Dans les coulisses des laboratoires et des usines, des géants comme des discrètes petites entreprises s’affrontent à coup de brevets. Le palmarès 2024 de l’INPI bouscule la hiérarchie, installe de nouveaux noms, et révèle la guerre feutrée pour l’innovation.
Palmarès des brevets de l’INPI : Qui domine vraiment l’innovation en France ?
Le 24 mars 2025, l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) a levé le voile sur les résultats du palmarès 2024 des dépôts de brevets en France. Derrière les chiffres, c’est tout un jeu de stratégie industrielle et de conquête technologique qui se dessine. Le mot-clé ici ? Brevet, ce précieux outil de protection et de valorisation qui transforme une idée en monopole. Et en 2024, la bataille s’est jouée à 15 458 dépôts, chiffre quasi stable par rapport à 2023 (-0,7 %). Une stagnation ? Pas exactement. Car derrière l’immobilité apparente, se cache une féroce recomposition des forces en présence.
Les géants du brevet français : un podium inattendu et révélateur
Sans surprise, les grands groupes conservent leur suprématie. Mais avec des nuances. Stellantis, empire de l’automobile, conserve sa première place avec 1 289 dépôts de brevets en 2024. Juste derrière, Safran, spécialiste de l’aéronautique, affiche 1 216 dépôts. Rien de nouveau ? Si. L’entrée fracassante de L’Oréal sur le podium avec 740 dépôts, un retour triomphal après plus d’une décennie d’absence, renverse les pronostics. Ces chiffres marquent la réorientation stratégique de ces acteurs : Safran verrouille sa position de leader technologique ; L’Oréal investit massivement dans la cosmétique de rupture ; Stellantis bétonne ses lignes de défense dans un secteur automobile en pleine mutation électrique.
Mais au-delà du trio de tête, d’autres noms pèsent lourd : Valeo (612 dépôts), CEA (598), Renault Group (587), CNRS (393), Airbus (301) ou encore Thales (266). Un top 10 dominé par l’industrie de la mobilité, de l’aéronautique, et de la haute technologie. Les secteurs de la santé, de l’énergie, du numérique, et même du luxe ne sont pas en reste, portés par des groupes comme Michelin, Orange, EDF, Naval Group, LVMH.
Brevets déposés à l’INPI : les PME prennent leur revanche
L’année 2024 marque une rupture historique. Pour la première fois, deux PME françaises percent le bastion du top 50 des déposants : Genvia (44e) et Verkor (47e), deux artisans de la transition énergétique ancrés dans la filière des gigafactories. Leur montée en puissance n’est pas un hasard : sur 15 458 demandes, 2 510 proviennent de 1 677 PME, soit une croissance de 2 % des dépôts pour cette catégorie d’acteurs.
La montée des entreprises de taille intermédiaire (ETI) est tout aussi significative. Soitec, Gaztransport et Technigaz, ou encore Automotive Cells Company (ACC) démontrent que l’innovation ne se cantonne pas aux géants cotés au CAC 40. L’écosystème s’élargit, s’étoffe, et affirme une diversité industrielle bienvenue.
Brevet et recherche publique : les établissements scientifiques au front
Dans l’ombre, les établissements publics poursuivent leur offensive. Le CEA et le CNRS confortent leur rôle d’architectes invisibles de l’innovation. Onze universités et instituts de recherche intègrent le top 50 : Inserm, Université Grenoble Alpes, Université de Bordeaux, ou encore Sorbonne Université.
Le CEA, en particulier, cumule les distinctions : cinquième déposant national et quatrième plus grand titulaire de brevets en vigueur, avec 8 733 titres recensés au 31 décembre 2024. Preuve que la recherche fondamentale, lorsqu’elle est bien valorisée, peut irriguer les filières stratégiques.
Le Top 10 des déposants de brevets à l’INPI en 2024
Rang | Nom de l’entreprise ou organisme | Nombre de brevets déposés |
---|---|---|
1 | Stellantis | 1 289 |
2 | Safran | 1 216 |
3 | L’Oréal | 740 |
4 | Groupe Valeo | 612 |
5 | CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives) | 598 |
6 | Renault Group | 587 |
7 | Centre national de la recherche scientifique (CNRS) | 393 |
8 | Airbus | 301 |
9 | Thales | 266 |
10 | Michelin | 241 |
Autre hiérarchie, autre logique. Le classement des titulaires de brevets en vigueur, publié également par l’INPI, sacre Safran en roi incontesté avec 17 803 brevets actifs. Suivent Valeo (10 208) et Stellantis (9 955), avec des portefeuilles massifs qui témoignent d’une stratégie industrielle fondée sur le verrouillage technologique.
Mais cette liste révèle aussi l’emprise étrangère. Parmi les 25 premiers titulaires, quatorze sont des entreprises non françaises, venues des États-Unis (Qualcomm, Microsoft, Raytheon), d’Asie (Huawei, Samsung, LG) ou d’Europe (Bosch, Ericsson, Philips). La France, malgré ses fleurons, est encore loin d’un souverainisme technologique. L’INPI le rappelle : le brevet est un actif. Il se valorise, s’amortit, s’échange. Il attire les investisseurs, pèse dans les négociations internationales, et façonne la valeur immatérielle des entreprises.