des canaux d’échanges internationaux a eu tendance à l’exacerber. Par conséquent, l’offre s’est trouvée perturbée. Il s’avère donc que la politique des banques centrales qui consiste à étrangler la demande n’est pas la bonne, car ses dommages collatéraux pourraient être importants et se répercuter sur les capacités de production ainsi que sur la croissance.

Menaces sur l’emploi ?

Durant les six prochains mois, les banques centrales joueront leurs derniers rounds de hausses des taux dont l’impact sera, répétons-le, très incertain. Parmi les commentateurs, il n’existe pas de consensus quant au délai nécessaire pour que le durcissement des conditions financières se répercute sur le marché de l’emploi. Pour l’heure, les baby-boomers partent en masse à la retraite, nombre de personnes prennent la décision de s’arrêter temporairement (c’est le phénomène de la grande démission), l’inadéquation entre les qualifications demandées et offertes persiste. Tous ces éléments s’additionnent et concourent à créer des tensions sur un marché du travail. Cependant, un goulot d’étranglement pourrait être sur le point de se produire, car les entreprises réagissent vigoureusement à l’augmentation des licenciements qui gagne tous les secteurs. La dynamique de l’emploi pourrait donc se retourner et le marché du travail se dégrader.

Des freins à la transition énergétique

Aux inquiétudes concernant l’inflation se substituent celles qui portent sur la croissance. Faut-il attendre une aide en provenance des marchés émergents ? Dès 2024, la déflation pourrait faire son retour. Le durcissement des conditions financières affectera les objectifs de transition énergétique fixés par les gouvernements des marchés développés. En effet, l’augmentation du coût du capital retarde la mise en place de stratégies axées sur l’efficience énergétique. Par ailleurs, elle alourdit le poids des politiques budgétaires, et ce faisant elle limite le soutien aux programmes publics d’investissement dans la mobilité, les technologies vertes et les infrastructures durables.

Dans un premier temps, les technologies durables ont une intensité capitalistique supérieure à celles basées sur l’énergie fossile et utilisées depuis longtemps. Or, dans un environnement soumis à des tensions multiples avec d’un côté celles qui sont immédiates (coût de la vie, catastrophes naturelles, confrontations géoéconomiques) et de l’autre celles qui émergent (incapacité à atténuer le changement climatique et à s'y adapter, migrations non désirées à grande échelle...), les modes de production et de consommation habituels et bien rôdés tendent à prédominer. Il y a donc un risque accru de paralysie des efforts consentis pour lutter contre les émissions de carbone.

Vers un point de rupture ?

Dans un article consacré à la politique monétaire « normale », postérieure à la pandémie 1, deux chercheurs arrivent à cette conclusion que les banques centrales, BCE et Fed, devraient éviter d’affaiblir les capacités de production en augmentant aveuglément leurs taux directeurs pour contenir l’inflation.  Les chercheurs préconisent en revanche d’instaurer un encadrement du crédit et d’offrir, via le canal bancaire, des conditions de financement préférentielles aux projets publics et privés qui favorisent la transition écologique.

En fait, il est assez étonnant de constater à quel point la BCE par exemple s'est détournée de toute une palette de politiques très interventionnistes et ciblées sur le secteur bancaire (TLTRO), les entreprises (CSPP) et le secteur public (PSPP). La crédibilité de la BCE (tout comme celle de la Fed) dans la lutte contre l'inflation n'est en rien menacée puisque les perspectives d’inflation à long terme se normalisent et sont conformes aux objectifs et aux anticipations des marchés. Dans un tel contexte, on peut donc se demander pour quelles raisons les autorités semblent vouloir tester les limites des politiques monétaires et imposer des conditions de financement susceptibles de provoquer une récession qui risque de s’installer durablement dans un écosystème caractérisé par des tensions multiples.

Les politiques des banques centrales gardent une certaine aura de mystère. Néanmoins, l’approche empirique qu’elles ont adopté ces trois dernières années mérite qu’on s’y attarde, car tout comme la réaction à l'apparition de la pandémie a été démesurée, il est clair que le zèle actuel mis à resserrer les conditions de financement pourrait être excessif. Veillons à ne pas arriver à un point de rupture !

1 « Beyond normal central banking ? Monetary policy after the pandemic » - Working Paper 2022.19 European Trade Union Institute, Hielke Van Doorslaer et Mattias Vermeiren, Université de Gand

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CIO taux fixes, DPAM

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