Dans le grand théâtre de l’économie mondiale, les États-Unis ont joué un rôle de premier plan surprenant depuis le début de l’année. Pourtant, le reste du monde ne suit pas vraiment, la croissance mondiale semble de plus en plus unilatérale. Les investisseurs misent sur un ralentissement de l’économie mondiale (sans récession), voire, pour certains, pas de ralentissement du tout.
Perspectives actions 2024 : de l’importance d’être sélectif
Toutefois, comme les banques centrales gardent la main sur les taux d'intérêt, toute perspective d'expansion est limitée et, par conséquent, les marchés actions vont devoir s’appuyer fortement sur la croissance des bénéfices pour poursuivre leur hausse. Les récentes prises de position fermes de la Fed et de la BCE vont dans ce sens.
Les taux d'intérêt sont élevés et la récente flambée des prix du pétrole met à l'épreuve les perspectives du marché, annonçant des turbulences potentielles. Les difficultés économiques de la Chine et les ajustements de sa politique monétaire s’ajoutent à cela. Les interventions des Etats dans la fixation des prix sont de plus en plus courantes pour freiner l'inflation.
Du point de vue de la valorisation, les marchés sont chers. Le marché américain affiche des valorisations élevées à 20x le P/E (Price-Earnings ratio), soutenu par une économie étonnamment forte et par les performances des méga-capitalisations. Cette situation contraste avec les valorisations plus sobres du marché au sens large, qui se rapprochent davantage des niveaux européens. Les États-Unis prévoient une croissance des bénéfices de 12% en 2024, mais cela semble ambitieux. L'Europe, bien que moins chère à première vue, avec des valorisations plus raisonnables à 12 X le P/E, s'ajuste en réalité à un niveau moins attrayant de 15-16x le P/E si l’on lui enlève les secteurs bon marché tels que l'énergie et les valeurs bancaires. Avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie, une économie générale faible (l'Allemagne est en récession industrielle) et les défis actuels de la transition énergétique, l'Europe n'est manifestement pas encore sortie d'affaire.
Politique et pouvoir d'achat : les deux bouées de sauvetage de l'économie
Alors que les banques centrales mènent des politiques agressives, l'économie mondiale n'a étonnamment pas sombré dans l'abîme. Pourquoi ?
Tout d'abord, la politique budgétaire a été le moteur de l'économie, alimentant à la fois la croissance et l'inflation. L'Oncle Sam s'est montré particulièrement généreux, avec une augmentation du revenu disponible des Américains de 12 %, tandis qu’en Europe, celui-ci a augmenté de 6 %. Pendant ce temps, les marchés financiers s’en sont donné à cœur joie. En 2021, les entreprises ont emprunté à tour de bras, s'assurant ainsi des taux d'intérêt bas à long terme.
Alors, pourquoi les consommateurs continuent-ils de dépenser leur argent ? Cela se résume à l'emploi, en particulier pour ceux qui perçoivent des salaires modestes. Leurs revenus ont augmenté plus vites que ceux de leurs homologues plus aisés. Alors que les goulets d'étranglement de la chaîne d'approvisionnement provoquent des retards, les entreprises essayent de retenir leurs employés au maximum, en raison d’un marché de l'emploi plus tendu. Par conséquent, la hausse des taux d'intérêt met un certain temps à se faire sentir dans l'économie. En d'autres termes, les consommateurs continueront probablement de dépenser jusqu'à ce que le chômage atteigne des niveaux critiques.
Focus sur les secteurs porteurs : quels sont ceux qui résistent à la tempête économique ?
Alors que la plupart des entreprises se serrent la ceinture, certaines ont fait preuve d'une résilience remarquable. À l'instar des "Sept Magnifiques", d'anciens secteurs tels que les télécommunications, l'assurance, la technologie et les soins de santé se dressent comme des remparts contre les ralentissements économiques. Quel que soit le climat financier, les gens auront toujours besoin de communiquer, de rester en bonne santé et de continuer à vivre et travailler. Le secteur de l'assurance a lui aussi fait preuve d'une étonnante résilience. Dans ce paysage de taux d'intérêt "plus élevés pour plus longtemps", les assureurs, en particulier ceux des catégories « non-vie », retrouvent une lueur d'espoir. Des taux d'intérêt plus élevés signifient généralement qu'ils peuvent s'attendre à de meilleurs retours sur investissements, ce qui leur permettrait d’augmenter leurs revenus et de compenser leurs coûts d'exploitation.
En revanche, plusieurs secteurs sont clairement plus à risque. Ceux qui sont étroitement liés à l'évolution du PIB, tels que les banques, l'énergie, l'industrie et les matériaux, sont plus vulnérables. Et si l'énergie est un cas particulier compte tenu du contexte économique, d'autres, comme l'alimentation et les boissons, n'ont pas profité de la tendance aux valeurs défensives amorcée cet été et figurent actuellement parmi les secteurs les moins performants de l'année. Leurs valorisations sont plus ou moins en dents de scie. Certains secteurs, comme celui des boissons, sont attrayants car leurs P/E sont inférieurs aux moyennes des 15 dernières années. Mais l'alimentation ? Les valorisations sont élevées et la prudence est de mise pour les entreprises qui se négocient à des multiples élevés.
