Le paiement, dernier bastion des géants à abattre ?

Cartes bancaires, commissions opaques, fraudes récurrentes… Le paiement reste l’un des derniers secteurs verrouillés par un duopole hérité du XXe siècle. Alors que tout s’accélère, la question devient urgente : qui laissera enfin la place à une alternative ?

Jab Portrait
Par Joël-Alexis Bialkiewicz Publié le 4 avril 2025 à 5h30
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paiement, carte bancaire, argent, dépenses, augmentation, étude, science - © Economie Matin
1,2 MILLIARD €Rien qu’en France, les fraudes liées aux moyens de paiement ont atteint environ 1,2 milliard d’euros en 2023

Le paiement, dernier bastion des géants à abattre ?

On s’extasie sur les révolutions du numérique, sur la blockchain, sur l'IA. Mais un domaine échappe encore à la transformation de fond : le paiement. En surface, tout semble avoir changé. Nous payons avec des smartphones, des montres, des QR codes. Et pourtant, ce vernis technologique repose toujours sur les mêmes rails, contrôlés par les mêmes acteurs.

Derrière chaque transaction dite "moderne", ce sont encore Visa et Mastercard qui tiennent les rênes. Leurs réseaux sont utilisés par tous : banques, fintechs, wallets à la mode. Même les écosystèmes les plus innovants, comme Apple Pay ou Google Pay, restent accrochés à leurs systèmes. On innove sur l’interface, jamais sur la structure.

Un duopole bien réel, une rente massive

Le coût de ce statu quo est immense. En Europe, le coût moyen d’une transaction carte varie de 0,8 à 2,5 %, selon le type de carte, le pays, et le volume du commerçant. Les cartes internationales, en particulier, restent très coûteuses. Les cartes internationales, en particulier, restent très coûteuses. Pour les commerçants, c’est une ponction permanente sur leur chiffre d'affaires. Pour les consommateurs, une hausse insidieuse des prix.

À cela s’ajoutent les délais de compensation, parfois de plusieurs jours, les fraudes à la carte (plus de 1,5 milliard d'euros de pertes annuelles en Europe selon l’ECB), les litiges interminables, les frais de terminaux… Et tout cela pour un service que l’on pourrait croire déjà optimisé.

L’illusion de la concurrence

En apparence, le marché est foisonnant. Des centaines de fintechs proposent des solutions de paiement. Mais combien d’entre elles ont construit une infrastructure indépendante ? Presque aucune. Toutes reposent sur les autorisations des grands réseaux. Le monopole est donc technique autant qu'économique.

On a cru que l’Europe allait contre-attaquer avec l’EPI (European Payments Initiative). En réalité, ce consortium appartient aux grandes banques européennes… qui tirent elles-mêmes profit des commissions prélevées sur les cartes Visa/Mastercard. Conflit d'intérêt majeur, et désintérêt systémique.

Pire encore, certaines initiatives alternatives ont été bloquées dans leur déploiement. En Allemagne, par exemple, des solutions de paiement direct ont vu leur accès restreint par les banques, au nom de la sécurité ou de la "standardisation". Et dans plusieurs pays, des applications prometteuses n’ont pas pu obtenir les agréments ou les interconnexions nécessaires, faute de coopération des établissements dominants.

Des modèles alternatifs existent pourtant

Il serait faux de dire que rien ne bouge. Certains nouveaux modèles s’affranchissent totalement des cartes et de leurs réseaux. Ils utilisent des technologies modernes comme le paiement "push" (le client autorise un envoi d’argent sans que le commerçant prélève), la géolocalisation pour sécuriser la transaction, ou des systèmes sans carte ni terminal.

DeluPay est l’un d’eux. Mais d’autres expérimentations existent aussi, notamment du côté des paiements instantanés interbancaires, de Satispay (même s’il présente l’inconvénient d’exiger que les clients préchargent leur compte), ou encore des crypto-actifs adossés à des monnaies réglementées. Le problème ? Ces alternatives sont freinées, peu promues, rarement intégrées. Les grands acteurs n’ont aucun intérêt à leur laisser de la place.

