Zone euro : trois mesures urgentes de politique monétaire

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Par Christian Jimenez Publié le 31 mars 2014 à 4h00

Pragmatique, la Banque Centrale Européenne pourrait enfin franchir le pas de mesures conventionnelles. L’approbation du mécanisme de sauvetage européen (MES) par la Cour Constitutionnelle allemande et l’inflexion récente des propos du président de la Bundesbank sont autant de signaux inédits ouvrant la voie à davantage d’expansionnisme monétaire.Une orientation qui s’avère désormais hautement nécessaire. La Banque Centrale Européenne est probablement en train de changer de braquet.

Jusqu’ici bridé par la préoccupation de ne pas froisser trop ouvertement les volontés imposantes des dirigeants allemands, le conseil des gouverneurs de la banque centrale pourrait bien déclencher des mesures monétaires inédites dans les prochaines semaines. Il faut dire que les conditions politiques pour que puisse se dégager un consensus autour d’une telle décision semblent enfin réunies. Le jugement récent délivré par la Cour de Karlsruhe, statuant sur la compatibilité du mécanisme de sauvetage de la zone euro avec la Constitution allemande, fait figure de « déclic ».

En effet, les juges allemands ont définitivement validé le MES, un instrument déjà à l’oeuvre depuis 2010. Si quelques conditions permettant au Bundestag de conserver son pouvoir décisionnel ont été spécifiées par les Allemands, le feu vert donné a posteriori au mécanisme permet à celui-ci de gagner en légitimité. Et surtout de disposer de son entière capacité d’action pour garantir la stabilité financière de la zone euro. L’Allemagne pourra contribuer au mécanisme jusqu’à près de 200 milliards d’euros, sous forme de garanties.

Au total, c’est une capacité d’aide de 500 milliards d’euros qu’est en mesure de proposer le mécanisme aux pays qui en auraient besoin, comme ce fut le cas de l’Espagne et de l’Irlande. L’autre évènement marquant est l’inflexion significative du discours de Jens Weidmann, président de la Bundesbank et membre du conseil des gouverneurs de la banque centrale. En déclarant « qu’il n’était pas exclu que la BCE prenne des mesures d’assouplissement quantitatif », Jens Weidmann s’est, d’une certaine façon, affranchi de l’orthodoxie monétaire allemande, un positionnement qu’il défendait coûte que coûte jusqu’ici.

Même s’il faut évidemment nuancer cette marque d’ouverture, dans la mesure où la maîtrise du niveau d’inflation en Allemagne demeure une préoccupation centrale pour les dirigeants germaniques, on peut l’interpréter comme un message encourageant la BCE à plus d’activisme monétaire. Beaucoup parlent d’un « quantitative easing » à la mode américaine, via le rachat direct d’obligations souveraines par la banque centrale. Bien qu’évoqué en ces termes pas Jens Weidmann, il est peu probable que la BCE aille jusqu’à s’engager dans un tel dispositif.

A moyen terme, c’est plutôt trois types d’opérations exceptionnelles vers lesquelles se dirige l’institution. Premièrement, faire passer le taux de dépôt en territoire négatif, avec l’objectif d’inciter bien davantage les banques à redéployer l’offre de crédit dans le circuit de l’économie réelle, plutôt que de placer leurs liquidités en dépôt auprès de la BCE.Il est assez étonnant de constater que les encours globaux de crédit des banques de la zone euro se sont contractés de -2.7 % entre fin 2011 et fin 2013*, alors même que le redémarrage des prêts aux agents économiques est un enjeu crucial de la reprise de la croissance en Europe. Une telle décision permettrait aussi de faire baisser mécaniquement le cours de l’euro et de stimuler la compétitivité à l’export des entreprises européennes.

Le deuxième levier majeur pourrait être celui d’un nouveau LTRO (Long Term Refinancing Operations) d’envergure, mais cette fois avec une échéance plus longue. Des prêts à 5 ans (minimum) aux établissements bancaires permettraient à ceux-ci d’acheter massivement des papiers souverains (à défaut de faire du crédit aux entreprises, ce qui serait également souhaitable), constituant de facto une forme de quantitative easing indirect, via leurs bilans et non celui de la BCE.

Enfin, une disposition des plus novatrices est à envisager. La BCE pourrait refinancer l’économie, en acceptant des actifs de titrisation en collatéral des prêts consentis aux établissements bancaires. Il pourrait s’agir de titrisations immobilières ou de titrisations de prêts aux entreprises (y compris aux PME et même TPE), un moyen de stimuler les canaux de financement des acteurs qui font la croissance de l’économie. Certes, le gisement actuel de titrisations semble insuffisant mais les mesures récemment prises pour inciter les assureurs à investir plus massivement dans les tranches les moins risquées des titrisations devraient permettre de pallier cette insuffisance. À condition, bien sûr, que les différents acteurs du processus soient très attentifs à la qualité des actifs titrisés, afin de ne pas renouveler l’erreur qui a abouti en 2008 à la crise dite des subprimes.

Ces options de politique monétaire sont plus que souhaitables. Le risque déflationniste qui pèse ardemment sur l’ensemble de la zone euro – le taux d’inflation allemand faisant figure d’exception – n’est pas à prendre à la légère. Les gouverneurs de la BCE semblent en avoir aujourd’hui pleinement conscience. À la banque centrale d’impulser la dynamique qui permettra à l’Union monétaire de ne pas s’enliser dans sa sortie de crise.

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Christian Jimenez est président de Diamant Bleu Gestion, et professeur agrégé d'économie.

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