Telegram : que reproche la justice française à Pavel Durov ?

Interpellé au Bourget le 24 août 2024, Pavel Durov, le fondateur de Telegram, a été mis en examen pour une série de douze infractions liées à la criminalité organisée. Accusé notamment de complicité dans la diffusion de contenus criminels sur la plateforme, il a été placé sous contrôle judiciaire, avec interdiction de quitter la France.

Anton Kunin
Par Anton Kunin Modifié le 29 août 2024 à 9h51
Pavel Durov
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10Pavel Durov risque dix ans d'emprisonnement et 500.000 euros d'amende.

Pavel Durov : quels sont les chefs d'accusation ?

Le 28 août 2024, Pavel Durov, le fondateur de la messagerie cryptée Telegram, a été mis en examen en France. Arrêté à la descente de son jet privé au Bourget le 24 août 2024, il est accusé de douze infractions graves, dont la complicité d'administration d'une plateforme en ligne permettant des transactions illicites en bande organisée, et de refus de coopérer avec les autorités en refusant de fournir les informations nécessaires à des interceptions légales. Parmi les autres chefs d’accusation, on retrouve des faits de blanchiment de crimes en bande organisée, de complicité dans la diffusion d’images pédopornographiques, ainsi que de trafic de stupéfiants via la plateforme.

Ces accusations découlent de l'incapacité de Telegram à empêcher la diffusion de contenus criminels sur Telegram, qui est souvent utilisée par divers milieux criminels pour échanger des informations et vendre des produits illicites. La réticence de la plateforme à répondre aux requêtes des autorités est également pointée du doigt. En réponse à ces accusations, Pavel Durov a été placé sous contrôle judiciaire avec une obligation de verser une caution de 5 millions d’euros, de pointer au commissariat deux fois par semaine, et de ne pas quitter le territoire français.

Digital Services Act : quelles obligations pour les plateformes en ligne ?

En effet, en vertu du Digital Services Act (DSA), un règlement européen adopté en 2022, les « intermédiaires numériques » ont une obligation de transparence et de « diligence raisonnable » dans la gestion des contenus illicites. Les fournisseurs de services doivent mettre en place des mécanismes accessibles aux utilisateurs pour signaler les contenus illégaux. Ces mécanismes doivent être clairs, efficaces et adaptés au type de service offert. Les « intermédiaires numériques » sont également tenus de coopérer avec les autorités nationales, ce qui peut inclure la transmission d'informations concernant les utilisateurs ou les contenus en cas de demande légitime. Enfin, les plateformes doivent informer les utilisateurs sur l'origine des publicités et les critères utilisés pour les cibler. Quiconque utilise ou connaît, même de loin, Telegram, peut confirmer que cette plateforme échappe totalement à ces obligations.
Les plateformes en ligne doivent également respecter des obligations supplémentaires pour assurer la sécurité des consommateurs et la transparence des transactions. Elles sont tenues de vérifier l'identité des vendeurs tiers et de fournir aux utilisateurs des informations claires et complètes sur les biens et services offerts. En outre, les plateformes doivent mettre en place des mécanismes de recours pour les utilisateurs dont les contenus ont été supprimés ou bloqués de manière injustifiée.

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Toujours en vertu du DSA, des obligations encore plus vastes s’appliquent aux « très grandes plateformes en ligne », celles qui comptent plus de 45 millions d'utilisateurs actifs dans l'Union européenne. Ces dernières doivent procéder à des évaluations régulières des risques systémiques qu'elles posent pour la société, notamment l'impact potentiel sur les droits fondamentaux, la sécurité publique et le discours démocratique. Elles doivent également mettre en œuvre des mesures pour atténuer ces risques, telles que l'amélioration de la modération des contenus et l'ajustement des algorithmes de recommandation pour éviter la diffusion de contenus nuisibles. La justice française soupçonnerait d’ailleurs Telegram de communiquer de faux chiffres sur son nombre d’utilisateurs en Europe pour éviter de tomber dans cette catégorie. En février 2024, la plateforme déclarait avoir 41 millions d’utilisateurs, mais n’a pas refait de déclaration, pourtant obligatoire, en août 2024.

Plateformes numériques : un tournant dans la question de la responsabilité des dirigeants

Cette mise en examen marque un tournant dans la manière dont la justice française aborde la responsabilité des plateformes numériques et de leurs dirigeants. Jusqu'à présent, aucune mesure aussi radicale n'avait été prise contre un dirigeant d'une plateforme pour des manquements à la modération de contenus illicites. Telegram, qui compte plus de 900 millions d’utilisateurs, est accusée de ne pas respecter ses obligations en matière de coopération avec les autorités, un problème déjà soulevé par l'Office National des Fraudes (ONAF) et d'autres instances judiciaires européennes. Alors que l’instruction est en cours, les avocats de Durov cherchent à démontrer l'impossibilité de contrôler l'intégralité des activités sur une plateforme de cette envergure, mettant en question la qualification de « complicité » retenue par le parquet.

Cette affaire, encore en plein développement, pourrait avoir des répercussions majeures sur la régulation des plateformes numériques en Europe, et pourrait bien servir de précédent pour d'autres géants du secteur, également sous surveillance des régulateurs pour des pratiques similaires. Les prochains mois seront cruciaux pour déterminer l’issue de cette affaire complexe, tant sur le plan juridique que médiatique.

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Anton Kunin

Après son Master de journalisme, Anton Kunin a rejoint l'équipe d'ÉconomieMatin, où il écrit sur des sujets liés à la consommation, la banque, l'immobilier, l'e-commerce et les transports.

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