Chers Français et cher François, j’ai longtemps pensé que je devais vous tancer pour votre impiété. Le Parlement de Paris, devenu par la fureur de la Révolution le Parlement du Royaume, celui qui me condamna à tousser dans la corbeille, vient de commettre une nouvelle impiété, une offense définitive contre le règne de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il autorise désormais le mariage des sodomites et des gomorrhéennes, et peut-être même les autorisera-t-il bientôt à fonder famille en adoptant, voir en marchandant quelque enfant porté par une circassienne, une slave, ou une flamande des polders. Car, à ma grande désolation, le comté de Flandres, qui fut toujours une vassalité des Capet, s’est affranchi de son suzerain, pour devenir un royaume indépendant où le louage des femmes est autorisé aux fins de procréation.
Cette décision impie choque les consciences morales attachées aux lois naturelles. Mais, en examinant ce sujet avec attention, il me semble, peuple de France, que tu offres un très beau cadeau à l’Eglise. Car depuis que la Chrétienté existe, la double nature du mariage a toujours mis mal à l’aise les ecclésiastiques eux-mêmes. Contrat entre les époux d’un côté, selon la tradition romaine, reproduction symbolique de l’alliance entre Dieu et les hommes, selon la tradition paulinienne. La coexistence de ces deux natures n’était pas simple. Il fallut treize siècles de débat pour que l’Eglise décidât que le mariage serait un sacrement. Et sept siècles plus tard, vos lois républicaines défont cette tradition.
En quelque sorte, vous avez tranché dans le vif, et je me range à l’idée que c’est un mal pour un bien.
Au fond, vous instituez le mariage des Turcs en loi du royaume de France. Car, en Turchie, comme le rapporte M. de Tournefort, le mariage est un contrat civil que les parties peuvent rompre. Une femme turque peut demander la séparation si son mari s’adonne aux plaisirs contre nature, comme la sodomie que vous consacrez, ou s’il n’honore pas son devoir conjugal dans la nuit du jeudi au vendredi, nuit consacrée chez les Ottomans aux devoirs du mariage. Les Turcs pratiquent donc une sorte de mariage par utilité, entouré d’usages hédonistes, que chacun peut interrompre dès lors que son plaisir n’y est pas contenté.
Votre mariage pour tous ressemble à s’y méprendre à ce contrat d’apports réciproques, bâti sur la satisfaction d’attentes terrestres, détaché des aspirations transcendantes qui inspirent le mariage chrétien. Jusqu’alors, les horribles révolutionnaires avaient entaché le mariage civil d’une vraie ambiguïté. On se mariait à la mairie avec la même prétention qu’à l’Eglise, comme si l’union devant Marianne pouvait remplacer l’union devant Dieu.
Par une grâce inattendue, vous dissipez soudain ce mystère. Désormais, les jeunes pucelles qui désireront un mariage de princesse, les femmes rompues aux rigueurs de votre vie moderne mais qui aspireront à leur page de conte féérique, les belles-familles éprises d’honneur et de réjouissances élégantes, ne pourront se satisfaire d’un pacte signé en mairie. Je me représente le spectacle de ces familles bien nées, de ces jeunes femmes la poitrine ardente et le coeur battant, le cheveu tiré, succédant dans l’une de vos vulgaires salles de mariage, à un couple de sodomites se baisant follement et publiquement en haut de l’escalier d’honneur, et précédant une meute de gomorrhéennes, le cheveu court, la carrure de fort des halles et la chique de tabac à la bouche. Tout cela manquera de poésie.
En vérité, le mariage pour tous restaure la beauté mystérieuse de l’alliance devant Dieu et dévoile enfin la vérité. Le mariage n’accède au sacré que par l’intermédiation divine, et que par le respect des fins pour lesquelles il fut conçu: la fondation d’une famille selon la bonne vieille méthode de l’excrétion de la semence, système universel permettant la procréation sans intervention d’aucune force externe aux époux. Je suis prêt à me livrer avec vous à l’activité vulgaire du pari: le mariage pour tous marque le commencement d’une nouvelle ère pour l’église de France.
Mon cher François, songes-y, car toi qui concubines comme un vulgaire mécréant, je te le dis, tu risques bien par ce mauvais exemple de vie, de ruiner rapidement le crédit acquis par la guerre que tu as remportée contre les sauvages du royaume de Tombuct. Que lis-je dans les gazettes ? Valérie Trierweiler, qui porte encore le nom de son mari, mène grand train et s’affiche auprès des plus riches bourgeois du royaume.
Je sais, me diras-tu, que tu as peut-être quelque folie passagère, quelque foucade avec je ne sais quelle actrice ou quelle danseuse, à te faire pardonner auprès d’elle. Et chaque Français compatit sans peine à l’envie que tu pourrais légitimement nourrir de satisfaire tes désirs naturels auprès d’une favorite plus commode que Valérie. Tu ne serais guère le premier Président de la République à céder à cette tentation. Tes sujets se souviennent de Valéry Giscard d’Estaing et de la mine pincée d’Anémone, de François Mitterrand et de l’exubérante Danielle, de Jacques Chirac et de la refroidissante Bernadette. Ils les ont tous pardonnés.
Simplement, cette mansuétude, les Français l’ont eue pour ton mariage avec Ségolène Royal. Chacun comprenait alors que tu usasses des facilités accordées pour divorcer. Mais tu amènes avec toi une concubine à l’Elysée. Et cette concubine s’impose aux Français avec l’habileté d’une pièce rapportée qui s’invite à déjeuner le dimanche dans une belle-famille attachée aux usages chrétiens. L’exercice demande du doigté, de la délicatesse, de la discrétion.
Et que fait Valérie ? Elle se trémousse dans les défilés de haute couture au moment où les manufactures ferment, où tu demandes des efforts à tes sujets, où partout dans le royaume la rumeur de la faim gronde. As-tu par exemple remarqué que depuis quelques semaines se répandent en France des épiceries solidaires dont le voeu est de nourrir pour peu les étudiants des facultés ? Partout les Français vivent mal, parce que se loger coûte trop cher, parce que se chauffer coûte aussi trop cher, parce que le travail est rare et le labeur est dur.
Tu ne pourras longtemps menacer les écrivains publics et les rédacteurs de gazette de les embastiller s’ils colportent les images et les discours qui te déplaisent. Tu peux avoir l’illusion que, la presse se taisant par la peur que tu lui inspires, le peuple t’aime. Crois-moi, plus longtemps les haines sont claquemurées, plus violemment elles explosent.
Je ne puis, mon cher François, que te rappeler ma mésaventure personnelle. Comme toi, j’étais débonnaire et je n’aspirais qu’à une seule chose: la concorde dans mon peuple. Comme toi, je n’avais guère d’autorité sur mon épouse. Marie-Antoinette agissait à sa guise, et au fond j’aimais la voir s’égayer dans le bonheur et les mondanités de la cour. Comme toi, j’avais donné l’illusion, par l’expédition d’Amérique, que je pouvais régner en chef de guerre, ami des idées modernes et des peuples du monde.
Mais le jour où le peuple affamé, qui s’entassait dans les rues malpropres de Paris faute de pouvoir se loger, a laissé éclater sa colère, c’est Marie-Antoinette qui fut l’étincelle. Car le peuple de France peut supporter beaucoup, mais le spectacle de la frivolité courtisane surplombant la misère et la faim l’incommode souverainement. Songes-y mûrement, François.