La votation sur l'immigration en Suisse a tellement traumatisé la classe politique et les medias qu'on en a négligé l'essentiel.
C'est un scrutin massif. La participation (56,5 %) est un record pour une Suisse qui vote en moyenne à 44 %. Ce qui prouve que quand on donne la parole au peuple sur l'immigration, il la prend.
C'est un scrutin de division aussi bien dans son résultat en terme de voix et de cantons que parce qu'il oppose la Suisse romande et le canton de Zurich du "Non" à la suisse alémanique et italophone du "Oui". Mais ce n'est ni un vote contre l'Europe ni même contre l'immigration. C'est un scrutin contre l'absence de maîtrise de l'immigration.
La Suisse connait un solde migratoire annuel positif et constant d'environ 80.000 personnes soit 1 % de sa population. Elle ne réclame pas l'immigration zéro mais des quotas. Sa proportion d'étrangers actifs occupés atteint 29,2 % (1,4 million dont 270.000 frontaliers sur 4,8 millions).
Un scrutin autour de l'immigration n'est jamais rationnel. C'est un acte émotionnel, fondé sur la peur ou l'espoir qui s'appuie sur l'imagerie d'une situation future. A plus forte raison quand il s'agit de poser des principes dont les retombées ne se verront que dans trois ans. Le FN a obtenu de bons résultats dans les régions rurales d'Alsace où les immigrés sont peu présents parce que les citoyens avaient à l'esprit l'image de certains quartiers de Strasbourg ou de Mulhouse.
Les "victimes" seront moins les 1,250 million d'étrangers européens que les 650.000 étrangers venant du Proche Orient, de la Corne de l'Afrique, les réfugiés, les demandeurs d'asile (33 % d'augmentation sur l'année précédente) qui ne pourront souscrire aux trois critères réclamés pour les quotas: avoir un employeur, des ressources suffisantes et une capacité prouvée d'intégration.
Il n'est donc ni possible (faute de question claire) ni souhaitable d'exporter ce type de scrutin dans une France divisée où pour des calculs politiques ou électoraux on essaie de revivifier des débats idéologiques. Il vaudrait mieux traiter les problèmes majeurs des Français, le chômage, le retour de la croissance, l'insécurité, la conduite de la politique étrangère...
Jean-Paul Gourévitch est consultant international sur l'Afrique et les migrations. Il a réalisé pour Contribuables Associés les monographies sur l'immigration (n° 27 novembre 2012) et sur l'expatriation (n°28 octobre 2013).