La monétisation a ses limites. En faisant baisser l’euro, elle dissuade les acheteurs étrangers des obligations d’Etat en euro. En éteignant le risque de krach obligataire, on ravive celui de krach sur le marché des changes. Les raisons qui militent pour une poursuite de la dépréciation de l’euro contre le dollar ne manquent pas.
La poursuite du quantitative easing par la BCE sans doute au-delà de septembre 2016 et pour des achats mensuels d’actifs qui devraient augmenter de 60 milliards d’euros à 80-90 milliards à partir de janvier 2016 (verdict attendu lors du conseil du 3 décembre prochain) va entraîner une poursuite de hausse de la taille du bilan de la BCE relativement à celui de la Fed. Cette dernière devrait instaurer, même de façon très graduelle, une politique monétaire légèrement moins accommodante.
La crise de fonctionnement de la Zone euro n’est pas résolue. Nous restons persuadés que celle-ci trouvera son issue dans un scénario extrême à l’occasion de nouvelles turbulences : crise politique dans un grand pays, retour de craintes sur la solvabilité de certains pays faute de vraie croissance et dans un contexte d’absence d’inflation… On peut aussi envisager un scénario d’implosion de la Zone euro par la sortie de certains pays du sud ou la sortie de l’Allemagne.
Quel que soit le scénario envisagé, il y aura une forte prime de risque sur les actifs libellés en euro et donc des risques persistants de baisse de la monnaie unique vis à vis du dollar. Ceci étant, nous ne pensons pas que cette reconfiguration soit à envisager à court terme ; il serait donc prématuré de parier dès aujourd’hui sur une forte baisse de l’euro (en dessous de 1,05 contre le dollar, en dessous de 0,70 contre la livre sterling et 130 contre le yen). Mais le moindre événement qui renforcera les populismes sera de nature à relancer les questions sur l’avenir de la Zone euro.
Autre facteur de changement?
Toutefois, il n’y a pas que ces raisons pour expliquer les variations de change. Les flux de capitaux sont aussi à prendre en compte. La Zone euro dégage d’importants excédents des paiements courants, aussi bien grâce aux capacités exportatrices des pays du nord qu’à cause des politiques de dévaluation interne de certains pays du sud qui permettent de rééquilibrer les comptes extérieurs.
Cette situation se traduit par une demande d’euros supérieure à l’offre sur le marché des changes et empêche pour l’instant une chute encore plus prononcée de la monnaie unique. Mais la situation est très hétérogène au sein de la Zone euro — si les excédents commerciaux de certains pays ne financent plus les déficits commerciaux d’autres pays, il faudra bien aller chercher de l’argent en dehors de la région… Rappelons que lorsqu’un non-résident va acheter des actions ou titres privés d’un pays donné de la Zone euro, il financera seulement son déficit courant (ou déficit commercial au sens large, qui recouvre échanges de biens, de services, salaires dividendes, intérêts, etc.) ; tandis qu’un achat par un investisseur non résident d’obligations d’Etat d’un pays de la Zone euro finance à la fois le déficit courant et le déficit budgétaire de ce pays.
Le comportement des investisseurs non-résidents en matière de financement des déficits budgétaires de certains pays est donc essentiel à surveiller. N’oublions pas que le stock de dette publique française est détenu à près de 64% par des investisseurs non-résidents. On pourra envisager plusieurs types de situations :
– Les investisseurs anticipant une accélération de la baisse de l’euro contre leur monnaie nationale peuvent rapatrier leurs capitaux investis dans la dette d’Etat ; ce qui emballerait encore la baisse anticipée.
– Le stock de dette d’Etat dépend des réactions des investisseurs asiatiques en général et chinois en particulier. Il existe une corrélation historique entre le niveau des réserves de change de la banque centrale de Chine et le niveau de l’euro. La banque centrale de Chine est plutôt acheteuse d’actifs libellés en euros en période de hausse du yuan ; elle intervient sur le marché des changes pour ralentir l’appréciation de sa monnaie lorsque ses réserves de change augmentent (de 2000 à mi-2014). Tandis qu’elle est plutôt vendeuse d’euros lorsque le yuan baisse et donc lorsque ses réserves de change diminuent pour atténuer la dépréciation de sa monnaie (ce qui se produit depuis l’été 2014).
Et le financement des déficits ? ?
Au-delà des difficultés éventuelles sur la dette d’Etat existante, il faut aussi s’interroger sur les risques de baisse des nouveaux investissements en titres d’Etat par des investisseurs non-résidents, autrement dit le financement des déficits. Historiquement, la baisse des revenus en dollars des pays exportateurs de pétrole diminue leurs investissements sur des actifs libellés ce qui fait baisser l’euro face au dollar. L’évolution de l’euro et des taux longs euro dans les mois qui viennent dépendra peut-être fortement du rapport de forces qui s’établira sur les marchés entre l’acheteur de dette publique euro en dernier ressort, la BCE et les "nouveaux" vendeurs structurels de titres d’Etat euro (dont la banque centrale de Chine).
Si les excédents commerciaux de certains pays émergents continuent à baisser ou disparaissent, ils n’auront plus de quoi investir sur les marchés obligataires étrangers et deviendront vendeurs (surtout des dettes d’Etat qui inspirent le moins confiance). De même, si certaines devises émergentes se déprécient suite à des déséquilibres des paiements courants, les banques centrales des pays concernés n’auront plus besoin de créer de la monnaie nationale et de la vendre contre euro, dollar ou sterling pour acheter des Treasuries US, des Gilts UK, des Bund allemands ou des OAT françaises.
Qu’arrivera-t-il si les flux de ventes d’obligations de la Zone euro devenaient plus puissants que les actions de monétisation des dettes publiques ? Certes, le QE acté le 22 janvier pour 1 160 milliards d’euros par la BCE (achats de titres d’Etat incluant les programmes d’achats de Covered Bonds et d’ABS) de mars 2015 à septembre 2016 sera sans doute réévalué à la hausse par la BCE dès le conseil du 3 décembre afin d’empêcher des mini-krachs obligataires… Mais dans les semaines qui viennent le rapport de forces entre la BCE et les grands investisseurs non-résidents (parmi lesquels la Banque de Chine) scellera le sort de l’euro.
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