Certains plaideront pour des solutions hybrides, combinant anciens et nouveaux systèmes. Mais l’histoire récente nous enseigne que ce sont les ruptures franches qui finissent par s’imposer : le passage du courrier au mail, du taxi à la plateforme, de la banque de guichet à l'app. Le paiement ne fera pas exception.

Changer un système aussi enraciné exige plus qu’une solution technique : il faut convaincre les utilisateurs eux-mêmes d’adopter une expérience plus fluide, plus directe, plus transparente.

Un enjeu de souveraineté évident, encore sous-estimé

L’Europe a perdu la bataille des plateformes. Les réseaux sociaux, les clouds, les moteurs de recherche sont américains ou chinois. Le paiement n’échappe pas à cette logique. Quand une transaction européenne passe systématiquement par des serveurs aux États-Unis ou dans des datacenters d’Amazon ou Google, on ne peut plus parler d’indépendance.

Or demain, avec la montée en puissance des tensions géopolitiques, ce sujet devient stratégique. Que se passera-t-il si les États-Unis, dans un contexte trumpiste, décident de bloquer ou surtaxer certains flux financiers ? Et que penser d’une adoption croissante d’AliPay, WeChat Pay ou, demain, TikTok Pay ? Ces outils, contrôlés depuis la Chine, font planer le risque d’une surveillance massive des transactions, y compris entre deux entités françaises. Le paiement ne peut pas rester vulnérable à ce type de chocs. Le paiement est une infrastructure critique, pas un détail technique.

Un modèle à repenser, de la base au sommet

Il ne s’agit pas d’améliorer l’ancien monde avec une application plus jolie. Il faut redessiner tout le circuit, avec un modèle à trois parties (client, commerçant, opérateur) et non à quatre (avec deux banques et un réseau en plus). Il faut supprimer les frais inutiles, les délais absurdes, les fraudes à répétition. Il faut de la transparence, de la simplicité, et de l’efficacité écologique.

Ce n'est pas un rêve futuriste. C'est techniquement possible, déjà testé, et opérationnel.

Reste à savoir laquelle des grandes entreprises, toujours promptes à se plaindre du manque de concurrence ou de souveraineté européenne, fera enfin de la place à un acteur indépendant.

Car le jour où un acteur alternatif sera adopté massivement, ce n'est pas le paiement qui changera. C'est toute la chaîne de valeur. Et avec elle, un pan entier de notre souveraineté économique.

Il est donc crucial que les institutions, les grands groupes, mais aussi les collectivités et les fédérations professionnelles encouragent une **diversité d’initiatives concrètes**, indépendantes des réseaux historiques. EPI, contrôlé par des institutionnels par nature peu innovants et en conflit d’intérêt, ne suffira pas. Le futur du paiement ne viendra pas d’un consensus mou, mais d’une volonté forte d’ouvrir le jeu.

Si l’Europe veut reprendre le contrôle de son avenir numérique, elle ne peut pas se contenter d’ajuster les règles du jeu : elle doit aussi changer qui détient le ballon.

Et surtout, il ne faut pas attendre que cette approche paraisse évidente. Car lorsque le besoin de souveraineté s’imposera à tous comme une urgence vitale, il sera peut-être déjà trop tard pour bâtir une alternative crédible.

Jab Portrait

fondateur et président de Delupay.

1 commentaire on «Le paiement, dernier bastion des géants à abattre ?»

  • david

    Tiens ils se réveillent enfin, les américains ne pensent qu’a eux et ca se voit ici avec trump, il faut sortir les américains d’Europe, qu’ils reprennent leurs soldats et leurs missiles de nos territoires, qu’on taxe tout ce qui est américain car rien de bon pour nous que ca soit en agriculture et dans les viandes, tout est soit aux hormones ou soit transgénique….. ce sont des fossoyeurs qui n’existent que pour leurs propres intérêt….

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