Sur le front industriel, l'espoir renaît avec des projets d’envergure et un carnet de commandes plus étoffé pour l'année prochaine. Dans le monde de la technologie, alors que les sociétés de semi-conducteurs sont confrontées à des difficultés, les chaînes d'approvisionnement en IA sont prometteuses, et dans le domaine du matériel technologique, les fournisseurs observent une révision à la hausse des commandes de PC. Ce type de perspectives mixtes entre les industries est typique d'un contexte de fin de cycle.
Des innovations thématiques pour transformer les marchés
Mais il n'y a pas que les secteurs ; certains thèmes clés définissent l'évolution du marché au cours des derniers mois. Prenons l'exemple des médicaments GLP-1, qui s'attaquent au diabète et à l'obésité. Il s’agit d’une tendance si importante qu'elle est en train de remodeler l'ensemble du secteur de la santé. Les patients ont fait état de réductions notables de leur consommation alimentaire dans tous les domaines grâce à ces médicaments, avec une réduction notable de l'apport alimentaire au cours des repas quotidiens (-20 %) et un impact significatif sur les en-cas et les confiseries (-40 %). L'obésité étant liée à une myriade de problèmes de santé, le marché potentiel de ces médicaments devrait s'élargir, dépassant les estimations actuelles de plus de 100 milliards de dollars en ce qui concerne l’obésité uniquement. L'impact potentiel de ce médicament est si vaste qu'il a été ressenti dans de nombreux secteurs, de la technologie médicale aux biens de consommation de base, bien que les gagnants ou perdants de cette percée médicale ne sont pas encore clairement définis.
Et puis il y a l'IA, qui change la donne dès ses débuts. Les données étant centrales dans ce contexte, la révolution de l'IA favorise les géants capables de les accumuler et de les exploiter, comme Meta, Apple, Google, Tencent et Alibaba, pour n'en citer que quelques-uns. Dans les années à venir, la production de puces électroniques compatibles avec l'IA sera probablement très demandée, ce qui signifie que les grands fabricants de puces électroniques actuels seront des acteurs importants de cette révolution. En d'autres termes, la nature de l'apprentissage automatique et ses exigences en matière de données impliquent des conditions strictes pour les applications d'IA quantique. Si tel est le cas, une part importante des bénéfices pourrait être concentrée entre les mains de quelques grandes entreprises. De plus, alors que les semi-conducteurs et le matériel informatique récoltent les bénéfices immédiats, les secteurs de la santé et de la finance pourraient bien se joindre à la fête à mesure que l'IA arrive à maturité. Restez à l'affût des opportunités, mais ne négligez pas l'impact potentiel sur la sécurité des données, sur la la main-d'œuvre, mais en aussi en termes de dépendance à l'égard des machines et même d'ingérence géopolitique.
La relocalisation des chaînes d'approvisionnement mondiales
Enfin, n'oublions pas les drames géopolitiques en cours, comme le conflit russo-ukrainien et les récents bouleversements au Moyen-Orient. Ces événements ne se contentent pas de faire les gros titres : ils compliquent les chaînes d'approvisionnement et imposent des barrières commerciales, remodelant ainsi le paysage des actions. L'Europe, toujours prudente, renforce son industrie éolienne dans un contexte d'incertitude avec la Chine, ce qui illustre une tendance plus large : les pays relocalisent leurs chaînes d'approvisionnement à proximité de chez eux, cherchent du soutien auprès d'alliés politiques et renforcent leur sécurité intérieure. Et il ne s'agit pas seulement de renforcer les frontières : c'est un jeu d'échecs stratégique pour conserver les « couronnes technologiques » et diversifier l'échiquier.
La vague de relocalisation atteint les côtes américaines : la production des batteries de véhicules électriques a été parmi les premiers secteurs à relocaliser, suivi par celui des équipements de transport, qui sont en train de réduire les investissements directs à l‘étranger en raison des difficultés dues à la pandémie et à la pénurie de semi-conducteurs. La relocalisation des équipements électriques a permis de redynamiser le marché de l’emploi avec un nombre d’offres passant de 3 % à 44 %. L'informatique et l'électronique ne sont pas loin derrière, surfant sur la vague des panneaux solaires, de la robotique, des drones et, surtout, des semi-conducteurs, qui ont besoin de marchés intérieurs expansifs pour être gagnants à long terme.
Le secteur de la chimie, alimenté par les produits pharmaceutiques, les sources d'énergie renouvelables et les composants essentiels des batteries, n'est pas en reste. Les prix élevés du gaz et les pénuries réorientent le raffinage pétrochimique vers les côtes américaines, ce qui promet un avenir solide aux industries telles que la transformation du plastique. Les secteurs de l'électricité et des semi-conducteurs sont les deux moteurs de ce mouvement de relocalisation, ce qui devrait redessiner les paysages financiers transformés à la faveur d’un retour à la production locale.
Pour conclure, la résilience de l'économie américaine offre un peu d'espoir dans un monde globalement instable. Avec un œil vigilant sur les taux d'intérêt et les prix du pétrole, les investisseurs sont prêts à faire face aux difficultés qui les attendent, bien que la résilience de certains secteurs dynamiques soit prometteuse pour l'avenir. Alors que les titans de la technologie et les héros de la santé remodèlent le paysage financier, certaines industries traditionnelles devront se réinventer face à ces conditions de marché en pleine évolution. En outre, la relocalisation des chaînes d'approvisionnement est susceptible d'accélérer ces tendances, porteuses à la fois de défis et d'opportunités. Pour l'avenir, il sera essentiel d’adopter l'innovation, de s'adapter au changement et de s'ouvrir aux nouveaux horizons d'un monde en pleine mutation économique.